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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 26 septembre 1991, n° 22988-89

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Dagneau

Défendeur :

Léonidas (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Poullain

Conseillers :

MM. Bonnefont, Gouge

Avoués :

SCP Menard Scelle Millet, SCP Parmentier Hardouin

Avocat :

Me Bitton.

TGI Melun, du 9 août 1989

9 août 1989

Faits et procédure de première instance

Propriétaire de la marque internationale Leonidas enregistrée le 8 février 1983, notamment pour la France et désignant les produits de la classe 30 où figurent les chocolats et confiseries, la société de droit belge Leonidas, agissant poursuites et diligences de ses administrateurs délégués Politopoulos et Daskalides, assignait à jour fixe le 3 janvier 1989 Marcelle Dagneau à laquelle elle imputait un usage illicite de marque et une concurrence déloyale. Des mesures de réparation et de protection étaient sollicitées ainsi que la somme de 15.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

L'acte introductif d'instance se référait à une saisie-contrefaçon effectuée le 22 décembre 1988 dans un magasin d'alimentation et de produits surgelés exploité par la défenderesse 39 avenue Galliéni à Chartrettes où étaient vendus des chocolats Leonidas alors qu'elle n'avait jamais demandé la moindre autorisation de commercialiser les produits Leonidas ;

Sous le nom de Marcelle Dagneau, la défenderesse concluait à l'irrecevabilité de la demande au motif que Politopoulos et Daskalides n'avaient pas qualité à agir pour une société anonyme belge ayant pour seul représentant son président directeur général, subsidiairement à son mal fondé ;

Elle réclamait 50.000 F de dommages intérêts et 10.000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Le jugement critiqué

Par son jugement du 9 août 1989, le Tribunal de Grande Instance de Melun a notamment :

- déclaré recevable l'action de Leonidas,

- dit que Mme Dagneau a, en vendant des chocolats Leonidas sans être revendeur autorisé, commis des actes de concurrence déloyale,

- ordonné la cessation de ces actes sous astreinte de 1.000 F par infraction constatée,

- condamné Mme Dagneau à payer à Leonidas 60.000 F de dommages intérêts et la somme de 10.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- ordonné l'exécution provisoire sans caution.

L'appel

Un appel a été déclaré le 17 novembre 1989 par Marcelle Dagneau.

L'appelante conclut à l'infirmation du jugement en priant la Cour de déclarer irrecevables les demandes introduites par les administrateurs délégués Politopoulos et Daskalides, subsidiairement de la décharger des condamnations prononcées contre elle pour concurrence déloyale. Elle sollicite reconventionnellement 50.000 F de dommages intérêts pour préjudice commercial et 20.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Intimée, Leonidas conclut à l'irrecevabilité de l'appel au motif que dans sa déclaration, l'appelante a indiqué un faux prénom et une adresse où elle n'est plus. Subsidiairement, elle prie la Cour de dire irrecevables les écritures de première instance de son adversaire qui s'est constituée devant le Tribunal par un acte comportant les mêmes erreurs que celui d'appel. Sur le fond, elle conclut à la confirmation du jugement sur le principe de la concurrence déloyale en demandant que les dommages intérêts soient élevés à 200.000 F et à son infirmation en ce qu'il a écarté l'atteinte à la marque pour laquelle elle réclame une indemnité de 100.000 F. Elle sollicite en outre la publication de l'arrêt dans trois journaux et 20.000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Dans d'ultimes conclusions, l'appelante Danielle Dagneau indique une adresse à Bois le Roi en contestant l'irrecevabilité de son appel ;

Sur ce LA COUR,

Qui pour un plus ample exposé des faits de la procédure et des prétentions des parties se réfère au jugement critiqué et aux écritures d'appel,

Considérant que l'assignation était dirigée contre Marcelle Dagneau alors que l'appelante se prénomme Danielle Yvonne ; que cette erreur initiale, commise par Leonidas elle-même, a été répétée dans des écritures subséquentes de l'une et de l'autre partie sans qu'on puisse incriminer une intention délibérée de Danielle Dagneau de cacher son véritable état-civil ; que le jugement ayant été pris contre Marcelle Dagneau, il suffira, pour couper court à toute difficulté d'exécution, de préciser dans l'arrêt qu'il faut l'appliquer à Danielle Yvonne Dagneau ;

