CA Paris, 4e ch. B, 12 septembre 1991, n° 89-12240
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Nativelle
Défendeur :
Simwiller (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Poullain
Conseillers :
MM. Gouge, Audouard
Avoués :
SCP d'Auriac Guizard, SCP Jobin
Avocats :
Mes Gayot, Vilar.
Suivant contrat en date du 9 décembre 1985, Monsieur et Madame Nativelle ont concédé à l'Agence Villone, aujourd'hui société Simwiller, l'exclusivité de la distribution et de la vente des vins du domaine de Coyeux dont ils sont propriétaires ;
Cette concession exclusive visait la clientèle de restaurants, CHR, épicerie fine, comestibles, traiteurs, gros et demi-gros, comités d'entreprise et les secteurs géographiques suivants Paris, Yvelines, Essonne, Hauts de Seine, Oise, Seine Saint Denis, Val de Marne, Val d'Oise et Seine et Marne ;
Prétextant que Monsieur et Madame Nativelle s'étaient refusés à livrer des commandes qu'elle leur avait adressées et qu'ils commettaient des actes de concurrence déloyale, la société Simwiller, après requête aux fins d'assigner à jour fixe, a fait assigner Monsieur Yves Nativelle devant le tribunal de commerce de Créteil, en interdiction de vente dans le secteur concédé en exclusivité, en désignation d'expert et en paiement de la somme de 360.000 F en réparation du préjudice financier, de celle de 100.000 F en réparation du préjudice moral et de celle de 100.000 F du fait de la rupture unilatérale du contrat d'exclusivité, outre 15.000 F au titre de l'article 700 du NCPC ;
Monsieur Yves Nativelle avait soulevé l'incompétence du tribunal de commerce de Créteil au profit du tribunal de grande instance de Carpentras et l'irrecevabilité de la demande faute de mise en cause de Madame Nativelle ;
I- Le jugement entrepris
Par jugement du 9 mai 1989 le tribunal de commerce de Créteil s'est déclaré compétent, a constaté l'existence d'actes de concurrence déloyale de la part de Monsieur Yves Nativelle à l'égard de la société Simwiller ; le Tribunal a reçu la mise en cause de Monsieur Nativelle en qualité de propriétaire-exploitant sous l'enseigne "domaine de Coyeux" et constaté son refus de livrer ; il a donné acte à la société Simwiller de ce que Madame Nativelle cosignataire du contrat était appelée dans la cause, et a désigné un huissier de justice pour notamment établir le compte entre les parties et donner tout élément permettant de déterminer la réalité du préjudice subi ;
II- La procédure d'appel :
Monsieur Nativelle a relevé appel de cette décision le 22 juin 1989 et saisi la Cour le 28 juin 1989 ;
Dans ses écritures d'appel Monsieur Nativelle a repris l'exception d'incompétence soulevée devant les premiers juges et revendiqué la compétence du Tribunal de grande Instance de Carpentras ; il a également maintenu le moyen d'irrecevabilité tenant au fait que Madame Nativelle n'était pas présente en la cause ; il a enfin conclu subsidiairement à ce que le jugement de première instance soit déclaré non avenu pour non respect des règles du contradictoire et particulièrement de l'article 76 du NCPC ; subsidiairement encore, outre le rejet de la demande principale, il a sollicité la condamnation de la société Simwiller à la somme de 150.000 F pour son préjudice moral et matériel, l'interdiction pour la société Simwiller d'utiliser le modèle d'étiquette "Baron de Rhotalien" et ce sous astreinte, la restitution également sous astreinte de documents douaniers relatifs à diverses factures et 20.000 F au titre de l'article 700 du NCPC ;
En sens contraire, la société Simwiller a conclu à la confirmation du jugement entrepris, elle a réclamé le paiement de la somme de 560.000 F en réparation du préjudice subi, et subsidiairement dans l'attente du rapport, une provision de 300000 F ; elle a demandé en outre 50.000 F pour contrefaçon d'étiquettes et 30.000 F au titre de l'article 700 du NCPC ;
Sur ce, LA COUR,
