Livv
Décisions

CA Nancy, audience solennelle, 23 mai 1991, n° 1972-89

NANCY

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Zolomian

Défendeur :

Hervillier (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Premier président :

M. Girousse

Président :

M. Durand

Conseillers :

MM. Pacaud, Cunin, Mme Husson

Avoués :

SCP Cyferman-Chardon, SCP Millot-Logier

Avocats :

Mes Momege, Lemistre

T. com. Reims, du 11 sept. 1984

11 septembre 1984

Exposé du litige

La Cour d'appel de Nancy est saisie par l'effet d'un arrêt de cassation partielle rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 18 avril 1989, et à la suite d'un jugement du Tribunal de commerce de Reims en date du 11 septembre 1984, aujourd'hui annulé, de l'action en concurrence déloyale mise en œuvre par la société " Berger du Nord ", aux droits de laquelle se trouve la société anonyme Hervillier, à l'encontre des époux Zolomian, anciens franchisés de cette société pour la vente des laines, tous les autres aspects du litige ayant existé entre les parties étant désormais en dehors du débat.

En ce qui concerne les faits et la procédure, il suffira de rappeler ce qui suit :

Le 23 novembre 1976, les établissements Hervillier, département Berger du Nord, et Madame Zolomian, commerçante à Reims, ont conclu un contrat de franchise d'une durée de cinq ans renouvelable par tacite reconduction, chacune des deux parties étant tenue à l'égard de l'autre d'une obligation d'exclusivité, Madame Zolomian s'interdisant de vendre des laines d'une autre marque, et les établissements Hervillier s'engageant à ne pas fournir en laines Berger Du Nord d'autres magasins du centre de la ville de Reims.

Cependant le 11 mars 1980 est intervenu un avenant aux termes duquel les époux Zolomian pourraient installer à titre expérimental un linéaire de 2 mètres pour commercialiser des fils à tricoter de marques concurrentes, mais de structures différentes de ceux du Berger du Nord, à charge de le supprimer lorsque cette société introduirait dans ses collections des fils à tricoter de structures identiques.

Au début de l'année 1982, à la suite de divergences de vue sur la politique commerciale à suivre, les deux parties ont décidé de mettre fin à leurs accords à partir du 23 novembre 1982, chacune d'elles estimant que la responsabilité de cette rupture incombait à l'autre.

Cependant, dès avant cette date, chacune d'elles a préparé la nouvelle situation, les époux Zolomian continuant à vendre des laines d'autres marques malgré une dénonciation de l'avenant du 11 mars 1980, et les établissements Hervillier s'assurant un autre point de vente de leurs laines à deux cents mètres environ du magasin des époux Zolomian.

Chronologiquement, la rupture s'est opérée ainsi qu'il suit :

Par un rapport rédigé en janvier 1982, les époux Zolomian ont mis en relief les divergences entre leur conception de l'avenir et celle de la société Berger du Nord (commerce multimarques pour les premiers, exclusivité pour l'autre).

Par lettre du 4 mars 1982, la société Berger du Nord mettait les époux Zolomian en demeure de choisir entre la poursuite de la franchise avec exclusivité de la marque ou le commerce multimarques qui entraînerait la dénonciation du contrat de franchise.

Le 15 mars, la société Berger du Nord dénonçait l'avenant du 10 mars 1980, les époux Zolomian se trouvant dès lors obligés de cesser toute vente de laines concurrentes à compter du 15 juin.

Le 20 mai 1982, les époux Zolomian ont dénoncé le contrat de franchise afin de reprendre leur liberté pour le 23 novembre suivant.

Le 27 juillet, la société Berger du Nord a fait dresser constat de ce que les époux Zolomian vendaient des laines d'autres marques que la sienne.

Le 8 septembre elle a fait sommation aux époux Zolomian de déposer l'enseigne " Berger du Nord " et a tenté d'ouvrir son nouveau magasin, ce que les époux Zolomian ont essayé d'empêcher en introduisant un référé, lequel a donné lieu à une ordonnance d'incompétence du 20 octobre 1982.

Les époux Zolomian ont, après enlèvement de l'enseigne, décidé de donner à leur commerce la nouvelle dénomination " Maillagogo ", mais la société Berger du Nord, qui avait déposé cette marque, a introduit à son tour un référé pour leur interdire d'en faire usage, à la suite de quoi ils ont donné à leur commerce le nom de " Lainagogo ".

