CA Rennes, 2e ch., 9 octobre 1991, n° 244-89
RENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Chenu (Consorts)
Défendeur :
Berthelot
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Duclos
Conseillers :
MM. Roy, Froment
Avoués :
SCP Castres, Colleu, SCP Massart, Bazille
Avocats :
Mes Bertaut, Gauteur
Faits et procédure
Par acte notarié du 28 août 1987, Monsieur Berthelot a vendu aux époux Chenu un fonds de commerce de débit de boissons avec licence, sandwichs et galettes-saucisses, sis à Dinan pour le prix de 850 000 F.
Monsieur Berthelot s'est en outre engagé dans cet acte à ne pas exploiter un fonds de commerce similaire dans un rayon de trois kilomètres et pendant sept ans.
Le 1er juillet 1988, Monsieur Berthelot a ouvert à Dinan, à environ 200 mètres du fonds ainsi vendu, un établissement de petite restauration désigné au Registre du Commerce comme " snack, saladerie " et exploité avec une licence de restaurant et une licence de débit de boissons catégorie I.
Par acte d'huissier du 14 octobre 1988, les époux Chenu ont assigné Monsieur Berthelot en cessation sous astreinte de cette activité qu'ils estimaient semblable à celle du fonds acquis par eux, ainsi qu'en paiement de 200 000 F à titre de dommages et intérêts ou, subsidiairement en réduction du prix de vente à concurrence de 400 000 F.
Par jugement du 31 janvier 1989, le TGI de Dinan statuant commercialement a débouté les époux Chenu de l'ensemble de leurs demandes en retenant que les deux établissements étaient de nature différente et que la violation de la clause de non-concurrence n'était donc pas caractérisée.
Selon déclaration du 29 mars 1989, dont la recevabilité n'est pas discutée, les époux Chenu ont régulièrement interjeté appel de ce jugement.
Il est à noter que Madame Chenu étant décédée durant l'instance d'appel, sa fille Mademoiselle Christelle Chenu est intervenue volontairement en sa qualité d'héritière aux côtés de Monsieur Chenu selon conclusion du 29 mars 1991 et a déclaré faire siennes les écritures antérieurement signifiées au nom de sa mère.
Prétentions des parties :
Aux termes de leurs conclusions des 25 août 1989 et 25 juin 1991, les consorts Chenu font essentiellement valoir que, contrairement à l'appréciation erronée des premiers juges, l'activité de l'établissement ouvert par Monsieur Berthelot est semblable à celle du leur, tant relativement à la restauration rapide qu'au point de vue de la vente des boissons, à la seule exception des boissons alcoolisées. Ils reprennent en conséquence leurs demandes de première instance et sollicitent la fermeture immédiate du fonds exploité par Monsieur Berthelot
Après avoir demandé le 18 mai 1989 la confirmation pure et simple du jugement, Monsieur Berthelot, selon de nouvelles conclusions des 13 juin, 27 juin et 1er juillet 1991, s'attache longuement à critiquer les éléments de preuve versés aux débats par les appelants et à démontrer, en s'appuyant sur de nombreux détails, que les fonds de commerce en cause sont de nature différente et qu'il est donc parfaitement fondé à poursuivre sa nouvelle activité.
Discussion :
Considérant, d'abord, que la demande subsidiaire des Consorts Chenu en réduction du prix de vente du fonds est irrecevable comme ne se fondant pas sur l'une des causes prévues aux articles 12 et 13 de la loi du 29 juin 1905 et comme n'ayant pas été au surplus engagée dans le délai d'un an fixé par son article 14 ;
Considérant ensuite, sur la demande principale, qu'il est constant et non sérieusement discutable, d'une part que le fonds vendu aux époux Chenu consistait en un débit de boissons grande licence avec vente accessoire de sandwichs et galettes-saucisses, ce qui constitue une forme de restauration rapide à bas prix, d'autre part, que le fonds ensuite ouvert par Monsieur Berthelot comprend la vente des boissons non alcoolisées et l'activité de " snack-salarderie " qui représente également une forme de restauration rapide à prix modéré avec service de boissons alcoolisées durant les repas ;
Qu'il apparaît ainsi que sous la seule exception de la vente des boissons alcoolisées en dehors de repas que Monsieur Berthelot ne peut effectuer et en dépit des divergences d'appellation et de présentation que l'intéressé s'efforce de mettre en évidence, l'activité de l'établissement créé par lui est matériellement semblable à une notable partie de celle du fonds vendu aux époux Chenu, contrairement à l'appréciation des premiers juges ;
Considérant en conséquence qu'en créant ce second établissement à une proche distance de celui qu'il avait cédé, Monsieur Berthelot a violé la clause de non-concurrence ci-dessus énoncée lui interdisant d'exploiter à moins de trois kilomètres un fonds de commerce similaire, ce dernier qualificatif étant plus large qu'une stricte identité,et que l'action des consorts Chenu est dès lors bien fondée en son principe, sans qu'il soit besoin de s'attarder aux autres points de discussion soulevés ;
Considérant toutefois que cette interdiction vise Monsieur Berthelot personnellement et non le fonds installé qui peut, en vertu du principe de la liberté du commerce, continuer d'être tenu par d'autres personnes ;
Qu'il y a donc seulement lieu de faire défense à l'intimé d'exploiter ledit fonds ou de s'y intéresser directement ou indirectement, ainsi qu'il est stipulé, durant la période fixée et qu'il convient de même de prononcer à son encontre une astreinte définitive pour assurer l'exécution de cette disposition ;
Considérant, sur les dommages et intérêts que la violation par Monsieur Berthelot depuis trois ans de la clause de non-concurrence librement acceptée par lui a causé aux Consorts Chenu un préjudice certain, en particulier par le détournement illégitime de clientèle qu'elle a été de nature à entraîner et que la Cour trouve au dossier toutes justifications et éléments d'appréciation utiles pour fixer à 100 000 F l'indemnité revenant de ce chef aux Consorts Chenu ;
Considérant que l'équité commande d'allouer à ces derniers le remboursement de la somme non excessive de 6 000 F au titre de leurs frais non taxables ;
Que Monsieur Berthelot qui succombe ne peut prétendre à l'octroi de dommages et intérêts ni de frais irrépétibles et devra supporter les dépens ;
Par ces motifs, Donne acte à Mademoiselle Christelle Chenu de son intervention à l'instance en sa qualité d'héritière de Madame Joëlle Chenu décédée. Faisant droit à l'appel et infirmant le jugement déféré, enjoint à Monsieur Alain Berthelot de cesser d'exploiter directement ou indirectement, dans les mois de la signification du présent arrêt, le fonds de commerce de " snack, saladerie " et débit de boissons de première catégorie par lui ouvert en 1988 à Dinan 23 rue de la Mittrie, en violation de la clause de non-concurrence le liant aux Consorts Chenu et ce, à peine d'une astreinte définitive de 300 F par jour de retard pendant trois mois passé lequel délai il sera de nouveau fait droit par la Cour si besoin est. Condamne en outre Monsieur Berthelot à payer aux Consorts Chenu la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts, ainsi que la somme de 6 000 F pour frais non taxables. Déclare irrecevable la demande subsidiaire des Consorts Chenu et déboute Monsieur Berthelot de ses demandes reconventionnelles. Condamne Monsieur Berthelot aux dépens de première instance et d'appel et autorise Mes Castres Colleu, avoués associés, à recouvrer ceux d'appel conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.