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Décisions

CA Montpellier, 1re et 2e ch. réunies, 2 avril 1991, n° 87-2463

MONTPELLIER

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Marie Brizard et Roger International (SA)

Défendeur :

Khalifa (Consorts), Business and Organisation (SA), Société Internationale de Boissons (SA), Société de Négoce des Produits Alimentaires (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bacou

Conseillers :

MM. Thiolet, Brunet, Mmes Fossorier, Plantard

Avoués :

SCP Touzery-Cottalorda, SCP Estival-Divisia

Avocats :

Mes Le Forsonney, Malinconi, Vidal-Naquet.

T. com. Marseille, du 29 juin 1982

29 juin 1982

Faits, procédure

La Société Marie Brizard et Roger International (MBRI) a acquis en 1975 des Consorts Khalifa 5 % des actions de la SA Ralli France ; la SA Ralli France était propriétaire exclusif du secret de fabrication d'une boisson au citron sans sucre.

La Société MBRI ayant fait apport de la marque Pulco, la Société Ralli France est devenue le 17 décembre 1975 la Société Pulco Ralli France.

Le 23 juin 1980 les Consorts Khalifa ont cédé à MBRI la totalité des actions qu'ils détenaient encore dans la Société Pulco Ralli France. A la même date, par des actes distincts, les Consorts Khalifa ont consenti à des clauses d'interdiction d'établissement et de concurrence portant sur cette boisson et sur un concentré de citron jusqu'au 31 décembre 1981 et ont garanti que la Société Pulco Ralli France était seule en possession, en qualité de propriétaire, des formules et de la technique relative à la fabrication de l'express Pulco Citron.

Suivant exploit d'huissier en date du 24 mai 1982 les Consorts Khalifa, la SA Internationale de Boissons (SIB) et la SA de Produits Alimentaires ont cité la Société MBRI devant le Tribunal de Commerce de Marseille à l'effet de voir cette dernière condamnée à réparer le préjudice causé du fait d'actes de concurrence déloyale, plus précisément d'actes de dénigrement dans la presse et auprès de partenaires commerciaux. Le Tribunal de Commerce de Marseille a considéré dans son jugement du 29 juin 1982 :

- que la convention du 23 juin 1980 faisait défense aux vendeurs de " concevoir et préparer tous projets, notamment industriels, commerciaux, financiers, techniques ou technologiques dans le domaine exclusif de la fabrication et de la vente de l'express Citron Pulco sans sucre et du concentré de Pulco Citron sans sucre, y compris au niveau de la recherche et du développement ; jusqu'au 31 décembre 1981 qu'après cette date, il était expressément convenu que le groupe Khalifa était autorisé à concevoir, fabriquer, commercialiser toutes boissons au citron sans sucre et tous concentrés de citron ; qu'il n'était nullement établi que le groupe Khalifa avait conservé des documents concernant la " recette de fabrication " de l'express Pulco Citron ; qu'il ne pouvait être fait grief au groupe Khalifa d'avoir construit et équipé un bâtiment avec des installations pour la fabrication de produits à base d'orange, mandarine, pamplemousse et fraise ;

- qu'ainsi le dénigrement effectué par la Société MBRI résultant d'extraits de revues (USB du 26 avril 1982, AGRA Alimentation du 29 avril 1982, LSA du 7 mai 1982), de diverses sommations adressées à des partenaires financiers du groupe Khalifa leur faisant défense de commercialiser les produits fabriqués par la SA SIB, demandant la délivrance de contrats publicitaires, constituait un acte de concurrence déloyale ; que diverses réactions de fournisseurs et de clients du groupe Khalifa apportaient la preuve du préjudice subi ;

- que ce préjudice commercial pouvait être évalué à la somme de 3 500 000 F ;

- que la SA MBRI devait être déboutée de sa demande reconventionnelle ;

En conséquence le Tribunal de Commerce de Marseille a, le 29 juin 1982 :

