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Décisions

CA Rennes, ch. civ., 15 mai 1991, n° 87-87

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Michel Perigault (SA)

Défendeur :

Jean Perigault (SA), Loquais (ès qual.), Duran (ès qual.), Bois de Saint-Malo (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Duclos

Conseillers :

M. Roy, Forment

Avoués :

SCP Castres, Colleu, SCP Massart Bazille, SCP Gautron Chaudet

Avocats :

Mes Groult, Le Brusq, SCP Coernet, Vincent, Bouchet, Douchet, Pittard, Martin.

T. com. Lorient, du 12 déc. 1986

12 décembre 1986

Faits et procédure :

Le 1er août 1984, la société anonyme Jean Perigault a été créée en suite de regroupements familiaux pour exploiter en location-gérance à Lanester un fonds de commerce de négoce de bois appartenant indivisément, à une suite du décès du père de famille initiateur de l'affaire, à plusieurs héritiers, dont M. Jean Perigault, président-directeur général de cette société et Michel Perigault, son neveu, administrateur et directeur général.

Le 28 décembre 1984, M. Michel Perigault a démissionné de ses fonctions de directeur général et est consécutivement devenu président-directeur général de la " société anonyme Michel Perigault ", fondée par lui pour exercer le négoce de matériaux notamment de bois à Queven à compter du 1er février 1985.

Par acte d'huissier du 22 juillet 1985, la société Jean Perigault afin de s'entendre condamner à modifier sa dénomination sociale de nature en l'état à entretenir une confusion volontaire entre les deux firmes, et d'obtenir paiement de la somme de 1 000 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de cette concurrence déloyale.

Par jugement du 12 décembre 1986 le Tribunal de Commerce de Lorient, retenant que le nom de Perigault était lié depuis des décennies au commerce du bois sur la place de Lorient et environs et que la société Jean Perigault en était seule la légitime exploitante, a enjoint sous astreinte définitive à la société Michel Perigault de changer sa dénomination sociale et lui a fait défense également sous astreinte d'utiliser à l'avenir le patronyme Perigault, ordonnant en outre une expertise sur l'évaluation du préjudice de la demanderesse.

Selon déclaration du 11 février 1987 la société Michel Perigault a régulièrement relevé appel de cette décision en visant tant la société Jean Perigault, admise au redressement judiciaire par jugement du 6 février 1987, que Me Loquais son administrateur désigné et Me Duran, représentant des créanciers.

Par autre jugement du 19 juin 1987, la liquidation judiciaire de la société Jean Perigault a été prononcée, Me Duran étant nommé aux fonctions de liquidateur.

Par ailleurs, la société Michel Perigault a cessé toute activité au 31 mars 1988, après son absorption par la société Bois de Saint-Malo (BSM) laquelle a été assignée en intervention forcée par acte d'huissier du 31 juillet 1990 délivré à la requête des intimés.

Prétentions des parties :

Aux termes de ses conclusions du 8 juillet 1987, la société Michel Perigault a fait essentiellement valoir, d'une part que le protocole d'accord conclu entre les cohéritiers en 1974 et stipulant pour les bailleurs une obligation de non-concurrence à l'égard du locataire-gérant étant caduc depuis fin 1982 et d'ailleurs remplacé en juillet 1984 par une nouvelle convention, d'autre part que nul ne peut se voir interdire de faire le commerce sous son propre nom, à condition de prendre toutes précautions, telle l'utilisation du prénom, pour se distinguer d'une autre entreprise homonyme éventuellement concurrente, ce qui a été fait en l'espèce et ce, d'autant que les activités de chacune des sociétés n'étaient pas exactement similaires et ne s'adressaient pas à la même clientèle, sollicitant en conséquence le débouté pur et simple de la demande.

Par conclusions du 29 septembre 1987, la société Jean Perigault et ses mandataires judiciaires ont demandé la confirmation du jugement en soulignant au contraire que les faits caractéristiques de la concurrence déloyale étaient parfaitement établis en la circonstance.

Selon ses conclusions du 22 février 1991, la société BSM déclare faire siennes les écritures de la société Michel Perigault par elle absorbée, en indiquant au surplus que le patronyme Perigault, contrairement à des noms commerciaux plus célèbres, ne constituait pas en la circonstance une marque légalement déposée ni par conséquent protégée et que l'adjonction du prénom Michel était de nature à éviter toute confusion entre les deux entreprises.

Discussion :

Considérant qu'il y a lieu de joindre à l'instance principale l'assignation en intervention de la société BSM, enrôlée séparément mais manifestement connexe, afin d'être statué sur le tout par un seul arrêt ;

Que cette intervention forcée de la société BSM est de même recevable en appel, en raison de l'évolution du litige que représente l'absorption par cette société, postérieurement au jugement, de la société Michel Perigault qui en est appelante.