Le 14 avril 1983, par exploit introductif de l'instance actuelle, la société Laines Berger du Nord a assigné les époux Zolomian devant le tribunal de commerce de Reims pour obtenir leur condamnation à lui payer une somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale, avec publication de cette condamnation par voie de presse, ladite concurrence déloyale consistant :

- en une violation de l'obligation d'exclusivité ;

- en la volonté de retarder l'ouverture de son nouveau point de vente ;

- en une atteinte caractérisée et un dénigrement de sa marque dans une publicité parue dans la presse ;

- en une contrefaçon de sa marque " Maillagogo " ;

- en une contrefaçon ultérieure de la marque " Lainagogo ", génératrice d'une confusion avec la précédente ;

- en une tentative pour désorganiser le réseau de distribution exclusive mis en place par la société " Laines Berger du Nord ".

Par son jugement du 11 septembre 1984, le tribunal de commerce, accueillant l'argumentation de la société Berger du Nord, à statué ainsi qu'il suit :

" Constate que Monsieur et Madame Zolomian se sont rendus coupables vis-à-vis de la société anonyme Laines Berger du Nord d'une rupture à leurs torts exclusifs du contrat de franchise en date du 23 novembre 1976, ainsi que d'actes de concurrence déloyale par dénigrement et tentative de confusion, ainsi que d'actes de contrefaçon de marque ;

Constate également que préalablement à la rupture et aux actes incriminés, les époux Zolomian, aux termes d'une nombreuse correspondance adressée à Berger du Nord ont tenté d'extorquer à cette société le remplacement de leur contrat de franchise par un contrat multimarques en des termes de critiques concernant la conduite de la société constituant à son égard un véritable réquisitoire ;

Condamne en conséquence les époux Zolomian à payer à la société anonyme Berger du Nord, pour l'ensemble de ces faits, une somme de 50 000,00 F à titre de dommages et intérêts, avec intérêts de droit à compter du jour de la demande, en déboutant purement et simplement lesdits époux de leur demande reconventionnelle ;

Fait défense aux époux Zolomian d'utiliser les vocables Maillagogo et Lainagogo comme marque, enseigne, ou de quelque façon que ce soit, ce, à peine d'une astreinte définitive de 5 000,00 F par infraction constatée à compter de la signification du présent jugement, étant précisé qu'en ce qui concerne l'enseigne, chaque jour calendaire sera considéré comme une infraction distinctive ;

Ordonne la publication du présent jugement dans un journal local et dans un journal professionnel, au choix de la société Laines Berger du Nord, chaque insertion ne devant pas dépasser la somme de 2 000,00 F ce aux frais des époux Zolomian ;

Et condamne les époux Zolomian en tous les dépens de l'instance liquidés à la somme de 227,72 F en ce non compris le coût de l'exploit introductif d'instance, le coût du procès-verbal de constat du ministère de Maîtres Boutroy et Hame, huissiers de justice associés à Reims, en date du 27 juillet 1982, ainsi que les frais de l'ordonnance les ayant désignés à cette fin, et signification de celle-ci, et les frais d'exécution du présent jugement, ce en quoi ils sont pareillement condamnés ;

Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement nonobstant appel et sans caution vu l'urgence.

Sur appel des époux Zolomian, la Cour d'appel de Reims a, par arrêt du 4 février 1987 :

- constaté la nullité du jugement pour vice de forme ;

- évoqué le fond ;

- constaté la nullité de la convention de franchisage du 23 novembre 1976 et débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'application de la convention annulée ;

- débouté la société Berger du Nord de sa demande fondée sur la concurrence déloyale ;

- débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;

- condamné Berger du Nord aux dépens de première instance et d'appel.

Cet arrêt a été frappé d'un pourvoi en cassation par la société " Laines Berger du Nord ".

Le pourvoi n'a pas porté sur la constatation de la nullité du jugement ni sur celle de la nullité de la convention de franchisage avec ses conséquences, mais a uniquement fait grief à l'arrêt " d'avoir débouté la société Laines Berger du Nord de sa demande tendant à voir constater que Monsieur et Madame Zolomian s'étaient rendus coupables d'actes de concurrence déloyale par dénigrement et tentative de confusion, ainsi que d'actes de contrefaçon de marque, et à voir condamner les époux Zolomian à lui payer une indemnité et cesser d'utiliser les marques litigieuses ". Le moyen proposé était unique et comportait quatre branches. La cassation est intervenue sur la première et la quatrième branche, avec renvoi des parties devant la Cour de Nancy.

