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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 4 juin 1991, n° 89-022555

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Corbin

Défendeur :

Ezil CFB Communication (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosnel

Conseillers :

Mme Mandel, M. Boval

Avoués :

Me Dampenon, SCP Bernabe Ricard

Avocats :

Mes Vauthelin, Laroche.

T. com. Paris, 18e ch., du 22 sept. 1989

22 septembre 1989

Statuant sur l'appel interjeté par Madame Christine Grimault, épouse Corbin, exerçant le commerce sous la dénomination " Cabinet Grimault Corbin " à l'encontre d'un jugement rendu le 22 septembre 1989 par le Tribunal de Commerce de Paris dans un litige l'opposant à la société Ezil, ensemble sur les demandes incidentes des parties.

Faits et procédure

Le jugement entrepris comporte un exposé complet des faits, des prétentions respectives des parties, et de la procédure en première instance. Il y est ici expressément fait référence.

La société Ezil, constituée en janvier 1985 avec pour objet principal la commercialisation de vêtements, a entrepris début 1986 de développer une activité de conseil en communication financière, en vendant un produit dit " Kit événementiel " par lequel elle promettait, moyennant une rémunération forfaitaire, de présenter dans un laps de temps très court, des informations concernant une entreprise sur trois supports (télévision, radio, presse écrite), à l'occasion d'un événement affectant la vie de cette entreprise.

A partir de janvier 1987, Ezil a demandé à Madame Grimault Corbin, ayant une formation d'attachée de presse et exerçant une activité de conseil en relations publiques sous la dénomination " Cabinet Grimault Corbin ", de lui apporter son concours pour l'exécution des prestations comprises dans les " Kits événementiels ".

En mai 1987, Ezil et Madame Grimault Corbin ont convenu de structurer leurs relations commerciales en constituant un GIE, sous la dénomination de " CFB Communication ", déjà utilisée par Ezil, depuis 1986, pour désigner son département communication.

Les statuts ont été signés le 25 mai 1987, puis enregistrés le 3 novembre 1987, mais le GIE n'a jamais été immatriculé, au motif, selon Ezil, que l'évolution de la réglementation de l'audiovisuel et le krach boursier de l'automne 1987 ont rendu impossible la commercialisation de nouveaux " Kits événementiels " ;

En décembre 1987, Madame Grimault Corbin a constitué avec son mari une société Infracom, ayant comme objet statutaire les prestations de services liées à la création, l'édition, la publicité, la communication.

Les relations entre Ezil et Madame Grimault Corbin se sont profondément dégradées au printemps 1988, et le 13 mai 1988, Madame Grimault Corbin a écrit à Ezil pour réclamer la dissolution de leur GIE et " le partage de leur clientèle ".

Ezil ayant refusé de donner suite à ces demandes en estimant que la clientèle lui était exclusivement attachée, Madame Grimault Corbin l'a fait assigner en référé devant le Président du Tribunal de Commerce de Paris, pour obtenir la désignation d'un administrateur provisoire chargé notamment de répartir l'actif de la société en participation qui aurait existé, selon elle, entre les parties.

Maître Pesson désigné comme enquêteur n'a pu parvenir à des conclusions précises, et les parties ont été renvoyées à se pourvoir au fond.

Par acte du 22 septembre 1988, Madame Grimault Corbin a fait assigner Ezil devant le tribunal de Commerce, demandant à celui-ci de constater qu'il avait existé une société en participation, et qu'Ezil refusait qu'il soit procédé à un partage équitable de la clientèle développée en commun. Elle réclamait que son adversaire soit condamnée à lui payer principalement les sommes de 1 003 910 F à titre d'indemnité de clientèle et de 516 955 F pour son préjudice commercial, ainsi que celle de 227 499,96 F en règlement de prestations fournies et non payées.

Ezil a conclu au débouté en soutenant essentiellement que Madame Grimault Corbin n'avait nullement été son associée, mais simplement l'un de ses sous-traitants, et qu'elle avait commis à son préjudice des actes de concurrence déloyale. Reconventionnellement, elle a demandé que son adversaire soit condamnée notamment à lui payer les sommes de 600 000 F et de 100 000 F à titre de dommages-intérêts, respectivement pour détournement de clientèle et pour dénigrement, ainsi que celle de 52 334,03 F en paiement de diverses factures.

