CA Lyon, ch. des urgences, 17 juillet 1991, n° 5967-90
LYON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Pompes funèbres Comtet, Pompes funèbres régionales Taton
Défendeur :
Centre funéraire Rolet (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Karsenty
Conseillers :
M. Roux, Mme Robert
Avoués :
SCP Aguiraud, Me Magnillat
Avocats :
Mes Storelle, Pelet.
Faits, procédure, prétentions et moyens des parties :
Messieurs Comtet et Taton exploitant l'un et l'autre une entreprise de pompes funèbres respectivement implantées sur les communes de Viriat et de Pont de Vaux, se prévalant des actes de concurrence déloyale commis à leur préjudice par le Centre funéraire Rolet installé à Pont de Vaux par la diffusion, à fins publicitaires, d'informations mensongères voire diffamatoires, l'ont fait assigner en référé devant le Président de Tribunal de Commerce de Bourg-en-Bresse aux fins de cessation immédiate sous astreinte de ces pratiques et paiement d'une indemnité provisionnelle de 20.000 francs à valoir sur leur préjudice outre 5 000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile (NCPC).
Par ordonnance du 07.11.90, le juge des référés écartant l'exception de nullité de l'assignation soulevée en défense a retenu l'existence d'une contestation sérieuse pour se déclarer incompétent et renvoyer les requérants à se pourvoir au fond.
Appelants de cette décision ceux-ci font valoir que l'existence du trouble illicite qu'ils invoquent est manifeste dès lors qu'ils produisent un procès-verbal de constat démontrant l'apposition par le centre funéraire Rolet de placards publicitaires comportant des allégations mensongères sur les tarifs qu'ils pratiquent et la validité des contrats de concession dont ils se prévalent : ils s'estiment de ce fait fondés en vertu de l'article 872 du NCPC à se prévaloir du trouble illicite que constituent les pratiques de concurrence déloyale pour voir ordonner la dépose immédiate de ces placards sous astreinte de 1 000 francs par jour de retard, et par infraction constatée ainsi que l'allocation d'une indemnité provisionnelle de 20 000 francs outre 5 000 francs pour frais irrépétibles.
Le Centre Funéraire Rolet qui conclut au principal à la confirmation de l'ordonnance entreprise fait également valoir :
- que tant l'assignation que la déclaration d'appel sont nulles pour avoir été régularisées du nom des " entreprises " Comtet et Taton, dépourvues de toute existence juridique,
- que l'action soulève une question préjudicielle relevant de la compétence du Tribunal Administratif tenant à la validité contrat de concession exclusive dont les acquérants se prétendent titulaires,
- qu'en tout état de cause, les requérants ne rapportent pas la preuve du caractère illicite de la publicité incriminée dès lors qu'ils ne démontrent pas la fausseté des informations qu'elle contient et que le document litigieux ne les vise pas nommément,
- qu'ils n'ont fait précéder l'instance d'aucune mise en demeure et que le procès-verbal de constat qu'ils produisent n'est pas contradictoire.
Il conclut donc au rejet de leurs prétentions, et à leur condamnation au paiement d'une indemnité de 10 000 francs sur le fondement de l'article 700 du NCPC outre 5 000 francs au titre de l'article 32 du NCPC
Motifs et décision :
1 - Sur la nullité des actes de procédure :
Attendu qu'aux termes de leur exploit d'assignation et de leur déclarations d'appel, les requérants se sont désignés sans la terminologie impropre " d'entreprise " ensuite dépourvue d'existence juridique ; que cette irrégularité de pure forme n'est pas plus de nature à entacher les actes de nullité ; que l'emploi par le défendeur de la terminologie tant aussi impropre de " centre ", dans la mesure où les requérants, par la mention sur l'assignation de leur numéro d'immatriculation au registre du commerce ont clairement indiqué la nature de leur exploitation en nom personnel et qu'il n'est donc pas justifié d'un quelconque grief pour absence d'identification précise des demandeurs.
2 - Sur l'existence d'une voie de fait :
Attendu que l'intimé ne conteste pas avoir mis à la disposition du public, sur un présentoir installé en devanture de son établissement un tract publicitaire dont un exemplaire était apposé sur la vitrine, ainsi libellé
Autant le savoir
Le Centre Funéraire est en mesure d'assurer l'ensemble du Service, sans intermédiaire, d'où une économie non négligeable pour la famille.
Qu'en est-il exactement ?
Examinons le cas d'un décès à Mâcon, transport à domicile à Chavannes et inhumation à Chavannes ;
Coût des opérations et services assurés :
Par une entreprise de Pont de Vaux qui sous-traite une partie des services avec les Pompes Funèbres Générales :
7 296,55
Coût par nos soins, pour l'ensemble du service, sans aucune sous-traitance :
6 289,20
Économie pour la famille :
1 007,35
L'économie est encore plus importante en cas de Mise en bière, par nos soins, à l'hôpital de Mâcon ou au Funérarium de Sancé.