Considérant que lors de la saisie-contrefaçon, pratiquée à Chartrettes, l'huissier a pris connaissance de l'adresse personnelle de Danielle Dagneau, Villa Chèvrepied, Quai de la Ruelle à Bois le Roi ; qu'il sera pris acte que cette adresse est toujours la sienne ; que Leonidas, qui se plaint de n'avoir pas bénéficié de l'exécution provisoire accordée par le jugement parce que Danielle Dagneau n'exerce plus une activité commerciale à Chartrettes, n'a pas à redouter une inexécution de l'arrêt ;

Considérant en conséquence, que rien ne s'oppose à la recevabilité de l'appel ;

Sur la recevabilité des conclusions de Danielle Dagneau en première instance :

Considérant que pour les motifs sus exposés, il n'apparaît pas qu'il y ait lieu de déclarer irrecevables les écritures de première instance de l'appelante, observation faite que Leonidas aurait pu poursuivre l'exécution du jugement à Bois le Roi après avoir obtenu une rectification relative au prénom de la défenderesse ;

Sur la recevabilité de l'action de Leonidas :

Considérant que le jugement a exactement réfuté le moyen d'irrecevabilité soulevé par Danielle Dagneau qui sur ce point s'en rapporte à ses écritures de première instance ;

Qu'il doit être ici rappelé que l'intérêt à agir de Leonidas n'est pas contestable car la procédure tend à sauvegarder des conditions de vente propres à maintenir la qualité et la réputation de ses produits ; que d'autre part, comme l'observe la décision attaquée, Kesdekoglu, divorcée Politopoulos et Daskalides, administrateurs délégués de Leonidas, ont bien reçu pouvoir d'agir en justice à la condition de le faire ensemble, ce qui est le cas ;

Au fond,

Considérant que les écritures de l'appelante ne développent aucun moyen de nature à invalider les judicieux motifs ayant conduit le Premier Juge à retenir, par une minutieuse appréciation des faits de la cause, des actes de concurrence déloyale ;

Considérant qu'il importe de rappeler que les pralines Leonidas sont des produits de haut de gamme offerts en un très large assortiment (60 sortes de pralines) et qui sont des denrées éminemment périssables, leur fraîcheur ne dépassant pas huit jours ;

Que Leonidas exige des revendeurs un cadre correspondant à la haute qualité de ses produits et en conséquence n'autorise la vente que dans des confiseries ; que les revendeurs autorisés ont l'obligation de s'approvisionner au minimum une fois par semaine à l'usine au départ de laquelle ils doivent vérifier lors de la livraison la fraîcheur des produits achetés ; que de plus, ils s'engagent à offrir une gamme complète des produits Leonidas ;

Que les obligations imposées par Leonidas à ses revendeurs apparaissent nécessaires au maintien de la qualité de ses produits et de leur réputation et vont donc dans le sens des intérêts du consommateur que Leonidas, qui a la charge d'établir la licéité du réseau de distribution sélective constitué par elle, rapporte la preuve qui lui incombe, étant souligné qu'elle contraint les revendeurs à ne pas dépasser un prix maximal et qu'on ne peut lui reprocher d'avoir établi un système de vente dans le but d'empêcher toute concurrence de s'exercer par des prix plus ou moins élevés selon le point de vente ;

Considérant d'autre part que l'appelante ne démontre pas l'inobservation par Leonidas des critères objectifs qu'elle a définis pour justifier la constitution de son réseau de distributeurs ; que les pièces mises aux débats sont insuffisantes à établir que deux magasins de Fontainebleau distribuant des produits Leonidas offrent des conditions d'accueil de la clientèle équivalentes à celles constatées dans le magasin de Chartrettes ; que par ailleurs, Leonidas apparaît bien fondée à contester que ses produits soient vendus dans un Intermarché sous la marque de Leonidas, celle-ci n'étant pas visible sur la photographie communiquée où l'on aperçoit des chocolats dont au demeurant rien ne prouve qu'il s'agisse d'une fabrication Leonidas ;