Considérant, par ailleurs, qu'il convient préalablement de souligner, en dépit de la confusion entretenue volontairement ou non par les parties sur ce point et à laquelle n'a pas complètement échappé le Tribunal, que la personne morale constituée par la société Michel Perigault doit être distinguée de la personne physique de Monsieur Michel Perigault, fut-il le fondateur et le dirigeant social de la précédente et qu'en conséquence les manquements éventuellement imputables à ce dernier sont, notamment, étrangers au présent débat dès lors qu'il n'est pas attrait personnellement à la cause ;

Que de même, les diverses communications réclamées aux conclusions des appelants du 8 juillet 1987 sont apparemment sans rapport aucun avec le litige actuel, qui porte sur des faits de concurrence déloyale entre deux sociétés et non sur les conflits d'intérêts existant entre les divers membres de la famille Perigault du fait de la prolongation de leur indivision successorale ;

Considérant, au fond, que si nul ne peut en principe se voir interdire l'usage de son propre nom, au besoin accompagné de son prénom, pour exercer le commerce hormis le cas où ce patronyme, ayant acquis une renommée commerciale, fait déjà l'objet d'une protection légale en tant que marque déposée, cette règle ne concerne en revanche que les personnes physiques et ne saurait dont être utilement invoquée par une société personne morale qui, disposant du choix le plus large d'enseignes en rapport avec son activité pour se faire identifier et connaître, n'est pas fondée à adopter une dénomination très voisine de celle d'une autre société déjà existante et se livrant à un commerce similaire;

Qu'ayant en l'espèce constaté, par un motif non critiqué en cause d'appel, que le patronyme Perigault était notoirement attaché au négoce du bois dans la région de Lanester et Lorient depuis la création de l'entreprise en 1936 par le père de famille et qu'en dernier lieu l'usage de ce nom était régulièrement dévolu à la société Jean Perigault en tant que locataire-gérante du fonds originaire demeuré indivis entre les héritiers de son fondateur, parmi lesquels M. Michel Perigault lui-même, les premiers juges ont exactement retenu que le fait pour la société Michel Perigault d'avoir introduit ce patronyme dans sa dénomination, fut-il accompagné d'un prénom différent, visant manifestement à profiter de sa notoriété acquise localement en créant dans l'esprit de la clientèle une confusion certaine entre les deux entreprises travaillant dans le négoce du bois, et constituait donc un acte de concurrence déloyale auquel il convenait de mettre fin ;

Que le jugement était ainsi confirmé dans son principe, la Cour ne peut toutefois que constater que les mesures ordonnées à cette fin sons devenues sans objet puisque les deux sociétés ont cessé toute activité commerciale, l'une par liquidation judiciaire survenue peu de temps après cette décision, l'autre par absorption au sein d'une autre société présentement attraite à l'instance et dont la dénomination ne saurait de toute manière prêter à critique ;

Qu'il reste donc simplement à apprécier le dommage subi du fait de cette concurrence déloyale par la société Jean Perigault entre le 1er février 1985, date du début d'activité de l'autre société et le 19 juin 1987, date de sa propre liquidation judiciaire, ce pour quoi les parties seront renvoyées devant les premiers juges pour être statué de ce chef après exécution de l'expertise ordonnée par ceux-ci ;

Considérant enfin qu'il convient d'observer, d'une part que les intimés n'ont pas repris en cause d'appel l'argument énoncé à l'assignation introductive d'instance et tiré de l'embauche par la société Michel Perigault d'un cadre commercial démissionnaire de la société Jean Perigault, d'autre part qu'ainsi qu'il a été dit préliminairement ci-dessus, le manquement éventuellement commis par Monsieur Michel Perigault à l'engagement de non-concurrence souscrit par l'ensemble de la cohérie envers la société locataire-gérante du fonds, en admettant que cet engagement fût encore applicable fin 1984, n'est imputable qu'à l'intéressé lui-même et non à la société Michel Perigault, personne morale distincte ;

Considérant qu'il n'est pas inéquitable de laisser même à la partie gagnante la charge de ses frais non taxables ;

Par ces motifs, Prononce la jonction des instances inscrites au rôle de la chambre sous les numéros 87 de l'année 1987 et 629 de l'année 1990. Constate que Me Duran, désigné représentant des créanciers de la société Jean Perigault en redressement judiciaire, est devenu son mandataire liquidateur selon jugement du 19 juin 1987. Constate également que la société Bois de Saint-Malo, régulièrement attraite à la cause, se trouve à présent aux droits de la société Michel Perigault, appelante, qu'elle a absorbée. Au fond, rejette l'appel et confirme le jugement déféré quant à l'existence de la concurrence déloyale faite par la société Michel Perigault à la société Jean Perigault et quant à la mise en œuvre d'une expertise sur le préjudice en résultant pour celle-ci. Dit toutefois n'y avoir lieu de maintenir les injonctions et mesures prescrites pour y mettre fin, ces deux sociétés ayant cessé toute activité commerciale. Renvoie les parties devant les premiers juges pour être statué sur l'indemnisation au vu notamment de l'expertise précitée. Déboute les parties de toutes autres demandes notamment pour frais non taxables. Condamne la société Bois de Saint-Malo, aux droits de la société Perigault, aux dépens d'appel et autorise Mes Massart Bazille, avoués associés, à les recouvrer conformément à l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.