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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 16 mai 1991, n° 90-4005

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Jacques Jaunet (SA)

Défendeur :

Sama Internationale (SA), Ultimo Diffusion (SARL), Mako Consorcio Directa Empresarial Lda (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bonnefont

Conseillers :

MM. Gouge, Faucher

Avoués :

SCP Teytaud, Me Bolling

Avocats :

Mes Turczynsky, Greffe.

TGI Paris, 3e ch., 2e sect., du 19 janv.…

19 janvier 1989

Faits et procédure de première instance

Apposant sur les vêtements de marque New Man qu'elle diffuse des insignes métalliques triangulaires à bouts arrondis percés sur les poches de poitrine des chemises et sur les poches arrières droites des pantalons, la société Jacques Jaunet est titulaire

- de la marque 1 304 569 déposée le 7 mars 1985 et constituée par un triangle isocèle à angles arrondis

- de la marque 1 301 570 déposée le 7 mars 1985 et constituée du même triangle que ci-dessus et de la dénomination New Man qui s'y inscrit avec un graphisme spécifique

- de la marque 1 364 465 déposée le 30 mai 1986 et constituée d'un triangle isocèle à angle droit et à bouts arrondis en métal ou en matière donnant un aspect métallique,

ces trois marques désignant notamment des vêtements.

Après saisie-contrefaçon du 1er février 1988 pratiquée au siège de la société Ultimo Diffusion qui vend des vêtements fabriqués par la société de droit portugais Mako Consorcio Director Empresarial (ci-dessus Mako) et importés en France par la société Sama International, Jacques Jaunet, par actes du 15 février 1988, assignait en imitation illicite des trois marques susvisées et concurrence déloyale les sociétés Ultimo Diffusion et Sama International en incriminant tout à la fois l'usage d'un écusson métallique sur lequel est gravée la dénomination Mako et le positionnement de ce dernier sur les vêtements saisis, ainsi que des étiquettes sur lesquels apparaît un triangle. Des mesures de protection et de réparation étaient sollicitées. Les défenderesses, qui s'opposaient à toutes les prétentions de Jacques Jaunet, appelaient en intervention forcée, la société Mako afin qu'elle les garantisse en cas de condamnations prononcées contre elles. Mako concluait au débouté de Jacques Jaunet et de même que chacune des défenderesses réclamait à cette dernière 50 000 F de dommages intérêts pour procédure vexatoire et 30 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Le jugement critiqué

Par son jugement du 19 janvier 1989, le tribunal de grande instance de Paris, déboutant Jacques Jaunet, l'a condamné à payer à chacune des sociétés Ultimo Diffusion et Sama Internationale 15 000 F de dommages-intérêts et 5 000 F en vertu de l'article 700 du NCPC.

L'appel

Appelante du jugement par déclaration du 16 mai 1989, Jacques Jaunet conclut à son infirmation, priant la Cour :

- de juger qu'il existe un risque de confusion entre l'écusson métallique apposé sur les vêtements saisis et les trois marques déposées par elle qui ont donc été illicitement imitées,

- de dire qu'en plaçant sur les vêtements saisis ledit écusson au même endroit que le triangle figurant sur les articles de Jacques Jaunet, Ultimo Diffusion et Sama Internationale ont aggravé le risque de confusion découlant de l'imitation illicite et ainsi commis des actes de concurrence déloyale,

- de commettre un expert en vue de l'évaluation du préjudice subi par Jacques Jaunet en allouant à celle-ci une provision de un million de francs

- de faire défense à Ultimo Diffusion et Sama Internationale de vendre les vêtements porteurs du signe et des étiquettes incriminés et ce sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée à compter de la signification de l'arrêt,

- d'ordonner la publication de l'arrêt dans cinq journaux ou revues au choix de Jacques Jaunet et aux frais de Sama Internationale et de Ultimo Diffusion sans que le coût total des insertions puisse excéder 100 000 F

- de condamner solidairement Ultimo Diffusion et Sama Internationale à payer à Jacques Jaunet une indemnité de 30 000 F en vertu de l'article 700 du NCPC.

Intimées, Ultimo Diffusion et Sama Internationale, qui ont assigné Mako devant la Cour aux fins d'appel provoqué, concluent à la confirmation de la décision déférée dans l'ensemble de son dispositif, priant la Cour d'y ajouter en condamnant Jacques Jaunet à payer à chacune d'elles 50 000 F pour appel abusif et 10 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

Subsidiairement, elle demandent des garanties par Mako des conséquences des actions dirigées contre elles.

Intimée provoquée et touchée par l'assignation, Mako n'a pas constitué avoué. L'arrêt sera réputé contradictoire à l'égard de toutes les parties.

Sur ce, LA COUR

Qui pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties se réfère au jugement critiqué et aux écritures d'appel,

Considérant qu'il est relevé dans le jugement que le signe incriminé a une forme géométrique totalement différente du triangle de Jacques Jaunet et qu'en raison de cette forme différente, il est placé sur la couture supérieure des poches alors que sur les vêtements Jacques Jaunet les deux côtés de l'angle droit du triangle viennent s'appliquer exactement sur l'angle de la poche où il est apposé ; que le consommateur d'attention moyenne, même s'il n'a pas simultanément sous les yeux les articles New Man et ceux de Ultimo Diffusion ne pourra les confondre, les différences tant de formes que de position l'emportant largement sur les ressemblances ; que les chemises saisies portent au col la dénomination Mako dans un triangle isocèle dans lequel sont reproduis trois chevrons sur la doublure du blouson ; que ces chevrons et la dénomination Mako sont un élément essentiel de sorte que l'étiquette en question ne peut évoquer le triangle isocèle de Jacques Jaunet et ne saurait être confondu avec lui ; qu'ainsi ni l'imitation illicite ni les actes de concurrence déloyale ne sont caractérisés.