Considérant en conséquence que Leonidas est bien en droit de faire respecter son réseau de distribution sélective et de poursuivre les agissements lui portant atteinte ;

Qu'en l'espèce, il s'impose de relever :

- que le magasin de Chartrettes, s'il était bien tenu, n'était pas une confiserie car il offrait essentiellement en vente des produits surgelés et sous l'enseigne Nicolas des vins et spiritueux,

- que les chocolats Leonidas étant présentés sur des plateaux, nombre de ceux-ci étaient, selon l'huissier saisissant, vides, l'assortiment présenté étant donc très incomplet,

- que l'huissier a noté la présence d'emballages Leonidas ayant déjà servi et tachés de chocolat,

- que malgré la proximité de la Noël, les factures mises aux débats par l'appelante, portant des dates d'octobre, novembre et décembre 1988, sont trop peu nombreuses pour convaincre qu'elle procédait à des achats de façon régulière et dans des conditions à garantir la fraîcheur et une conservation satisfaisantes des produits ; qu'au surplus, si l'appelante a effectué directement des achats en Belgique, elle par ailleurs acheté des chocolats à la société Aqua Viva de Paris, dont on ignore à quelle date cette dernière les a fait venir de Belgique ;

Considérant que de l'ensemble des faits ci-dessus, il ressort que l'appelante, qui n'est pas un distributeur agréé par Leonidas et n'a jamais demandé à l'être, a vendu des produits de cette société dans un magasin où ils subissaient le voisinage dévalorisant de surgelés et se les est procurés par des circuits parallèles parfois compliqués et selon des opportunités excluant un approvisionnement régulier ;

Que de telles pratiques ne garantissent pas l'offre à la clientèle dans un cadre approprié d'un assortiment étendu des produits Leonidas et l'impeccable fraîcheur de ces derniers;qu'elles sont par là même susceptibles de provoquer des déceptions et des mécomptes atteignant la réputation de Leonidas ;

Considérant qu'il suit de ce qui précède que les agissements de Danielle Dagneau sont de nature à désorganiser le système de vente mis en place par Leonidas ;qu'ils sont constitutifs de concurrence déloyale et ont à juste titre été condamnés par le jugement ;

Considérant que les produits litigieux, fabriqués par Leonidas, étaient emballés sous la marque Leonidas ; que l'irrégularité de leur acquisition n'est pas établie ; qu'à bon droit, la décision déférée a écarté l'atteinte à la marque alléguée par Leonidas ;

Considérant que l'interdiction sous astreinte prononcée par le jugement sera confirmée; que la réparation du préjudice de Leonidas ne sera équitable qu'avec l'adjonction aux dommages intérêts alloués par le Premier Juge de la publication de l'arrêt selon les modalités fixées au dispositif ;

Considérant que l'équité commande, compte tenu de l'appel, d'élever le montant accordé à Leonidas au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile à la somme indiquée ci-dessous ;

Par ces motifs, et ceux non contraires des premiers juges : Donne acte à l'appelante qu'elle se prénomme Danielle Yvonne et non Marcelle et qu'elle est domiciliée Villa Chèvrepied, Quai de la Ruelle à Bois le Roi ; la dit recevable mais mal fondée en son appel ; confirme le jugement en toutes ses dispositions mais ne précisant qu'il s'applique à Danielle Yvonne Dagneau et non à Marcelle Dagneau, y ajoutant, autorise la société Leonidas à publier par extraits l'arrêt dans deux journaux ou périodiques de son choix aux frais de Danielle Dagneau sans que le coût total des insertions puisse excéder 45.000 F TTC ; condamne Danielle Dagneau à payer à Leonidas en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et pour l'ensemble de la procédure, la somme de 15.000 F ; dit que l'appelante supportera les dépens de l'appel ; admet la SCP Parmentier Hardouin, avoués, au bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de procédure Civile.