CA Nîmes, 2e ch., 19 septembre 1991, n° 90-2965
NÎMES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Agence Régionale du Feu (SARL)
Défendeur :
Perrain, Société Régionale de Lutte contre Incendie (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Martin
Avoués :
SCP Tardieu, Me Fontaine
Avocats :
SCP Delran, SCP Tournier-Barnier.
Faits et procédure :
Le 1er septembre 1987 a été passé un contrat de travail entre la SARL Agence Régionale du Feu, employeur, et Georges Perrain, embauché comme directeur régional des ventes dans un secteur géographique déterminé (le Gard, l'Hérault, la partie du sud de l'Ardèche, les Pyrénées Orientales, une partie de l'Aude, les Bouches du Rhône, le Vaucluse, une partie du Var, les Alpes de Hautes Provence et les Alpes-Maritimes).
L'article 10 du contrat dispose :
" En cas de rupture du présent contrat, pour quelque raison que ce soit, le Collaborateur s'interdit pendant deux années entières et consécutives à dater de la cessation effective de ses fonctions de s'intéresser soit directement, soit indirectement par personne physique ou morale interposée, dans le secteur qui lui est confié au moment de son départ, et dans tous ceux où il aurait précédemment exercé des fonctions quelconques, ainsi que dans tous les départements limitrophes de ceux-ci, à des affaires dont l'activité est identique, similaire ou connexe à celle de l'Employeur, non plus que de s'engager à quelque titre que ce soit, associé, salarié ou mandataire, dans de telles entreprises ".
Le 27 juillet 1988, l'Agence régionale du Feu prononçait le licenciement de Perrain pour raison économique, et celui-ci cessait d'appartenir à son personnel le 29 octobre 1988 pour exploiter en tant que gérant sa propre entreprise : l'Agence régionale de lutte contre l'incendie, société à responsabilité limitée constituée le 15 septembre 1988 en vue d'une activité concurrente, à savoir la vente et la maintenance de matériel de lutte contre l'incendie.
Le 22 mars 1989 l'Agence Régionale du Feu a assigné l'Agence régionale de Lutte contre l'Incendie et Perrain personnellement en dommages et intérêts en imputant au second la violation de ses engagements tels que précisés par l'article 10 du contrat de travail et le débauchage d'anciens collaborateurs, et aux deux une concurrence déloyale caractérisée par une confusion entre les entreprises.
Par jugement contradictoire du 12 décembre 1989 le tribunal de commerce de Nîmes saisi de cette action a débouté l'Agence Régionale du Feu de sa demande au motif :
1°) que la clause de non-concurrence figurant à l'article 10 ci-dessus reproduit est nulle en ce qu'elle porte atteinte à la liberté de travail du salarié,
2°) que les manœuvres déloyales imputées aux défendeurs n'étaient pas établies.
Appel de ce jugement a été relevé le 31 août 1990 par l'Agence Régionale du Feu qui renouvelle sa demande en faisant observer :
1°) que la clause de non-concurrence est limitée dans le temps, dans l'espace et quant à la nature de l'activité interdite, et qu'elle est donc valable,
2°) que la confusion entre sa propre entreprise et celle de Perrain est caractérisée par la dénomination sociale, pratiquement la même pour un secteur géographique commun, par l'utilisation du même logo sur le papier à en-tête, par la ressemblance des imprimés, par l'établissement du siège social dans ses anciens locaux, vendus à Perrain comme maison d'habitation, et par l'utilisation de son ancien numéro de téléphone,
3°) que fin 1987 Perrain a laissé entendre à certains de ses collaborateurs qu'il allait créer sa propre entreprise et leur a proposé d'y venir.
4°) que l'Agence Régionale de Lutte contre l'Incendie a embauché Perrain et un nommé Cabrie, dans la même situation que lui, en sachant pertinemment qu'ils étaient liés par une clause de non-concurrence.
Les intimés concluent à une confirmation et à des dommages intérêts pour procédure abusive en approuvant le tribunal d'avoir déclaré nulle la clause de non-concurrence et en déniant les griefs adverses.
Chaque partie demande l'application à son profit de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Motifs :
I - Sur la validité ou la nullité de la clause de non-concurrence et sur son application
Attendu que l'appelante observe avec raison que la clause de non-concurrence figurant à l'article 10 du contrat de travail est limitée dans le temps (deux ans) et dans l'espace (une partie du sud de la France), que Perrain conservait donc immédiatement après la rupture du contrat de travail le droit d'exercer une activité concurrente et par là même de subvenir à ses besoins sur une partie importante du territoire national où les risques d'incendie ne sont pas négligeables, et que cette clause est donc valable comme ne constituant pas une atteinte à la liberté du travail ;
Attendu qu'en créant le 15 septembre 1988 et en exploitant dans les deux ans qui ont suivi la rupture du contrat de travail, dans le département du Gard, une activité identique à celle de son ancien employeur, Perrain a contrevenu à ses engagements, ce qui engage sa responsabilité contractuelle ;
II - Sur la concurrence déloyale
Attendu qu'en créant à Générac (Gard), localité où il résidait et où il exerçait ses fonctions du temps où il était directeur régional des ventes de l'Agence Régionale du Feu, une société dont la dénomination comporte des emprunts à celle de la demanderesse, Perrain a manifestement recherché une confusion dont il pourrait tirer profit auprès de la clientèle, même si cette société utilise un logo distinct et même si les autres emprunts dont elle est accusée ne reposent sur aucune preuve;
Attendu que cette confusion qu'a entretenue l'Agence Régionale de Lutte contre l'Incendie, personne morale distincte, en conservant cette appellation, et l'emploi comme gérant d'une personne qu'elle savait liée par une clause de non-concurrence avec l'Agence Régionale du Feu (puisque Perrain, son fondateur et associé, l'avait personnellement souscrite) caractérisent la concurrence déloyale et justifient l'application de l'article 1382 du code civil à l'égard des deux intimés ;
III - Sur la réparation et l'application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile
Attendu que l'appelante conclut au paiement de 200 000 F en réparation de son préjudice commercial et moral, la cessation de toute activité concurrente pendant deux ans et 10 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;
Attendu que prenant en considération la réalité du préjudice, mais aussi son caractère limité puisque l'Agence Régionale de Lutte contre l'Incendie, à la différence de l'Agence Régionale du Feu, exerce son activité dans le seul département du Gard, la Cour entend restreindre la réparation à la condamnation in solidum des intimés au paiement de 70 000 F ;
Attendu que la demanderesse est également fondée à réclamer 5 000 F en remboursement des frais irrépétibles qu'il serait injuste de laisser à sa charge ;
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort, En la forme reçoit l'appel, Au fond, infirmant la décision entreprise, Déclare Perrain personnellement responsable de l'inobservation de son engagement de non-concurrence, Déclare Perrain à titre personnel et la SARL Agence Régionale de Lutte contre l'Incendie coupable de manœuvres déloyales envers la SARL Agence Régionale du Feu, Condamne in solidum Perrain à titre personnel et la SARL Agence Régionale de Lutte contre l'Incendie à payer à la SARL Agence Régionale du Feu 70 000 F de dommages intérêts et 5 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, Rejette toute autre demande comme non fondée, Condamne in solidum Perrain et la SARL Agence Régionale de Lutte contre l'Incendie aux dépens de première instance et d'appel, Ordonne distraction des dépens d'appel au profit de la SCP Tardieu, avoués, qui affirme y avoir pourvu.