Livv
Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 1 juillet 1991, n° 89-20085

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Editions Chiron (SA)

Défendeur :

Amphora (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosnel

Conseillers :

Mme Mandel, M. Boval

Avoués :

SCP Bernabe, SCP d'Auriac Guizard

Avocats :

Mes Ruellan, Odinot.

T. com. Paris, 1re ch., du 11 sept. 1989

11 septembre 1989

Statuant sur l'appel formé le 31 octobre 1989 par la Société Editions Chiron d'un jugement rendu le 11 septembre 1989 par le Tribunal de Commerce de Paris (1re chambre) la condamnant pour des agissements de concurrence déloyale commis au préjudice de la Société Amphora, ensemble sur l'appel incident de cette dernière.

Faits et procédure

La Société Editions Chiron (ci-après Chiron) a publié son ouvrage intitulé " Votre sport favori le Triathlon " comportant une bibliographie critique recouvrant un certain nombre d'ouvrages ayant rapport avec le triathlon ou le sport en général ;

Estimant que les appréciations faites sur les quatre ouvrages par elle édités qui y sont cités sont de nature à en dissuader la lecture et à la dénigrer, Amphora qui comme Chiron, est un éditeur spécialisé dans l'édition et la distribution d'ouvrages consacrés au sport a, suivant assignation du 28 février 1989, saisi le Tribunal de Commerce de Paris d'une demande tendant

- à faire ordonner le retrait immédiat de l'ouvrage " Votre sport le triathlon " sous astreinte de 1.000 F par jour de retard à compter la signification du jugement,

- à faire dire que sa commercialisation ne pourra reprendre qu'après suppression des pages 229 et suivantes,

- à faire condamner Chiron à lui payer une indemnité de 500.000 F outre une somme de 20.000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

sollicitant en outre trois publications par voie de presse du jugement requis, le tout avec exécution provisoire.

Par le jugement déféré du 11 septembre 1989, le Tribunal a retenu à l'encontre de Chiron des agissements de concurrence déloyale et l'a condamnée à payer à Amphora une indemnité égale à dix francs hors taxes par exemplaire vendu depuis la publication de l'ouvrage incriminé ou qui sera vendu dans l'avenir aussi longtemps que l'ouvrage n'aura pas été rectifié comme il le précise dans la limite d'une indemnité totale de 100.000 F HT ;

Il a également dit que Chiron devra modifier à partir de la prochaine édition le contenu de la bibliographie incluse dans cet ouvrage pour tenir compte de sa décision et des motifs de celle-ci ;

Enfin il a condamné Chiron à payer à Amphora la somme de 5.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC ;

Appelante suivant déclaration du 26 octobre 1989, Chiron qui conclut à l'infirmation intégrale du jugement, demande à titre subsidiaire à la Cour d'ordonner à Amphora de justifier d'une baisse de son chiffre d'affaires postérieurement aux faits incriminés et elle forme une demande de 6.000 F pour ses frais hors dépens.

Amphora, qui insiste sur le fait que l'appelante est une concurrente directe, conclut au débouté de ses prétentions et à la confirmation sur le principe de la concurrence déloyale.

Formant appel incident, elle réitère devant la Cour l'intégralité de ses demandes initiales.

Discussion

Considérant que l'appelante expose que les auteurs de l'ouvrage incriminé Didier Bertrand et Didier Lehenaf ont fait part dans cette bibliographie de leurs sentiments personnels mais ont tenu très sportivement à mettre en garde contre la spontanéité des appréciations portées en faisant précéder leur bibliographie du commentaire suivant :

" Appel à la modestie ! ! !

Nous ne prétendons pas (loin de nous cet orgueil !) être habilités à juger du bien-fondé et de la valeur des ouvrages que nous avons présentés en bibliographie ; il ne s'agit là, à nos yeux et aux vôtres nous l'espérons que d'un guide fondé sur des sentiments, des impressions consécutives à leur lecture.

Nous demandons donc l'indulgence à ceux qui se trouveraient en désaccord avec nous et bien évidemment aux auteurs critiqués ".

Considérant que quoique Chiron prétende que les commentaires des deux auteurs sont émis dans un esprit critique tantôt favorable, tantôt défavorable et ne sont pas systématiquement défavorables pour les ouvrages édités par Amphora, cette dernière est fondée à lui faire grief d'un dénigrement caractérisant la concurrence déloyale ;

Qu'en effet de son ouvrage intitulé " le Triathlon " il est dit :

" Si vous l'apercevez, fuyez ! Votre porte monnaie vous en sera reconnaissant " ;

Que l'ouvrage " les Cyclistes en question " qu'elle a publié en 1983 lui vaut la mention suivante :

" une dizaine de pages sur l'ensemble du livre... à vous de juger si cela mérite le " détour " " ;

Qu'un autre ouvrage publié en 1987 sous le titre " Programmer sa musculation " est qualifié " Non indispensable ! ! ! " tandis que " Diététique du sportif " paru la même année est présentée comme " un bien médiocre remake " ;

Qu'il est à noter que dans les mêmes disciplines ou matières, les ouvrages publiés par Chiron sont qualifiés " d'excellents ouvrages " ou encore " obligatoire... ouvrage parfaitement illustré... " ou encore " condensé de l'oligothérapie à ne pas manquer " ;

Considérant quil est manifeste que venant d'un concurrent de telles critiques formulées dans une intention de dissuasion eu égard aux termes ci-avant rappelés, constituent un dénigrement et une incitation à la clientèle à se détourner des ouvrages publiés par Amphora et à porter son intérêt sur ceux de Chiron;

Que c'est donc avec raison que le Tribunal a reconnu bien fondé le grief de la concurrence déloyale et a condamné Chiron à réparer la préjudice incontestablement subi par Amphora ;

Qu'il convient de confirmer sa décision sauf en ce qui concerne les dommages-intérêts qui seront dès à présent fixés à 100.000 F ;

Que l'appel incident de l'intimé n'est pas davantage fondé que l'appel principal qui l'a provoqué ;

Considérant qu'il serait toutefois inéquitable de laisser supporter par Amphora l'entière charge des frais non taxables de procédure par elle exposés ; qu'à la somme de 5.000 F allouée par le Tribunal il convient d'ajouter une somme complémentaire de 5.000 F pour ceux engagés devant la Cour ;

Considérant que Chiron succombant en toutes ses prétentions devra garder la charge intégrale de ses frais hors dépens ;

Par ces motifs, et ceux non contraires des premiers juges, Confirme en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de Commerce de Paris (1re chambre) du 11 septembre 1989 sauf en ce qui concerne les dommages-intérêts, Réformant de ce chef, statuant à nouveau et ajoutant au jugement, Condamne la Société Editions Chiron à payer à la Société Amphora : 1°/ la somme de Cent mille francs (100.000 F), 2°/ la somme supplémentaire de Cinq mille francs (5.000 F) au titre de l'article 700 du Nouveau code de Procédure Civile, La condamne aux dépens d'appel tant principal qu'incident. Admet la SCP Bernabe Avoués au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau code de Procédure Civile.