Sur la demande principale

" Dit et jugé que la SA MBRI Marie Brizard et Roger International a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de Monsieur Jacques Khalifa, de Madame Anna Legeay épouse Norbert Khalifa, de Monsieur Paul Khalifa, de Madame Odette Alimi épouse Gilbert Khalifa, de Monsieur Gilbert Khalifa, de M. Rudolf Khalifa, de Monsieur Norbert Khalifa, de Monsieur Serge Khalifa, de Monsieur José Khalifa, de Monsieur Noël Khalifa, de Monsieur Alain Khalifa, de la SA Business and Organisation (BAO) de la SA Internationale de Boissons (SIB) et de la SA de Négoce de Produits Alimentaires (SNPA) ;

Condamné la SA MBRI Marie Brizard et Roger International à payer à Monsieur Jacques Khalifa, à Madame Anna Legeay épouse Norbert Khalifa, à Monsieur Paul Khalifa, à Madame Odette Alimi épouse Gilbert Khalifa, à Monsieur Gilbert Khalifa, à Monsieur Rudolf Khalifa, à monsieur Norbert Khalifa, à Monsieur Serge Khalifa, à Monsieur José Khalifa, à Monsieur Noël Khalifa, à Monsieur Alain Khalifa, à la SA Business and Organisation (BAO), à la SA Internationale de Boissons (SIB) et à la SA de Négoce de Produits Alimentaires (SNPA) :

- la somme principale de 3 500 000 F (trois millions cinq cent mille francs) à titre de dommages et intérêts ;

- la somme de 10 000 F (dix mille francs) au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure civile.

Condamné, en outre, la SA MBRI Marie Brizard et Roger International aux entiers dépens de la présente instance.

Débouté les quatorze défendeurs du surplus de leurs demandes, fins et conclusions.

Sur la demande reconventionnelle

Recevant en la forme la demande reconventionnelle la demande formulée par la SA MBRI Marie Brizard et Roger International à l'encontre des quatorze défendeurs à la présente instance, l'en déboute au fond.

Ordonné la parution du dispositif du présent jugement, et ce au frais de la SA MBRI Marie Brizard et Roger International, dans les trois revues suivantes :

- la revue périodique " VSB "

- la revue périodique " AGRA Alimentaire "

- la revue périodique " LSA "

Ordonné l'exécution provisoire des dispositions du présent jugement.

Condamné la Société MBRI aux entiers dépens. "

La Société MBRI a relevé appel de cette décision.

Par ailleurs, suivant exploit d'huissier du 9 juillet 1982 la Société MBRI a assigné à jour fixe devant le Tribunal de Commerce de Bordeaux les Consorts Khalifa et les Sociétés susnommés auxquels elle reprochait, à son tour, de l'avoir dénigrée dans un communiqué de presse et deux articles parus dans la presse professionnelle.

Le Tribunal de Commerce de Bordeaux, a, par une décision en date du 24 août 1982, considéré :

- que le Tribunal compétent était celui du lieu où le préjudice est subi, c'est-à-dire Bordeaux, lieu du siège social de MBRI ;

- qu'il n'y avait pas lieu à se dessaisir au profit de la Cour d'appel d'Aix, les faits étant différents de ceux ayant été jugés par le Tribunal de Commerce de Marseille ;

- que par trois articles indissociables, le groupe Khalifa, " donneur d'informations " et " instigateur de cette campagne " avait dénigré la Société MBRI

- que le préjudice subi par la Société MBRI devait être évalué à la somme de 2 000 000 F

En conséquence, le Tribunal de Commerce de Bordeaux a :

- débouté les défendeurs de leur déclinatoire de compétence et de leur déclinatoire de connexité ;

- condamné ceux-ci à verser à la Société MBRI la somme de 2 000 000 F à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale ;

- ordonné l'exécution provisoire à hauteur de 1 000 000 F ;

- condamné les défendeurs aux entiers dépens.

Les défendeurs ont relevé appel de cette décision le 2 septembre 1982.

Par arrêt du 6 mars 1984 la Cour d'appel de Bordeaux a considéré :

- que le Tribunal de Commerce de Marseille était territorialement et matériellement compétent pour connaître de l'action en concurrence déloyale introduite par MBRI ;

- que les actions introduites à Bordeaux et à Marseille avaient le même fondement et s'inscrivaient dans une série de procédures ayant pris naissance dans les accords intervenus entre les parties ; que les articles incriminés au groupe Khalifa se situaient dans une période proche de ceux imputés à MBRI;

La Cour d'appel de Bordeaux s'est dessaisie au profit de la Cour d'Aix-en-Provence.