Devant cette cour d'appel, la société anonyme Hervillier, intimée, a conclu en premier par écritures déposées le 31 janvier 1990.

Elle a fait valoir que les époux Zolomian avaient manifesté après la cessation de leurs collaboration une volonté délibérée de concurrence déloyale à son égard en utilisant trois procédés, la contrefaçon de marque, le dénigrement et la tentative de confusion ;

Sur le premier procédé, elle a rappelé que les époux Zolomian ont commencé par adopter pour enseigne la dénomination " Maillagogo ", marque qui appartenait à la société Berger du Nord, ce que les époux Zolomian ne pouvaient ignorer.

Sur le deuxième procédé, elle a exposé que la publicité faite dans la presse par les époux Zolomian représentait la marque Berger du Nord et la silhouette du Berger partiellement masquées par la nouvelle enseigne contrefaisante " Maillagogo ", avec le commentaire suivant : " Dès maintenant, un choix plus grand, un meilleur rapport qualité-prix ".

Enfin sur le troisième procédé, elle a prétendu que c'est volontairement que les époux Zolomian ont ensuite choisi pour dénomination " Lainagogo ", l'aspect visuel et sonore de cette enseigne étant le plus proche possible de " Maillagogo " et de " Chalagogo ", marques déposées par le Berger du Nord.

En conséquence, la société Hervillier, se trouvant aux droits de la société berger du Nord, a conclu ainsi qu'il suit :

Vu l'arrêt de cassation partielle rendu par la chambre commerciale de la Cour de Cassation le 18 avril 1988, et statuant dans les limites du renvoi ;

Evoquant l'ensemble du litige ;

Dire, juger et constater que la société anonyme Hervillier se trouvant aux droits de la société anonyme Berger du Nord est bien fondée en son action en concurrence déloyale contre les époux Zolomian ;

Condamner en conséquence ces derniers à payer à la société anonyme le Hervillier la somme de 100 000,00 F à titre de dommages et intérêts ;

Faire interdiction aux époux Zolomian d'utiliser le vocable Maillagogo ou Lainagogo comme marque, enseigne ou de quelque façon que ce soit et ce à peine d'une astreinte définitive de 5 000,00 F par infraction constatée à compter de la signification de la décision à intervenir, étant précisé qu'en ce qui concerne l'enseigne, chaque jour calendaire sera considéré comme une infraction distinctive ;

Ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans deux journaux locaux et un journal professionnel au choix de Hervillier, aux frais des époux Zolomian à concurrence de 2 000,00 F HT par insertion ;

Condamner les époux Zolomian à une indemnité de 10 000,00 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;

Condamner les époux Zolomian en tous les dépens de l'instance et d'appel, en ceux compris les dépens afférents à l'arrêt de la Cour d'appel de Reims cassé, et pour ce qui concerne les dépens de la présente instance d'appel faculté de recouvrement direct au profit de Maîtres Millot et Logier, avoués associés à la Cour, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.

Par conclusions du 31 mai 1990, les époux Zolomian ont pour leur part demandé à la Cour d'appel de débouter la société Berger du Nord de l'ensemble de ses demandes, de la condamner à 50 000 F de dommages et intérêts pour procédure abusive ainsi qu'à 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile et de la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel, y compris ceux afférents à ceux de l'arrêt de la Cour de Reims cassé.

Reprenant l'examen des arguments invoqués par la société Hervillier au soutien de ses prétentions, ils font valoir :

- sur le reproche de contrefaçon en ce qui concerne le nom " Maillagogo ", qu'ayant été pris au dépourvu par le retrait de l'enseigne "Berger du Nord ", ils avaient dû rapidement adopter une autre dénomination pour leur magasin, qu'ils avaient opté pour " Maillagogo " sans savoir qu'il s'agissait d'une marque dont la société Berger du Nord était propriétaire, que dès qu'ils l'ont su, ils l'ont abandonnée et qu'ils n'ont pu causer aucun préjudice à la société demanderesse - qui faisait elle-même une campagne de publicité intensive pour son nouveau point de vente - puisque cette erreur n'a fait l'objet que d'une seule annonce.

- sur le reproche d'imitation de marque, que le vocable " Lainagogo " ne peut pas entraîner de confusion avec le précédent, qui n'était plus utilisé à Reims, et ne peut pas être critiqué quant à l'emploi du suffixe " agogo " qui se trouve dans vingt trois marques différentes.

- sur le reproche de dénigrement, que leur publicité ne jetait aucun discrédit sur les Laines Berger du Nord, mais illustrait le changement de dénomination du magasin, et qu'au surplus, à supposer que cette publicité ait pu être interprétée comme signifiant que les produits " Maillagogo " présentaient un meilleur rapport qualité-prix que les laines Berger du Nord, la société produisant celles-ci ne pouvait en subir aucun préjudice dès lors qu'elle était aussi propriétaire de la marque Maillagogo.

Les époux Zolomian ajoutent que leur position a été dictée par la nécessité d'adapter le commerce des laines à de nouvelles attentes de la clientèle, ce que la société Berger du Nord n'a pas voulu admettre, et que la procédure engagée par celle-ci est abusive.

Discussion

Attendu que dans le jugement entrepris, et définitivement annulé par l'arrêt du 4 février 1987, le tribunal de commerce avait retenu, pour caractériser la concurrence déloyale dénoncée par la société Berger du Nord, les trois procédés analysés par cette société, c'est-à-dire la contrefaçon de marque, le dénigrement et l'utilisation de marque de nature à entraîner une confusion, procédés dont les deux derniers ont été jugés non critiquables par la Cour d'appel de Reims et dont le premier n'a pas été examiné spécialement.

1°) Attendu qu'en ce qui concerne le dernier (utilisation de marque de nature à entraîner une confusion, ce qui vise la dénomination " Lainagogo "), la troisième branche du pourvoi en cassation reprochait à l'arrêt de la Cour d'appel de Reims d'avoir écarté le grief d'imitation illicite de marque en négligeant de se référer à une appréciation d'ensemble, tant visuelle que phonétique, du vocable " Lainagogo " par rapport à " Maillagogo ".

Or attendu que la Cour de cassation a estimé que le grief n'était pas fondé de ce chef, au motif que si la Cour d'appel de Reims avait observé que vingt trois marques inscrites à l'INPI comportaient le suffixe " agogo ", elle avait retenu que les époux Zolomian reconnaissaient utiliser la dénomination commerciale " Lainagogo " et avait pris en considération cette dénomination pour se prononcer comme elle l'avait fait au titre de l'imitation de marque.

Que c'est donc vainement que la société Hervillier reprend son argumentation sur ce point devant la Cour de céans.

Que c'était donc à tort que le jugement du tribunal de commerce de Reims avait estimé que l'usage de la dénomination " Lainagogo " constituait une imitation de marque et qu'il y avait lieu de l'interdire sous astreinte aux époux Zolomian, lesquels sont donc bien fondés à continuer à l'utiliser.

2°) Attendu qu'en ce qui concerne le premier (adoption - provisoire - par les époux Zolomian de la dénomination " Maillagogo "), sur lequel la Cour de Reims ne s'était pas prononcé, la première branche du pourvoi reprochait à l'arrêt de cette juridiction d'avoir écarté le grief tiré d'une contrefaçon de marque en considérant qu'à cet égard l'action était uniquement fondée sur l'utilisation par les époux Zolomian de la dénomination commerciale " Lainagogo " alors que la société Berger du Nord avait fait valoir que ceux-ci avaient utilisé une enseigne constituée de la marque " Maillagogo " s'appliquant à une marque qu'elle avait déposée, et d'avoir ainsi méconnu les termes du litige.

Attendu que la Cour de Cassation a consacré le bien fondé du moyen pris en cette branche, et qu'il appartient à la juridiction de céans d'examiner le problème au fond.

Attendu qu'il ne peut être exclu que les époux Zolomian, contraints d'abandonner du jour au lendemain l'enseigne " Berger du Nord " se soient déterminés avec quelque précipitation pour une nouvelle appellation de leur magasin.

Mais attendu qu'ils se sont manifestement placés dans leur tort en se déterminant pour " Maillagogo ", marque déposée par la société Laines Berger du Nord.

Attendu qu'étant franchisés de cette société depuis plusieurs années, ils ne pouvaient pas ignorer que cette marque appartenait à celle-ci.