Considérant qu'au soutien de son exception d'incompétence, Monsieur Nativelle a invoqué les dispositions de l'article 638 du code de commerce, qu'il a reproché au tribunal de n'avoir pas fait application de cet article, d'avoir estimé que son exploitation était une "véritable entreprise commerciale" par la signature de contrats de distribution, l'émission de factures, la publicité et d'avoir considéré que l'existence d'actes de concurrence déloyale qui selon le Tribunal sont des actes "objectivement commerciaux" justifiaient la compétence du Tribunal de commerce ;
Considérant que la société Simwiller a soutenu que la compétence du tribunal de commerce était justifiée en particulier par la réelle et importante activité commerciale du domaine de Coyeux et par les actes de concurrence déloyale ;
Considérant, ceci étant exposé, que l'article 638 du code de Commerce énonce : " Ne seront point de la compétence des Tribunaux de Commerce les actions intentées contre un propriétaire cultivateur ou vigneron pour ventes de denrées provenant de son cru " ;
Considérant que la loi considère donc comme un acte civil la vente des denrées provenant du cru du vigneron ; que ce sont exclusivement des opérations d'écoulement de sa production qu'a effectué Monsieur Nativelle en signant avec la société intimée le contrat litigieux ; qu'il importe peu dès lors que pour les besoins de ces opérations de vente, Monsieur Nativelle ait passé des contrats de distribution, émis des factures et fait de la publicité, indirectement retenus comme "actes à caractère commercial" par le Tribunal ; que de même, l'importance de la vente n'est pas de nature à en modifier le caractère civil dans la mesure où il ne s'agit que de l'écoulement de la production d'un vigneron ; que la société Simwiller n'apporte à cet égard pas la preuve que le contrat ait eu pour objet la vente par Monsieur Nativelle de vin ne provenant pas de son cru ;
Que, par ailleurs,les actes de concurrence déloyale ne saurait être considérés a priori comme des actes commerciaux; que si tel était le cas, il suffirait au demandeur d'imputer à son adversaire même non commerçant, des actes de concurrence déloyale pour l'attraire devant la juridiction commerciale ; que les actes de concurrence déloyale peuvent être appréciés aussi par la juridiction civile lorsque le défendeur n'est pas commerçant, ce qui est le cas en l'espèce;
Considérant que la connaissance de cette affaire aurait dû normalement être déférée en première instance à un tribunal de grande instance, le contrat de vente de vins du domaine de Coyeux étant un contrat civil; que le seul tribunal de grande instance proposé par Monsieur Nativelle était celui de son domicile à Carpentras ; que la société Simwiller n'a pas proposé d'autre juridiction territorialement compétente; qu'il y a donc lieu de retenir la compétence du tribunal du lieu de domicile du défendeur ; que conformément à l'article 79 du NCPC cette affaire sera donc soumise à la compétence de la cour d'appel de Nîmes qui est la juridiction d'appel relativement à la juridiction qui eut été compétente en première instance ;
Considérant qu'il est équitable de laisser à chaque partie la charge de ses frais non taxables ; qu'en revanche la société Simwiller qui succombe sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel ;
Par ces motifs, Infirme le jugement du tribunal de commerce du 9 mai 1989 qui s'est déclaré à tort compétent, Statuant à nouveau sur la compétence, Déclare le tribunal de Commerce de Créteil incompétent pour connaître le litige né du contrat du 9 décembre 1985 entre Monsieur et Madame Nativelle et l'Agence Villone aujourd'hui société Simwiller, Vu l'article 79 du NCPC, Renvoie en conséquence la connaissance de ce litige à la Cour d'appel de Nîmes, Dit n'y avoir lieu à paiement de frais irrépétibles, Condamne la société Simwiller aux dépens de première instance et d'appel ; admet pour ceux d'appel la SCP d'avoués d'Auriac Guizard au bénéfIce de l'article 699 du NCPC.