Par un arrêt en date du 14 février 1985 la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a considéré :

- que le protocole du 23 juin 1980 garantissait à la Société Pulco Ralli France la propriété des formules ayant permis depuis le 1er janvier 1976 la fabrication de l'express Citron Pulco sans sucre ainsi que la technique relative à cette fabrication ; que dans une note du même jour le groupe Khalifa s'obligeait, jusqu'au 31 décembre 1981, à ne s'intéresser directement ou indirectement à aucun fonds de commerce " susceptibles de faire concurrence à Pulco Ralli France " dans le domaine exclusif de la fabrication et de la vente de l'express Citron Pulco sans sucre et de concentré Citron Pulco, cette interdiction s'étendant à la défense jusqu'à la même date de " concevoir et de préparer tous projets financiers, techniques ou technologiques " dans le domaine exclusif de la fabrication et de la vente de la boisson et du concentré susvisé " y compris au niveau de la recherche et du développement " ;

- que ce n'est qu'à partir du printemps 1982 que le groupe Khalifa a mis sur le marché, sous la marque Agruma une boisson au citron sans sucre, susceptible de concurrencer le Pulco Citron ;

- que l'on ne pouvait vouloir empêcher le groupe Khalifa, inventeur de l'express Citron sans sucre, d'avoir conservé dans sa mémoire l'expérience technique et le souvenir des essais antérieurs ; que le groupe Khalifa a, ainsi, très légitimement mis son expérience en pratique pour fabriquer d'abord l'Agruma orange, mandarine, pamplemousse et fraise puis, après le 31 décembre 1981, une nouvelle boisson au citron, dite Agruma ; qu'ainsi, grâce à l'expérience licite acquise du fait de l'infrastructure mise en place par les différentes sortes d'Agruma, le groupe Khalifa a pu, très rapidement après la période de non-concurrence commencer la production et la commercialisation de l'Agruma Citron ; que la preuve de la mauvaise foi du groupe Khalifa n'est pas établie ;

- que les parties s'accusent réciproquement de dénigrement ; que les articles parus dans la revue VSB, le 26 avril 1982, dans la revue AGRA Alimentation le 29 avril 1982, la revue LSA le 7 mai 1982, donnaient à penser qu'Agruma avait été conçu et préparé en violation des accords conclus et qu'une juridiction avait estimé qu'il y avait des présomptions dans ce sens ; que ces articles, faisant état de renseignements confidentiels, n'avaient pu paraître qu'à la diligence de MBRI ; qu'en outre MBRI, en adressant à Télé Monté-Carlo le 19 mai 1982 une sommation interpellative faisant état d'une commercialisation " déloyale " de l'Agruma Citron, en se mettant en relation avec les clients du groupe Khalifa afin de les sensibiliser à un retrait possible du stock, a commis des actes de dénigrement sans aucun motif légitime ;

- qu'il en est résulté pour le groupe Khalifa un préjudice financier de 3 500 000 F ;

- que, par contre, la Société MBRI n'établit nullement que le groupe Khalifa a eu une quelconque initiative dans la parution des articles des journaux Rush et Les Echos des 31 mai et 3 juin 1982 ; que l'article paru le 7 mai 1982, à l'initiative de Khalifa n'est en rien blâmable et ne saurait ouvrir droit à des dommages et intérêts ;

La Société MBRI a formé un pourvoi en cassation, fondé sur trois moyens ; la Cour de Cassation a cassé partiellement l'arrêt attaqué.

Par son premier moyen la Société MBRI soutenait, qu'en excluant la faute contractuelle du groupe Khalifa alors que l'ensemble de la gamme Agruma avait été lancé sur le marché en même temps, que l'infrastructure nécessaire avait été mise en place pendant la période de protection, la Cour d'appel n'avait pas tiré toutes les conséquences de ses propres constatations. La Cour de cassation a rejeté ce moyen par arrêt du 3 mars 1987.