Qu'en effet cette marque était utilisée par la société Berger du Nord non seulement comme enseigne de magasins (comme à Carpentras par exemple, ainsi que l'établit la photographie versée aux débats), mais encore comme titre de catalogues et revues de tricot, qui ont été commercialisés par les époux Zolomian.

Attendu que c'est donc à bon droit que le tribunal de commerce, dans son jugement annulé, avait considéré que le grief invoqué par la société Berger du Nord à l'encontre des époux Zolomian était fondé et qu'une réparation lui était due par ceux-ci en cas de préjudice causé.

3°) Attendu qu'en ce qui concerne le grief de dénigrement par publicité, retenu par les premiers juges mais non par la Cour d'appel de Reims, la Cour de cassation a déclaré bien fondé le moyen soutenu par la société Berger du Nord en sa quatrième branche, en rappelant que pour écarter ce grief, l'arrêt avait relevé que le fait d'avoir porté sur une publicité la mention " un choix plus grand, un meilleur rapport qualité-prix " ne saurait causer un préjudice à la société Berger du Nord, et en énonçant qu'en se déterminant ainsi sans rechercher si, dans la publicité, comme le soutenait la société Berger du Nord, cette mention ne surchargerait pas la marque Berger du Nord et le symbole de celle-ci, la Cour d'appel avait privé sa décision de base légale.

Attendu que pour statuer utilement, il est nécessaire de décrire la publicité incriminée.

Attendu que dans sa première forme, cette publicité incluse dans un cadre de 20 cm de hauteur sur 13 cm de largeur comporte :

- en partie supérieure la marque " Berger du Nord " et son symbole, partiellement recouverts d'un rectangle comportant le mot " Maillagogo " légèrement incliné, de manière que la marque ainsi masquée puisse être aisément reconnue.

- en partie médiane, les mentions :

* nous n'avons pas changé d'adresse

* Nous avons changé de nom

* Dès maintenant un choix plus grand, un meilleur rapport qualité-prix.

* Et en exclusivité les laines Tiber, Bouton d'Or, La Petite Indienne, Welcome Paris

* Avec des Super Kid Mohair, Angora, Baby Alpaga, Lambswool, soie naturelle et pure laine lavables en machines à laver

- en partie inférieure : Maillagogo, M. et Mme Alex Zolomian, 20 bis rue du Cadran Saint Pierre 51.100 Reims. Tel. 88. 67. 04.

Attendu que dans sa deuxième forme, cette publicité est rigoureusement identique, sauf le remplacement de " Maillagogo " par " Lainagogo " aux deux endroits où figure le nom du magasin.

Attendu que les époux Zolomian font valoir que c'est à tort que le tribunal avait considéré que ces publicités comportaient un dénigrement, ces annonces répondant exclusivement à la nécessité pour eux de faire connaître à la clientèle - qui ne connaissait leur magasin que sous le nom de Berger du Nord - que le changement de dénomination de leur magasin n'impliquait ni fermeture ni changement d'exploitant, et que, d'ailleurs, la raison d'être de l'annonce ressortait de l'indication qui figurait en bas de l'encart publicitaire (leur nom et adresse) ; qu'ils ajoutent que la mention d'un meilleur rapport qualité-prix n'est pas en elle-même dénigrante, et qu'enfin la surcharge invoquée par la société Berger du Nord avait pour seul but de faire connaître au lecteur que le magasin avait seulement changé d'enseigne.

Attendu cependant que cette publicité est à considérer dans son ensemble et qu'elle signifie que les époux Zolomian ont abandonné la vente des laines Berger du Nord pour vendre quatre autres marques et que désormais le rapport qualité-prix sera meilleur, ce qui implique nécessairement qu'il est moins bon en ce qui concerne les laines Berger du Nord.

Attendu qu'elle constitue donc bien un dénigrement de celles-ci par rapport aux quatre autres.

Attendu que c'est en vain que les époux Zolomian prétendent qu'en toute hypothèse et à supposer un instant que la publicité constitue un dénigrement, la société Berger du Nord ne subirait aucun préjudice puisque le dénigrement serait fait au profit de " Maillagogo ", marque appartenant à la même société.

Attendu en effet que la publicité concerne le magasin des époux Zolomian et les autres marques de laine qui y sont mentionnées et non des produits de la marque Maillagogo, même si ce vocable est employé comme nouvelle enseigne de ce magasin.

