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Décisions

CA Dijon, 1re ch. sect. 1, 5 septembre 1991, n° 1046

DIJON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Pompes Funèbres européennes du Creusot (SARL)

Défendeur :

Pompes Funèbres Générales (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ruyssen

Conseillers :

Mme Richard, M. Jacquin

Avoués :

SCP Avril-Hanssen, SCP Bourgeon-Delignette

Avocats :

Mes Giafferi, Duminy.

T. com. Dijon, prés., du 19 juin 1991

19 juin 1991

Exposé de l'affaire

Au motif que la SARL " Pompes Funèbres européennes du Creusot ", qui exploite un établissement secondaire à Dijon, utilisait de façon trompeuse et mensongère le prénom et le patronyme " Michel Leclerc ", la SA Pompes funèbres générales a saisi en référé le président du tribunal de commerce de Dijon. Par ordonnance du 19 juin 1991, ce magistrat :

- a interdit à la défenderesse d'utiliser le patronyme de Leclerc, précédé ou nom du prénom de Michel, sous astreinte définitive de 2 000 F par infraction constatée, passé un délai de quarante-huit heures après la signification de sa décision,

- l'a condamnée au paiement d'une somme de 4 000 F, en vertu de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Les Pompes funèbres européennes du Creusot - DIRCI Michel Leclerc ont fait appel de cette décision. Elles soutiennent :

- que le tribunal de grande instance est seul compétent pour statuer sur une demande civile concernant une marque, par application de l'article 24 de la loi du 31 décembre 1964 ;

- qu'il n'existe aucun trouble manifestement illicite, lequel supposerait un préjudice dont la preuve n'est pas rapportée, mais au contraire contestation sérieuse ;

- que les Pompes funèbres générales se prévalent à tort d'arrêts de la Cour d'appel de Paris auxquels elles n'étaient pas parties et qui ne se trouvent donc pas revêtus de l'autorité de la chose jugée au sens de l'article 1351 du code civil ;

- qu'au demeurant, si ces décisions interdisent à M. Michel Leclerc de faire usage de son nom, ce n'est que dans le domaine des marques, l'article L. 362-9 du code des communes imposant aux entreprises des pompes funèbres de faire figurer le nom de leur directeur dans leur enseigne et documents commerciaux,

- que, sur le plan pénal, le juge des référés est incompétent pour dire si les éléments constitutifs du délit de publicité mensongère sont réunis,

- qu'il ne saurait y avoir d'ailleurs en l'espèce publicité mensongère, en premier lieu en raison des exigences de l'article L. 362-9 du code des communes, en deuxième lieu parce que M. Michel Leclerc est bien employé en tant que directeur commercial, enfin parce que nul ne peut se voir interdire l'usage de son propre nom pour ses activités commerciales (articles 10 et 14 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 6 de la première directive du conseil des communautés en date du 21 décembre 1988),

- que la recevabilité de l'action en concurrence déloyale exercée par les Pompes Funèbres générales supposerait que celles-ci exercent leur monopole à Dijon conformément au droit interne et au droit communautaire, ce qui n'est pas le cas.

Les Pompes funèbres générales concluent à la confirmation de l'ordonnance, tout en réclamant une somme de 10 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile. Elles font valoir :

- que Michel Leclerc cherche à profiter de la notoriété des Centres créés par son frère Edouard, selon un procédé de parasitisme que la Cour d'appel de Paris a stigmatisé dans des arrêts des 28 mars 1985 et 22 mars 1990,

- que son adversaire utilise ainsi une publicité trompeuse, de nature à induire en erreur, au sens de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973,

- que le président du tribunal de commerce n'aurait été incompétent que s'il avait été saisi d'une affaire de contrefaçon de marque, ce qui n'était pas le cas,

- que la victime d'une infraction pénale est libre d'agir devant le juge civil,

- qu'une telle action en référé pour publicité trompeuse pourrait être exercée par tous les concurrents des Pompes Funèbres européennes,

- que l'appelante détourne de leur sens les dispositions de l'article L. 362-9 du code des communes, surtout si l'on considère que M. Michel Leclerc fait l'objet d'une interdiction de gérer une société commerciale,

- que les textes communautaires invoqués sont étrangers au présent débat.