Par jugement du 22 septembre 1989, le Tribunal de Commerce a pour l'essentiel débouté Madame Grimault Corbin de ses demandes. Retenant à son encontre le grief de concurrence déloyale, il l'a condamnée à payer à Ezil les sommes de 250 000 F et 50 000 F à titre de dommages-intérêts pour détournement de clientèle et pour préjudice moral, ainsi qu'une indemnité de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile. Il a enfin commis un huissier constatant chargé de faire les comptes entre les parties pour leurs factures respectives.

Appelante suivant déclaration du 17 octobre 1989, Madame Grimault Corbin poursuit la réformation intégrale du jugement sauf en ce qui concerne la désignation du constatant. Elle prie la Cour de condamner Ezil à lui payer à titre d'indemnité de clientèle la somme de 1 003 910 F, celle de 511 955 F en réparation de son préjudice commercial, 8 000 F en remboursement des honoraires de Me Pesson, et 50 000 F pour ses frais irrépétibles.

Ezil conclut à la confirmation pure et simple du jugement et sollicite une indemnité complémentaire de 50 000 F pour ses frais non taxables de procédure.

Discussion

Sur la nature des relations ayant existé ente les parties

Considérant que Madame Grimault Corbin fait grief au Tribunal d'avoir écarté ses prétentions selon lesquelles il aurait existé entre elle-même et Ezil une société en participation, lui permettant de prétendre à un partage par moitié de la clientèle ;

Considérant que l'appelante reconnaît avoir travaillé en sous-traitance d'Ezil jusqu'en Mai 1987, mais prétend, qu'à partir de cette date, les parties ont décidé de collaborer sur un pied d'égalité et ont exprimé la nouvelle nature de leurs relations en signant les statuts du GIE CFB, qui n'a pas été régulièrement constitué, faute d'avoir été immatriculé, mais aux lieu et place duquel se serait créée de fait une société en participation dont elle estime être en droit de réclamer la moitié de la clientèle ;

Qu'elle fait valoir que l'existence de cette société serait attestée par le fait qu'à partir de mai 1987, les parties ont partagé à parts égales les frais et les honoraires, qu'elles utilisaient un papier à en tête commun au nom du CFB, et partageaient également les mêmes locaux ; qu'elle soutient qu'ont été réunis de la sorte les éléments constitutifs d'une société en participation, à savoir, l'affectio societatis, des apports de clientèle, un partage des charges et des bénéfices ;

Mais considérant que s'il est clair qu'à partir de Mai 1987, les relations de parties ne se sont pas poursuivies sur le fondement de la sous-traitance, et que, notamment par la signature des statuts d'un GIE et en partageant par moitié les honoraires, elles ont manifesté la volonté de constituer un groupement, rien ne permet de retenir les allégations de l'appelante selon lesquelles aurait ainsi été formée une société en participation, dont la clientèle devrait lui revenir pour moitié ;

Que les pièces versées aux débats contredisent en effet totalement les affirmations de Madame Grimault Corbin selon lesquelles elle aurait effectué des apports de clientèle ; que l'intéressée ne démontre pas avoir amené un seul des clients figurant sur la liste qu'elle avait adressée à Ezil en Mai 1987, en réclamant à cette société le partage de " leur clientèle commune " ; qu'Ezil produit au contraire différents documents (échanges de correspondances et contrats) qui établissent qu'elle a seule traité avec toutes les entreprises auprès desquelles elle est intervenue en collaboration à partir du début de l'année 1987 avec madame Grimault Corbin ;

Considérant qu'une société en participation, n'ayant pas la personnalité juridique, n'a pas de patrimoine, et n'est pas propriétaire des biens éventuellement mis à sa disposition, lesquels reviennent donc nécessairement, en cas de dissolution, à l'associé qui les a fournis ;

Que dans ces conditions, même s'il a existé une société en participation créée de fait entre les parties, il n'en résulte nullement pour autant qu'Ezil aurait entendu mettre sa clientèle une indivision avec Madame Grimault Corbin ; qu'au contraire le recours à la formule du GIE initialement envisagée montre bien qu'Ezil voulait se limiter à créer avec l'appelante une structure leur permettant de réaliser des actions communes, mais à laquelle elle n'entendait pas faire d'apports en nature ;

Considérant que Madame Grimault Corbin n'était donc pas fondée à réclamer un quelconque partage de clientèle, ni à soutenir que le refus d'Ezil de consentir à ce partage lui aurait causé un préjudice commercial ; que le jugement mérite pleinement confirmation en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes en paiement d'une indemnité de clientèle et de dommages-intérêts en réparation d'un préjudice commercial ;