Et attendu surtout que le même encart publicitaire a été reproduit avec le nouveau nom Lainagogo qui n'appartient pas à la société Berger du Nord.

Attendu que c'est donc encore à bon droit que le tribunal avait considéré qu'il y avait là un fait de concurrence déloyale devant entraîner réparation.

Sur le montant de la réparation

Attendu que pour accorder à la société Berger du Nord une somme de 50 000 F de dommages et intérêts, le tribunal avait pris en considération à la fois, l'attitude des époux Zolomian avant la rupture du contrat de franchise, leur responsabilité dans cette rupture, et les actes de concurrence déloyale.

Qu'il ne reste rien aujourd'hui des deux premiers motifs et que seule subsiste la prise en compte du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale.

Or attendu que force est de constater que le préjudice subi par la société Berger du Nord à la suite de ces faits est des plus limités.

Attendu qu'aucune pièce justificative d'un quelconque préjudice matériel n'est versée aux débats, et qu'il ne peut être retenu que le dédommagement d'un certain trouble apporté à l'organisation des ventes des Laines Berger du Nord dans le centre de la ville de Reims durant une courte période.

Attendu que ce préjudice doit être réparé par l'allocation d'une somme de 10 000 F.

Attendu par ailleurs que la publication du présent arrêt dans la presse n'apparaît pas nécessaire, compte tenu, d'une part, de l'ampleur très limitée des faits et, d'autre part, de leur ancienneté.

Sur les demandes accessoires

a) Attendu qu'il n'y a pas lieu d'accorder aux époux Zolomian les dommages et intérêts qu'ils réclament pour procédure abusive puisque l'action intentée contre eux par la société Berger du Nord était fondée en son principe même si elle était excessive quant aux sommes demandées.

b) Attendu que compte tenu des décisions prises sur le fond du litige, l'équité ne commande pas de faire bénéficier l'une ou l'autre des parties d'une application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

c) Attendu, en ce qui concerne les dépens, qu'il y a lieu de prendre la même décision que le tribunal de commerce pour les dépens de première instance puisque l'action engagée par la Société Berger du Nord était justifiée dans son principe, mais qu'en ce qui concerne les dépens d'appel, compte tenu de ce que les prétentions de chacune des parties sont partiellement accueillies et partiellement rejetées, il y a lieu de décider que les frais seront supportés à concurrence de la moitié par chaque partie, tant pour les dépens exposés devant la Cour d'appel de Reims que pour ceux relatifs à la procédure devant la Cour d'appel de Nancy.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, en audience solennelle, Vu l'arrêt de cassation partielle de la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation en date du dix huit avril mil neuf cent quatre vingt neuf, et statuant dans les limites du renvoi, Déclare la société anonyme Hervillier, se trouvant aux droits de la société anonyme Berger du Nord, bien fondée en son action en concurrence déloyale contre les époux Zolomian ; Condamne en conséquence ces derniers à payer à la société Hervillier la somme de dix mille francs (10 000 F) à titre de dommages et intérêts ; Fait interdiction, en tant que de besoin, aux époux Zolomian d'utiliser le vocable " Maillagogo " comme marque, enseigne ou de quelque façon que ce soit à peine d'une astreinte provisoire de mille francs (1 000 F) par infraction constatée à compter de la signification du présent arrêt, étant précisé qu'en ce qui concerne l'enseigne, chaque jour calendaire sera considéré comme une infraction distincte. Les autorise à faire usage du vocable " Lainagogo " ; Dit n'y avoir lieu à publication du présent arrêt dans deux journaux et déboute la société Hervillier de sa demande à cette fin ; Déboute les époux Zolomian de leurs demandes en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive et d'indemnité fondée sur l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Déboute également la société Hervillier de sa demande en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile à son profit ; Dit que les époux Zolomian devront supporter les dépens de première instance ; Dit que tous les dépens d'appel, tant ceux exposés devant la Cour d'appel de Reims que ceux relatifs à la procédure devant la Cour d'appel de Nancy, seront supportés par moitié par les époux Zolomian d'une part, par les établissements Hervillier d'autre part, et autorise la société civile professionnelle Laurent Cyferman-Alain Chardon, et la société civile professionnelle Hélène Millot-Ariane Logier, avoués associés à la Cour, à faire application de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.