CA Versailles, 12e ch., 26 septembre 1991, n° 6068-90
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Hermès (Sté)
Défendeur :
Leroy & Compagnie Terclawid Terrasse Concept (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Forget
Conseillers :
Mme Chagny, M. Frank
Avoués :
SCP Julien & Lecharny, Me Jupin
Avocats :
Mes Pfligers Dorffer, Ioro.
La société Hermès est appelante d'un jugement du 6 avril 1990 du Tribunal de Commerce de Nanterre qui, retenant un acte de concurrence déloyale, l'a condamnée à verser à la Société Leroy et Cie Terrasse Concept (société Leroy) en réparation du préjudice subi la somme de 300.000 F a ordonné la publication, et l'a condamnée à verser 13.000 F pour les frais de procédure.
Elle reconnaît que le cliché photographique qui est à l'origine de la publicité qu'elle a fait paraître dans les pages jaunes de l'annuaire des Hauts de Seine (année 1989) est tiré d'une photo figurant dans un catalogue publicitaire de la société Leroy.
Elle soutient que ce cliché n'est pas original ; que la publicité est très différente de l'impression de l'annuaire et n'a pu aboutir à un détournement de clientèle ; que le Premier Juge a considérablement surévalué le préjudice subi qui est inexistant ;
La Société Leroy souligne la spécificité de ses réalisations en matière d'aménagement de terrasses, l'importance de la publicité faite dans les " pages jaunes " et l'importance du préjudice subi du fait de la concurrence déloyale ; elle sollicite, la condamnation de son adversaire à lui verser 5.000.000 F en réparation du préjudice subi du fait de cette concurrence déloyale, 50.000 F à titre de dommages et intérêts pour l'attitude de la Société Hermès, 40.000 F pour frais de procédure, et la confirmation des mesures accessoires.
Sur ce, LA COUR
Considérant qu'il est acquis que la Société Leroy a réalisé l'aménagement d'une terrasse paysagée au domicile de Monsieur Courtin à Neuilly fin 1986, début 1987; qu'elle a photographié sa réalisation pour publier la photographie dans un dépliant publicitaire paru en avril 1987; que la Société Hermès s'est servie du dépliant pour faire paraître une annonce publicitaire à son enseigne dans les pages jaunes de l'annuaire téléphonique des Hauts de Seine de l'année 1989, l'encart publicitaire reproduisant la photographie de la terrasse réalisée par la Société Leroy et mentionnant " Hermès - le spécialiste des terrasses aménagées "; que la Société Hermès a cru devoir présenter à l'expert désigné en référé un montage photographique destiné à démontrer que le cliché avait été tiré par son gérant chargé par Monsieur Courtin de l'entretien de la terrasse ; que l'expert a déjoué le montage ;
Considérant que le fait de concurrence déloyale est ainsi établiet reconnu et que seul reste en litige devant la Cour le montant du préjudice subi par la Société Leroy ;
Considérant que la Société Hermès ne saurait valablement soutenir que la terrasse réalisée par la Société Leroy ne présenterait aucun caractère original ; qu'en effet il résulte des documents qu'elle produit elle-même qu'il existe une grande variété de réalisations qui dépendent des formes du support et du choix tant de l'emplacement des plantes que de leur nature ; qu'en outre la Société Leroy démontre qu'elle réalise des travaux importants d'étanchéité et de drainage et installe des systèmes d'arrosage et d'éclairage, ce que ne revendique pas la Société Hermès qui admet avoir seulement entretenu la terrasse litigieuse et vendu à ses propriétaires, sans aménagements spéciaux, des bacs et des végétaux installés sur une autre terrasse du même immeuble ; qu'il n'est enfin pas allégué que la terrasse litigieuse n'aurait pas bénéficié de ces aménagements spécifiques, ni que la Société Hermès aurait procédé, en d'autres occasions antérieures, à de tels aménagements ; qu'ainsi il est établi qu'en utilisant la photographie litigieuse à des fins publicitaires elle a voulu capter la clientèle de la Société Leroy, celle-ci ayant démontré son originalité au moins par rapport à elle qui est sa concurrente directe pour une même circonscription, sinon par rapport à l'ensemble de la profession concernée ;
Considérant que le but d'une publicité dans les pages jaunes d'un annuaire téléphonique est d'attirer la clientèle ; que tel était bien le but de la Société Hermès qui, sans doute satisfaite de l'effet produit, a tenté de renouveler la même opération en se proposant de faire publier, toujours sous son enseigne la photographie d'une autre réalisation de la Société Leroy, et n'a retiré sa demande qu'en raison du procès ainsi que le relate l'expert au vu des documents qui lui ont été produits ;
Considérant que les modifications apportées par la transposition d'une photographie en couleurs sur une page jaune imprimée en noir n'est pas de nature à faire disparaître l'originalité du modèle retenu tant pour sa spécificité que pour sa faculté de produire l'effet recherché dans la reproduction ;
Considérant que le préjudice subi par la Société Leroy ne saurait être limité au prix de la prise de vue, comme le soutient à tort la Société Hermès, la photographie ayant été reproduite par la Société Leroy dans un document publicitaire dont l'effet n'a pu qu'être amoindri par la parution déloyale de l'annuaire téléphonique ;
Considérant que cette parution dans le département des Hauts-de-Seine, circonscription presque exclusive (avec Paris et Versailles) dans laquelle se trouve la clientèle réelle ou potentielle des deux sociétés ainsi que l'affirme la Société Hermès sur une page (732) qui fait face à celle (733) sur laquelle est insérée la publicité plus modeste de la Société Leroy, est de nature à détourner la clientèle de la Société Leroy vers la Société Hermès ;
Considérant que la Société Leroy justifie que son chiffre d'affaires qui avait augmenté de 1,5 million de francs environ de 1988 à 1989 a baissé de 400.000 F environ en 1990 ; que la Société Hermès a vu son chiffre d'affaires augmenter en 1989 ; qu'elle ne justifie pas de celui de 90 ;
Considérant qu'une part importante de l'apport de clientèle se fait par l'intermédiaire de la publicité insérée dans les pages jaunes de l'annuaire auxquelles ont recours de nombreux professionnels qui investissent et réitèrent ce mode de publicité année après année; que tel est bien le cas des deux sociétés en cause ;
Considérant qu'un pourcentage non négligeable de la perte du chiffre d'affaires de la Société Leroy en 1990 doit être attribué aux effets de la publicité faite par la Société Hermès dans l'annuaire de 1989, ceux-ci n'étant pas forcément immédiats et pouvant encore se prolonger dans le domaine en cause où la clientèle restreinte se renouvelle nécessairement sauf pour l'entretien; qu'à l'inverse une part de l'augmentation du chiffre d'affaires de la Société Hermès doit être attribué à la publicité litigieuse ;
Considérant qu'au vu de ces divers éléments et tenant compte de l'importance respective des deux sociétés en cause le Premier Juge a justement fixé à 300.000 F l'entier préjudice subi par la Société Leroy du fait de la parution de l'annonce publicitaire déloyale comme des circonstances de cette parution, qu'il a tout aussi justement ordonné les condamnations accessoires ;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la Société Leroy la charge totale de ses frais irrépétibles d'appel ; qu'une somme de 15.000 F lui sera allouée sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de Procédure Civile ;
Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement déféré, Condamne la Société Hermès à verser 15.000 F à la Société Leroy & Cie Terclawid " Terrasse Concept ", La condamne aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau code de Procédure Civile.