Sur la concurrence déloyale

Considérant que Madame Grimault Corbin fait également grief aux premiers juges d'avoir décidé qu'elle avait commis des actes de détournement de clientèle et de dénigrement, constitutifs de concurrence déloyale, au détriment d'Ezil, et de l'avoir condamnée à payer à cette société, en réparation de ces agissements, les sommes de 250 000 F et de 50 000 F, respectivement, à titre de dommages intérêts ; :

Que l'appelante soutient essentiellement que les deux entreprises (Novalliance et Altrad) qu'Ezil lui reproche d'avoir détournées avaient été dès l'origine, avant la rupture de ses relations avec Ezil, ses propres clientes, et qu'elle ne les a en aucune façon détournées ;

Considérant que les éléments du dossier, démontrent que, contrairement à ce que soutient Madame Grimault Corbin, Novalliance et Altrad ont bien été à l'origine, comme toute les autres entreprises après desquelles elle intervenait en collaboration avec son adversaire, des clientes d'Ezil ;

Que cependant, l'intimée ne prouve pas en quoi elle aurait été victime d'un détournement de clientèle en ce qui concerne Altrad ; que le dirigeant de cette société précise, dans une attestation versée aux débats, qu'il avait été parfaitement informé de la rupture entre les parties au présent litige, mais qu'il a décidé, de sa propre initiative, et plusieurs mois plus tard, de demander à Madame Grimault Corbin de travailler avec lui en qualité de conseil en raison de ses compétences ; que ces indications, non contestées par la société intimée, ne font apparaître aucune manœuvre déloyale de la part de Madame Grimault Corbin alors que celle-ci n'était pas tenue d'une obligation de non-concurrence après sa rupture avec Ezil, et que le simple fait d'avoir repris un ancien client de sa partenaire ne saurait lui être imputé à faute ;

Considérant qu'au contraire, les circonstances dans lesquelles Madame Grimault Corbin s'est attachée la clientèle de Novalliance sont manifestement fautives ; qu'en effet, alors que cette société, initialement démarchée par Ezil, a dénoncé le contrat qui la liait à celle-ci le 31 mai 1988, il ressort des pièces communiquées et notamment d'une facture du 29 avril 1988, que dès cette époque, antérieure à la rupture entre l'appelante et Ezil, elle était facturée pour des prestations similaires à celles qui faisaient l'objet de son contrat avec Ezil, par la société Infracom, créée par Madame Grimault Corbin et son mari ; que la concurrence déloyale par captation de clientèle est donc avérée pour cette société ;

Considérant que les pièces versées aux débats démontrent également ainsi que l'a retenu avec raison le Tribunal, que Madame Grimault Corbin à dénigré son adversaire, en particulier auprès de membres de son personnel qu'elle a tenté de débaucher, ces actes s'inscrivant dans un ensemble de comportements qui ont eu pour effet de désorganiser l'activité d'Ezil ;

Considérant qu'eu égard à toutes les circonstances de la cause, et au fait notamment que la captation de clientèle ne saurait être retenue pour ce qui concerne Altrad (alors qu'il s'agit du plus important des deux clients dont le détournement avait été allégué), le montant des dommages intérêts alloués en première instance à Ezil apparaît excessif ; que la Cour dispose d'éléments suffisants pour fixer à 150 000 F, toutes causes confondues, le montant de ces dommages intérêts ;

Considérant que les demandes reconventionnelles de Madame Grimault Corbin, dont les prétentions sont rejetées dans leur principe, ne sauraient prospérer ;

Que par ailleurs Ezil a déjà obtenu en première instance une somme de 20 000 F pour ses frais irrépétibles ; que l'équité ne commande pas qu'il lui soit alloué une indemnité complémentaire de ce chef ;

Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne le montant des dommages intérêts alloués à la société Ezil ; Statuant à nouveau de ce chef ; Condamne Madame Grimault Corbin à payer à la société Ezil, en réparation du préjudice qu'elle lui a causé par ses actes de concurrence déloyale, une somme de 150 000 F à titre de dommages-intérêts ; Rejette toute autre demande ; Condamne Madame Grimault Corbin aux dépens d'appel ; Admet la SCP Bernabe Ricard, titulaire d'un office d'avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.