CA Limoges, 1re ch. civ., 14 mai 1991, n° 224-90
LIMOGES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Coopérative Agricole Laitière de Combrailles
Défendeur :
Laiterie de Carpiquet (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Premier président :
M. Vray
Conseillers :
MM. Thierry, Leflaive
Avoués :
Mes Baulme, Durand-Marquet
Avocats :
Mes Vignancour, Salmon.
LA COUR,
La Coopérative Agricole Laitière de Combrailles " CALC " a régulièrement déclaré appel le 21 février 1990 d'un jugement du Tribunal de grande instance de Guéret du 5 décembre 1989 qui, saisi par la SA Laiterie de Carpiquet d'une action en concurrence déloyale dirigée à son encontre, a considéré que les faits qui lui étaient reprochés étaient constitutifs de concurrence déloyale, l'a condamnée à payer à la SA Laiterie de Carpiquet la somme de 1 franc à titre de dommages et intérêts, et ordonné la publication des motifs et du dispositif de sa décision dans le jour " La Montagne ", édition du Puy de Dôme, aux frais de la CALC et a débouté cette dernière de sa demande reconventionnelle en 3 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ;
Elle demande à la Cour d'infirmer la décision entreprise, de débouter la SA Laiterie de Carpiquet de sa demande, et de la condamner à lui payer la somme de 5 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile,
La SA Laiterie de Carpiquet conclut à la confirmation du jugement, sauf en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts, dont, formant d'appel incident elle demande qu'il soit porté à la somme de 200 000 F, ainsi que pour la publication, dont elle demande qu'elle soit étendue au journal " Le Monde ". Elle demande également qu'outre le jugement entrepris, soit publié l'arrêt à intervenir et que la CALC soit condamnée à lui payer la somme de 5 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
Moyens et arguments des parties - Motifs de la décision de la Cour
Attendu que, pour asseoir leur décision, les premiers juges ont considéré qu'avait un caractère publiquement dénigrant la lettre circulaire adressée par la CALC à une trentaine de ses adhérents, mettant en doute la capacité de la société italienne Parmalat, actionnaire majoritaire de la SA Laiterie de Carpiquet, qui avait entrepris de s'implanter dans le département du Puy-de-Dôme pour la création d'une usine et d'un centre de collecte et de traitement de lait, de faire face à ses engagements, en vue de les dissuader de traiter avec cette entreprise, encore que cette circulaire ne vise pas nommément la SA Laiterie de Carpiquet ;
Attendu qu'au soutien de son appel, la CALC fait valoir, en substance :
. que la diffusion auprès de ses adhérents de la lettre en cause n'a pas excédé une trentaine d'exemplaires, alors qu'elle regroupe environ 2 300 sociétaires ;
. que cette lettre n'a été diffusée qu'auprès de certains de ses adhérents, en étant remise à leur domicile privé par ses camions de ramassage ;
. qu'elle n'a donc eu aucun caractère public, support nécessaire d'une action en concurrence déloyale et se bornait à apporter à ses adhérents des informations internes ;
. qu'elle avait parfaitement le droit d'informer ses adhérents au sujet des vicissitudes ayant affecté la société Parmalat, telles que relatées dans la presse, notamment italienne, pour alerter les coopérateurs sur les risques de céder aux sirènes d'une majoration de prix pour mettre fin à leurs relations coopérateurs ; que, ce faisant, elle ne faisait que mettre en œuvre des informations sur un objet d'intérêt commun qui lui permettait de conserver ses adhérents et ne pouvaient constituer un dénigrement public ;
. que la SA Laiterie de Carpiquet n'est nullement citée dans cette lettre et que si la société Parmalat a été visée, elle ne peut plaider par procureur en obtenant réparation par l'intermédiaire de la CALC, qui n'est pas sa seule filiale en France ;
Attendu qu'en réplique, et au soutien de son appel incident, la SA Laiterie de Carpiquet expose :
. qu'en réalité, elle se trouvait bien visée directement par la lettre-circulaire, même si celle-ci ne mentionnait expressément que la société Parmalat, dont la fiabilité financière et la solvabilité étaient mises en cause ;
. qu'en effet, elle est une filiale de cette dernière et était seule présente dans la concurrence qui l'opposait à la CALC puisqu'elle avait décidé d'installer une usine de collecte de lait dans la région d'activité où opérait la CALC et proposait des tarifs plus intéressants aux adhérents de cette dernière ;
. que mettre en doute la solvabilité du groupe Parmalat, majoritaire dans le capital de la SA Laiterie de Carpiquet revenait à mettre en doute la solvabilité de cette dernière ;
. que la CALC a bien tenté de discréditer son image auprès des fournisseurs de lait et que la lettre-circulaire, qui ne s'est pas limitée à un souci d'information dans un intérêt commun, a caractérisé un dénigrement public constitutif de concurrence déloyale ;
. que ces agissements, en ralentissant considérablement l'établissement de relations commerciales avec les producteurs de la région, se sont traduits pour elle par un manque à gagner évident ;
Attendu que la lettre circulaire en cause faisait état des difficultés financières de la société italienne Parmalat et mettait les producteurs de lait coopérateurs contre les risques qu'ils encourraient en cessant de s'adresser à la coopérative, pour défendre des intérêts égoïstes en cherchant à obtenir des prix légèrement supérieurs, et en sacrifiant les intérêts des producteurs qui resteraient fidèles à la coopérative ;
Que bien qu'énoncés en termes voilés, les critiques ainsi émises à l'encontre de la société Parmalat n'en visaient pas moins de manière certaine, dans le cercle clos, mais attentif et avisé du monde rural, la SA Laiterie de Carpiquet, dont personne ne pouvait ignorer qu'elle était une filiale de la société Parmalat ;
Mais attendu que, pour autant, ces critiques ne peuvent être tenues pour constituer un acte de dénigrement caractérisé, dès lors qu'ils émanaient d'une coopérative, dont l'objet est la défense des intérêts de ses membres et qu'en l'espèce, l'intention de nuire n'était pas certaine, dès lors que de toute évidence, la coopérative ne pouvait attirer l'attention des coopérateurs sur les risques encourus tant par les coopérateurs qui lui restant fidèles que par ceux qui la quitteraient au profit de la SA Laiterie de Carpiquet, sans leur communiquer des éléments objectifs à l'appui de ses affirmations ;
Qu'au demeurant, ces éléments sont confirmés par les extraits de la presse italienne et française produits par la coopérative ;
Attendu d'autre part, qu'à supposer même établi le caractère discréditoire de la lettre-circulaire incriminée, il n'est pas contesté que sa diffusion ait été limitée à une trentaine de producteurs de lait, tous membres de la coopérative qui regroupe 2 300 coopérateurs; qu'ainsi,cette diffusion, à caractère interne peut difficilement être tenue pour être assortie d'un caractère public ;
Attendu en conséquence que le jugement entrepris devra être infirmé dans toutes ses dispositions, la SA Laiterie de Carpiquet étant déboutée de toutes ses demandes ;
Attendu que l'équité ne commande pas de faire droit à la demande formée par l'appelante en vertu de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ;
Par ces motifs, LA COUR : Statuant publiquement et contradictoirement ; Infirme le jugement entrepris ; Déboute les parties de toutes leurs demandes ; Condamne la SA Laiterie de Carpiquet aux dépens et accorde à Maître Baulme, avoué, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile.