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Décisions

CA Paris, 1re ch. B, 18 avril 1991, n° 90-7374

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Fédération Nationale de la Fourrure

Défendeur :

Pro TV (SA), Comité d'Action Pour la Défense des Animaux en Péril, TF1 (Sté), Le Lay, Association Assistance aux Animaux, Gerpresse (Sté), Desavants, Hersant, Hutin

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gié

Conseillers :

MM. Tailhan, Durieux

Avoués :

SCP Garrabos, Alizard, SCP Teytaud, Mes Bolling, Olivier, SCP Verdun, Gastou

Avocats :

Mes Benatar, Hincker, Rembarz, Bousquet, Majerholc, Cohen.

TGI Paris, 1re ch., 1re sect., du 17 jan…

17 janvier 1990

LA COUR statue sur l'appel principal, relevé par la Fédération Nationale de la Fourrure, d'un jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris (1re chambre, 1re section) en date du 17 janvier 1990 qui l'a déboutée des demandes de dommages-intérêts qu'elle a formées contre :

- la société d'édition Gerpresse,

- Monsieur Jacques Hersant, directeur de publication,

- Monsieur Alix Desavants, journaliste,

- la société Télévision Française 1 TF1 ,

- Monsieur Patrick Le Lay, directeur de publication de la Société TF1 ,

- la société de production Pro TV dont le président directeur général est Monsieur Jean Pierre Hutin,

- Monsieur Jean Pierre Hutin.

Dans son numéro du 22 décembre 1988 la revue 30 Millions d'amis - La vie des bêtes éditée par la Société Gerpresse a publié l'article d'Alix Desavants intitulé " Contre la fourrure - La Croisade des stars ".

Le 14 janvier 1989 à 18 heures 35 TF1 a diffusé dans son émission 30 Millions d'amis produite par la société Pro TV une séquence intitulée " Haro sur la fourrure - la mort sur les épaules ".

Le Comité d'Action pour la Défense des Animaux en Péril CADAP et l'association Assistance Aux Animaux sont intervenus volontairement en première instance.

En appel la Fédération de la Fourrure reprend les moyens précédemment développés, selon lesquels :

- l'article et l'émission seraient diffamatoires pour les fourreurs,

- leur profession serait victime d'une campagne de dénigrement au profit du commerce des fourrures de synthèse,

- les conditions de la liberté d'expression ainsi que de la liberté d'opinion telles que prévues notamment par la Convention Européenne des Droits de l'Homme n'auraient pas été respectées.

En conséquence la Fédération de la Fourrure demande que le jugement soit infirmé, et :

- d'une part que la Société Gerpresse, Monsieur Hersant ainsi que Monsieur Desavants soient condamnés in solidum à lui payer la somme de 400 000 F à titre de réparation des préjudices tant matériel que moral causés à ses adhérents par l'article de la revue 30 Millions d'amis, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, outre la somme de 50 000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- d'autre part que la Société TF1, Monsieur Le Lay et Monsieur Hutin soient condamnés in solidum à lui payer la somme de 500 000 F à titre de réparation du préjudice causé à ses adhérents par l'émission de TF1, avec intérêts au taux légal, ainsi que la somme de 50 000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La Société TF1 ainsi que Monsieur Le Lay demandent que le jugement soit confirmé et que la Fédération de la Fourrure soit condamnée à leur payer la somme de 10 000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Subsidiairement, pour le cas où ils seraient condamnés, ils forment appel provoqué à l'égard de la Société Pro TV et ils demandent que celle-ci, productrice de l'émission, soit condamnée à les garantir, ainsi qu'à leur payer la somme de 15 000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La Société Gerpresse, Monsieur Hersant et Monsieur Desavants d'une part, la Société Pro TV et Monsieur Hutin d'autre part, demandent que le jugement soit confirmé et que la fédération de la Fourrure soit condamnée à leur payer la somme de 20 000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Le CADAP demande que le jugement soit confirmé ; il invoque le préjudice que lui cause l'allégation de la Fédération selon laquelle il assurerait la promotion de la fourrure synthétique, il prétend que celle-ci viserait à l'empêcher d'exprimer un courant d'opinion en faveur de la défense du monde animal, et il demande que la Fédération de la Fourrure soit condamnée à lui payer la somme de 50 000 F à titre de dommages intérêts ainsi que celle de 20 000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

L'Association Assistance aux Animaux demande également que le jugement soit confirmé et que la Fédération soit condamnée à lui payer la somme de 5 000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Il est référé pour le surplus de l'exposé des faits aux motifs du jugement déféré et pour plus ample développement des prétentions et moyens des parties aux écritures d'appel ainsi qu'aux pièces régulièrement versées aux débats.

Sur quoi, LA COUR,

Considérant que l'article de la revue 30 Millions d'amis était consacré à la défense des animaux à fourrure, qu'il faisait état notamment de l'action de la Fondation de Bellerive du Prince et de la Princesse Aga Khan, et qu'il portait en gros caractères des mentions telles que : " Cruelle pour être belle. La Fourrure : un luxe macabre. Nous voudrions faire comprendre aux femmes qu'on peut être élégante sans tuer des animaux " ;

Considérant que l'émission de TF1 présentait des images réalisées par le CADAP, dont la présidente était interviewée, illustrant la capture ainsi que l'élevage des animaux à fourrure, et qu'elle se terminait par la rediffusion d'un film de la fondation Greenpeace représentant un défilé de mode de manteaux de fourrure qui répandaient du sang ;

Considérant que l'article ainsi que l'émission s'inscrivent dans le contexte de la campagne déjà ancienne de protection de certaines espèces animales, et qu'en invitant le public à renoncer au port de la fourrure pour la défense de cet intérêt légitime, leurs auteurs, qui ne se sont livrés à aucune attaque contre la profession des fourreurs, n'ont commis aucune faute ;

Considérant que la cruauté de certaines méthodes de chasse et d'élevage, même si celles-ci ne sont pas contraires à la réglementation en vigueur, est également dénoncée dans le seul intérêt de la protection animale et qu'au surplus, ces méthodes ne sont pas imputables aux fourreurs ;

Considérant que la vivacité des termes employés, ainsi que de certaines images, qui visent à dissuader le public de porter des fourrures, n'excède pas celle des moyens ordinairement mis en œuvre dans ce genre de publication, et que la Fédération est mal fondée à prétendre que les fourreurs, qui ne sont pas nommés, seraient victimes d'un véritable appel à la violence;

Considérant que l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, dont la Fédération se prévaut, garantit la liberté d'opinion et d'information, qu'il prévoit seulement que des restrictions peuvent lui être apportées par la loi pour la protection de la réputation et des droits d'autrui, auxquels il n'est pas porté atteinte en l'espèce, et que c'est conformément à ces principes que l'article a été publié et que l'émission a été diffusée ;

Considérant que c'est également dans l'intérêt de la protection animale que le port de la fourrure synthétique est préconisé, et que c'est à tort que La Fédération prétend qu'il s'agissait en réalité de la promotion d'un produit, destinée à fausser le libre jeu de la concurrence ; qu'en outre, la Fédération est mal fondée à se prévaloir de la Convention Européenne de la Télévision Transfrontière du 5 mai 1989, qui est postérieure aux faits de la cause auxquels elle n'est pas applicable, et qui prohibe la présentation de produits dans les émissions mais seulement lorsque celle-ci est faite dans un but publicitaire ;

Considérant que les œuvres qui militent en faveur de la protection du monde animal ne poursuivent aucun but lucratif alors que les fourreurs protègent les intérêts économiques de leur profession, et que c'est sans rompre l'équilibre entre les parties que, alors que les émissions 30 Millions d'Amis sont gratuites pour leurs auteurs, TF1 ouvre ses antennes à titre onéreux seulement à la Fédération de la Fourrure pour la publicité de son métier d'art ;

Considérant enfin que la Fédération est chargée des intérêts généraux de la profession, etque dès lors n'a pas qualité pour assurer la défense des intérêts patrimoniaux de ses adhérents, dont elle prétend que les fonds de commerce auraient subi un détournement de clientèle, en invoquant l'article 1er du Premier Protocole Additionnel à la Convention Européenne des Droits de l'Homme, selon lequel toute personne a droit au respect de ses biens ;

Considérant en conséquence que ni l'article ni l'émission ne sont diffamatoires pour les fourreurs, que la profession n'a pas été dénigrée, et que les opinions du CADAP ainsi que de La Fondation de Bellerive ont été exprimées sans malveillance, et sans qu'aucune faute puisse être retenue ni à la charge de la société d'édition Gerpresse ni à celle de la Société TF1, que le jugement doit être confirmé en ce que La Fédération a été déboutée de ses demandes ;

Considérant que le CADAP qui a toute liberté de militer en faveur du monde animal, ne rapporte pas la preuve que ce serait pour l'empêcher d'exprimer son opinion que la Fédération exercerait son droit d'agir en justice, et que c'est sans faute que celle-ci a pu articuler dans ses écritures qu'en préconisant le port de la fourrure synthétique il en aurait assuré la promotion ;

Considérant qu'il ne paraît pas inéquitable de laisser les frais hors dépens à la charge de chacune des parties qui les a exposés ;

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris ; Déboute les parties de toutes leurs demandes ; Condamne la Fédération Nationale de la Fourrure aux dépens d'appel ; Admet la société civile professionnelle G. et F. Teytaud, Me Bolling, Me Olivier et la société civile professionnelle Verdun et Gastou au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.