Considérant que sur l'atteinte à la marque, on peut adhérer au raisonnement conduit par le Tribunal dans la mesure où on l'applique uniquement aux marques 1 301 569 et 1 301 570 dans lesquelles on se borne à revendiquer comme élément figuratif un triangle isocèle aux bords arrondis avec lequel le blason Mako, de forme triangulaire, ne peut être confondu.

Qu'en revanche, il s'impose de noter, en ce qui concerne la marque 1 364 465, que le recours à un signe métallique ou d'aspect métallique est, pour désigner des vêtements, d'une rareté dont elle tire un très fort pouvoir attractif rabaissant les contours géométriques à une fonction distinctive très accessoire ; que dès lors et quand bien même, malgré les dimensions réduites des signes en comparaison, le consommateur d'attention moyenne serait en mesure de percevoir la différence des formes géométriques et la présence de la dénomination Mako, celles-ci ne suffisent pas à écarter le risque de confusion tenant à la ressemblance, constatée dans le blouson Mako, à ce qui dans la marque 1 364 465, constitue l'élément de très loin le plus distinctif et dont l'importance est d'autant plus à tort méconnue par le jugement que son usage massif remontant à 1971 et soutenu par un accompagnement publicitaire de grande envergure lui a conféré une notoriété consolidée par le dépôt invoqué.

Qu'il y a donc lieu à infirmation du jugement en ce qu'il a écarté l'imitation illicite de la marque 1 364 465

Considérant d'autre part que les blasons Mako apparaissent à l'angle supérieur droit sur la poche gauche des chemises, à l'angle supérieur gauche de la poche arrière droite des blue jeans et à l'angle supérieur de la poche latérale gauche sur les blousons ; que sur ce point encore, la différence dans le positionnement des signes litigieux relevée dans la décision critiquée de même que sa référence à l'usage qui sur les vêtements tend à les apposer toujours aux mêmes endroits ne suffit pas à écarter la conviction qu'en plaçant comme elle l'a fait son blason, Mako a donné un surcroît d'efficacité à l'imitation illicite de marque et aggravé le risque de confusion en résultant, étant souligné que la présence sur les étiquettes Mako non plus d'un pentagone mais d'un triangle isocèle est bien de nature à affaiblir ce qui sur les articles Mako concourt à une différenciation avec les vêtements Jaunet; qu'au reste, eut-on conservé un doute sur le dessein de Mako de se placer dans le sillage d'une marque réputée qu'il serait levé à cette constatation que la société portugaise avait en 1982 déposé une marque dénominative New Man au Portugal.

Qu'ainsi est-ce à bon droit que Jacques Jaunet a articulé un grief de concurrence déloyale qui doit être retenu par infirmation du jugement critiqué.

Considérant que les éléments soumis à l'appréciation de la Cour et notamment les indications fournies sur les activités de Jacques Jaunet et sur la notoriété de la marque illicitement imitée permettent d'évaluer le préjudice qu'elle a subi sans avoir recours à une expertise ; qu'elle trouvera une réparation équitable dans l'indemnité fixée au dispositif qui par ailleurs fera défense aux intimées de poursuivre leurs agissements et précisera les modalités des publications ordonnées au profit de l'appelante.

Considérant que Jacques Jaunet sera déchargée des condamnations prononcées à son encontre par le jugement.

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de l'appelante les frais non taxables exposés dans la procédure pour la défense de ses légitimes intérêts ; que Ultimo Diffusion et Sama Internationale seront condamnées in solidum à lui payer le montant justifié indiqué au dispositif.

Considérant que l'action en garantie dirigée contre Mako n'est pas motivée ; qu'elle sera rejetée, observation faite au surplus que Ultimo Diffusion et Sama Internationale ne sauraient être garanties contre les conséquences de quasi-délits commis par elles en toute connaissance de cause.

Par ces motifs : Sur l'appel de la société Jacques Jaunet, Confirme le jugement en ce qu'il a écarté l'action en imitation illicite des marques 1 301 569 et 1 301 570, Infirmant pour le surplus, Dit que les sociétés Ultimo Diffusion et Sama Internationale se sont rendues coupables au préjudice de la société Jacques Jaunet d'actes d'imitation illicites de la marque n° 1 364 465 et de concurrence déloyale. Condamne les sociétés Ultimo Diffusion et Sama Internationale à payer à la société Jacques Jaunet à titre de dommages-intérêts la somme de quatre cent cinquante mille (450 000) francs. Fait défense aux sociétés Ultimo Diffusion et Sama Internationale de poursuivre les actes illicites sous astreinte de dix mille (10 000) francs par infraction constatée à compter de la signification de l'arrêt, Ordonne la publication de l'arrêt dans trois journaux ou revues au choix de la société Jaques Jaunet et aux frais de Ultimo Diffusion et de Sama Internationale sans que le coût total des insertions puisse excéder la somme de soixante mille (60 000) francs, Rejette la demande en garantie formée par Sama Internationale et Ultimo Diffusion à l'encontre de la société Mako Consorcio Director Impresarial LDA, Condamne Sama Internationale et Ultimo Diffusion in solidum à payer à Jacques Jaunet en application de l'article 700 du NCPC la somme de vingt quatre mille (24 000) francs, Dit que Sama Internationale et Ultimo Diffusion supporteront les dépens de première instance et d'appel. Admet pour ceux d'appel la SCP d'avoués Teytaud au bénéfice de l'article 699 du NCPC.