Par son deuxième moyen la Société MBRI soutenait que la Cour d'appel n'avait pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en énonçant que le groupe Khalifa n'avait commis aucune faute contractuelle en fabriquant le produit " Agruma Citron " grâce aux techniques de fabrication dont elle avait acquis " la possession exclusive ". La Cour de Cassation a rejeté ce moyen.

Par son troisième moyen la Société MBRI contestait la décision de la Cour relative aux actes de dénigrement qui lui étaient imputés ; elle articulait ce moyen en plusieurs branches.

La Société MBRI soutenait d'abord qu'en retenant la sommation interpellative du " 14 " mai 1982 signifiée à la Société Monté-Carlo, comme caractérisant un acte de concurrence déloyale alors que cette sommation reproduisait fidèlement les motifs d'une ordonnance de référé du 2 avril 1982 exécutoire par provision, la Cour avait dénaturé cet acte ; elle soutenait ensuite qu'il ne pouvait lui être reproché d'avoir omis de préciser à l'occasion des articles de presse des 29 avril et 7 mai 1982 que l'ordonnance de référé avait été frappée d'appel le 15 avril 1982 et qu'elle avait été infirmée le 15 septembre 1982. La Cour de Cassation a considéré que la Cour d'Appel d'Aix avait dénaturé la sommation interpellative du " 14 " mai 1982 et n'avait pas donné de base légale à sa décision en retenant des événements qui ne s'étaient pas réalisés au moment où la faute devait s'apprécier. Ainsi, sur ces points la Cour de Cassation a cassé l'arrêt d'Aix-en-Provence et renvoyé la cause devant la Cour d'appel de céans.

Moyens et prétentions des parties

Dans ses conclusions en date du 14 juin 1988 et 7 février 1991 la SA Marie Brizard et Roger International expose :

- que les consorts Khalifa reprochent à la Société Marie Brizard d'avoir fait état d'une ordonnance de référé à des fins de dénigrement dans trois articles de presse parus le 26 avril 1982 dans la Revue VSB, le 29 avril 1982 dans la Revue AGRA Alimentation, le 7 mai 1982 dans la Revue LSA ; que, cependant, ces articles ont été rédigés librement par des journalistes maîtres de leur plume et capables de contrôler l'exactitude de leurs informations ; que s'agissant d'une décision de justice régulièrement rendue, assortie de plein droit de l'exécution provisoire, la délivrance d'informations exactes ne saurait, en tout état de cause être répréhensible ; qu'en outre, il ne peut lui être fait grief de ne pas avoir indiqué que par arrêt du 15 septembre 1982 la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence avait réformé l'ordonnance publiée ;

- que les consorts Khalifa soutiennent que la Société Marie Brizard se serait rendue coupable d'actes de concurrence déloyale en faisant délivrer en mai 1982 à la Société Télé Monté-Carlo une sommation interpellative visant à obtenir la communication des projets publicitaires propres à l'Agruma Citron ; que sont également invoquées des correspondances adressées à certains fournisseurs ; qu'il ne s'est agi, en fait, que de défendre ses intérêts légitimes en ne dénaturant pas les termes de l'ordonnance de référé du 2 avril 1982 ;

- qu'aucune indication n'est fournie quant au montant du préjudice allégué ;

- que les demandes en dédommagement formulées " collectivement " par les différents membres du groupe Khalifa sont irrecevables ;

La Société MBRI sollicite que lui soit accordée la somme de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Dans leurs conclusions du 3 octobre 1990 Khalifa Jacques Denis, Legeay Anna, Khalifa Paul, Alimi Odette, Khalifa Gilbert, Khalifa Rudolf, Khalifa Norbert, Khalifa Serge, Khalifa José, Khalifa Noël, Khalifa Alain, la Société Business and Organisation, la Société de Négoce de Produits Alimentaires, la Société Internationale de Boissons, exposent :

- que le 2 avril 1982, par ordonnance de référé, était ordonnée une expertise afin de rechercher, tout droits des parties réservés, s'il n'y avait pas pendant la période de non-concurrence des préparatifs prohibés ; qu'une telle décision ne pouvait être exploitée quant au fond du droit ; qu'il est de jurisprudence qu'on ne peut assurer de sa propre initiative la publication d'une décision de justice, alors, surtout, qu'il s'agit d'une ordonnance de référé ;