Discussion

Attendu que les Pompes Funèbres européennes ont publié dans deux quotidiens bourguignons, les 6 et 9 mars 1991, des annonces, qui faisaient état de la création d'une agence à Dijon, en mettant en relief les mots " directeur commercial Michel Leclerc " ; que la presse locale s'est ensuite faite l'écho de l'ouverture du magasin, en insistant sur la personnalité de M. Michel Leclerc et sur la modicité des prix envisagés ; que, sur les photographies de la devanture, le nom de Michel Leclerc apparaît comme l'élément quasi-primordial de l'enseigne ;

Attendu que l'action engagée par les Pompes Funèbres générales devant le président du tribunal de commerce de Dijon ne se fonde pas sur le droit des marques ; que l'appelante le reconnaît elle-même dans ses conclusions en parlant de " concurrence déloyale " et en renvoyant son adversaire à saisir pour tromperie la juridiction répressive " ;

Attendu que le juge des référés commerciaux tient de l'article 873 du Nouveau code de procédure civile le pouvoir de prescrire, même en présence d'une contestation sérieuse, les mesures conservatoires qui s'imposent pour prévenir un danger imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite ; qu'en dehors de toute saisine du juge pénal, ce texte peut trouver application pour mettre fin à une opération commerciale, fondée sur une tromperie avérée, qui violerait les principes d'un saine concurrence ; qu'en l'espèce, le moyen d'incompétence soulevé par les Pompes Funèbres européennes est donc mal fondé ;

Attendu que le premier juge a considéré à bon droit que les Pompes Funèbres européennes utilisaient de façon ostentatoire le nom de Michel Leclerc pour profiter abusivement de la renommée acquise depuis de nombreuses années par les " Centres Leclerc " et détourner ainsi à son profit une clientèle attirée par " l'esprit des magasins Leclerc "; qu'un exemple significatif de cette confusion volontairement entretenue dans le public est fourni par une lettre d'une dame Vitu, que les Pompes funèbres générales versent aux débats et dont rien ne permet de contester l'authenticité ;

Attendu qu'en invoquant l'article L. 362-9 du code des communes, l'appelante fait preuve d'un singulier souci de légalisme ; que ce texte, qui devrait la conduire à indiquer le nom de son gérant, ne lui impose nullement de mettre en exergue, comme elle le fait, le nom de Michel Leclerc, directeur-commercial ; qu'il n'est pas sérieux, au demeurant, de prétendre que celui-ci exerce une responsabilité effective dans une agence qui lui a versé un salaire symbolique de 1.212 F en mars 1991 et de 2.185 F en mai 1991 ; qu'il y a ici encore détournement manifeste de la loi dans le seul but de justifier une profitable confusion ;

Attendu que les Pompes Funèbres européennes se réfèrent également à tort au droit communautaire ; que les articles 10 et 14 de la convention européenne des droits de l'homme, qui garantissent la liberté d'expression et interdisent les discriminations, sont étrangers au présent débat ; qu'il en va de même pour la première directive du 21 décembre 1988 relative au rapprochement des législations européennes en matière de marque, étant observé au surplus que l'article 4-3 de ce texte permet expressément d'écarter une marque nouvelle identique à une marque déjà enregistrée, même s'il s'agit de produits ou de services différents, si la marque antérieure jouit d'une certaine renommée ;

Attendu enfin que le dernier moyen de la société appelante doit être rejeté comme les précédents ; que les conditions dans lesquelles les Pompes Funèbres exercent à Dijon leurs prérogatives de concessionnaire du service municipal sont sans incidence sur la recevabilité d'une action qui, visant à interdire une publicité trompeuse, pourrait être exercée par n'importe quel concurrent, bénéficiant ou non d'un monopole ;

Qu'il s'ensuit que la décision du premier juge mérite entière approbation ;

Et attendu que l'équité commande d'allouer à l'intimée, pour ses frais irrépétibles d'appel, une somme de 6 000 F qui s'ajoutera à celle accordée en première instance ;

Par ces motifs, LA COUR, confirme, en toutes ses dispositions, l'ordonnance attaquée ; y ajoutant, condamne la SARL Pompes Funèbres européennes du Creusot - Dirci Michel Leclerc à payer à la société Pompes Funèbres générales la somme de 6 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; la condamne aux dépens d'appel, avec possibilité de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.