Nous rappelons aux familles qui veulent avoir recours à nos services :
- que les hôpitaux de Mâcon, Viriat, n'assurent pas leur services mortuaire (qu'il convient à cet effet de prendre contact directement avec notre permanence, 24 h / 24)
- de refuser toute offre de service à l'intérieur des hôpitaux, Établissements de soins et de retraite, Chambres funéraires, Mairies...
-de faire attention aux entreprises qui se réclament de soi-disant Monopole ou exclusivité qu'elles n'ont pas ou dont le contrat n'a aucune valeur juridique (c'est le cas de Pont de Vaux, St Triviers de Courtes, Viriat, Mâcon) et de nombreux contrats de cimetières aux alentours.
Bernard Rolet
Notre permanence 24 h / 24
85 39 20 96
Que si le procédé de publicité comparative ainsi employé dans ce tract n'est pas en elle-même constitutive d'un trouble manifestement illicite, c'est à la condition que les indications données quant aux prix pratiqués soient parfaitement exactes, et qu'elles se rapportent à des produits ou des prestations identiques quant à leur nature et leur qualité et quant aux conditions dans lesquelles ils sont offerts à la vente.
Or attendu qu'en espèce, le Centre funéraire Rolet auquel incombe la charge de la preuve de la véracité et de la sincérité des informations portées à la connaissance du public, n'est pas en mesure de justifier de l'exactitude des chiffres qu'il avance comme étant ceux pratiqués par les entreprises concurrentes du secteur ni de la similitude des prestations comparées, qu'il ne rapporte pas davantage la preuve de l'inexistence ou de l'irrégularité des contrats de concession en vertu desquels les entreprises concurrentes visées dans le document exerceraient leurs activités.
Que dans ces conditions la diffusion de ce tract publicitaire constitue un procédé de dénigrement par le discrédit porté à la fois sur la régularité des contrats de concession dont les entreprises concurrentes sont titulaires et sur le caractère prétendument excessif des prix qu'elles pratiqueraient à la faveur de l'exploitation abusive de monopoles.
Attendu en conséquence que Messieurs Taton et Comtet sont bien fondés à se prévaloir de cette publicité comme constitutive d'une atteinte illicite à leurs droits dans la mesure où, respectivement titulaire de contrats de concession sur les communes de Pont de Vaux et de Viriat, ils sont visés de façon implicite, mais non équivoque par les allégations ainsi diffusées par le Centre funéraire Comtet leur concurrent direct dans le but manifeste de détourner à son profit une partie de leur clientèle potentielle par l'attrait d'une économie présentée comme substantielle sur le prix des prestations et services fournis.
Que sur le fondement des dispositions de l'article 873 du NCPC autorisant le juge des référés, même en présence d'une contestation sérieuse, à prescrire toute mesure de remise en état qui s'impose pour faire cesser un trouble manifestement illicite, il convient donc de réformer l'ordonnance entreprise et d'ordonner le retrait immédiat droit des documents publicitaires litigieux dès la signification de la présente décision à peine d'une astreinte définitive de 1 000 francs par jour de retard ou par nouvelle infraction constatée.
Attendu par contre que faute par les appelants d'avoir versé aux débats le moindre élément d'appréciation du préjudice que les voies de fait incriminés leur ont causé, il convient de considérer que la créance du dommages intérêts qu'ils invoquent est contestable en son montant et ne peut donc donner lieu à paiement par provision.
Qu'il serait inéquitable de laisser à leur charge les frais non répétibles qu'ils ont dû exposer dans la présente instance.
Par ces motifs : LA COUR, Déclare l'appel recevable très fondé, Réforme en conséquence l'ordonnance entreprise et statuant à nouveau, Ordonne le retrait immédiat par Monsieur Bernard Rolet, dirigeant de la Société " Centre funéraire Rolet " des documents publicitaires exposés et diffusés à l'entrée de ses établissements six avenue Delattre de Tassigny à Pont de Vaux et ce, dès la signification du présent arrêt à peine d'une astreinte définitive de 1 000 francs par jour de retard et par réitération d'infraction constatée, Débouté en l'état Messieurs Taton et Comtet de leur demande en paiement, Condamne la Société Centre funéraire Rolet à verser à chacun des appelants une indemnité de 3 000 francs sur le fondement de l'article 700 du NCPC, Le condamne aux dépens de 1re instance et d'appel avec droit de recouvrement direct de ceux d'appel au profit de la SCP d'avoués Aguiraud.