- que le 26 avril 1982 la Revue Périodique Professionnelle VSB faisait paraître une information selon laquelle les Sociétés du groupe Khalifa étaient l'objet d'une action en concurrence déloyale de la part de MBRI du fait du non-respect d'une clause de non-concurrence " qui avait amené le Juge des référés à reconnaître l'existence de nombreuses présomptions " ;

- que le 29 avril 1982 la Revue AGRA relevait que la SIB et la famille Khalifa étaient soupçonnées du non-respect d'une clause de non-concurrence par la Société MBRI et que le Juge des référés avait estimé les soupçons suffisamment consolidés pour nommer un expert " en attendant l'interdiction définitive de commercialisation du Citron Agruma et le retrait des stocks " ;

- que le 7 mai 1982 la Revue LSA révélait que la Société MBRI et PRF avaient engagé contre la famille Khalifa une instance en vue de l'interdiction définitive du Citron Agruma et du retrait des stocks ;

- que le " 14 " mai 1982, MBRI faisait sommation interpellative à la Société Télé Monté-Carlo pour obtenir communication de tous les projets publicitaires concernant le Citron sans sucre Agruma, en indiquant que, par une ordonnance de référé, " au vu du sérieux de ses soupçons " elle avait obtenu la nomination d'un expert ;

- que le dénigrement est caractérisé, dès lors, qu'il consiste à jeter le discrédit sur les produits de travail ou sur la personne d'un concurrent ; que le fait de faire état d'une décision de justice à des fins dénigrantes constitue un dénigrement fautif ; que cette décision de justice a été portée à la connaissance de la clientèle commune des parties, accompagnée de commentaires dénigrants ; qu'elle engage les destinataires à cesser leurs relations commerciales avec le groupe Khalifa ;

- qu'il y a lieu d'évaluer leur préjudice à la somme de 7 000 000 F et de condamner la Société MBRI au paiement de la somme de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Motivation de la décision

Attendu que seuls demeurent en suspens les actes de dénigrement et de concurrence déloyale imputés par le groupe Khalifa à la Société MBRI ; que plus précisément le groupe Khalifa invoque cinq faits différents : trois articles parus dans la presse spécialisée, une sommation en date du 1er février 1982 adressées, selon ses dires, à tous les fournisseurs du groupe Khalifa, une sommation interpellative en date du 14 mai 1982 adressée à la Société Monté-Carlo ;

L'examen des trois articles de presse :

Attendu qu'il est constant qu'est consécutif d'un acte de dénigrement le fait de se livrer à une exploitation commerciale d'une décision non définitive, que le moyen de diffusion des propos est indifférent; qu'il appartient, toutefois, à la partie demanderesse d'établir que les propos incriminés sont bien le fait de la partie défenderesse;

Attendu que l'article paru dans la Revue VSB du 26 avril 1982 dans la rubrique " Les Produits " est ainsi libellé : " Pulco contre Agruma : Pulco Ralli France (Marie Brizard) vient d'attaquer pour concurrence déloyale la Société Internationale de Boissons (Famille Khalifa), en lui reprochant de ne pas avoir respecté la clause de non-concurrence à laquelle elle s'était engagée lors de son retrait de Pulco Ralli. Le Juge des référés vient d'estimer qu'il y avait de sérieuses présomptions : Agruma aurait été conçu et préparé en violation des accords conclus entre les deux firmes " ; que si cet article reprend certains termes de l'ordonnance de référé du 2 avril 1982, il ne traduit pas la signification exacte et la portée réelle d'une ordonnance de référé organisant une expertise ; que, toutefois, aucun élément figurant au dossier ne permet d'établir que la Société MBRI est à l'origine de la publicité ainsi donnée à une décision de justice provisoire et limitée dans ses effets ;

Attendu que l'article paru dans la Revue AGRA Alimentation du 29 avril 1982 dans la rubrique " France : Activité des Sociétés en bref " est ainsi libellé : " Marie Brizard : La famille Khalifa est soupçonnée de ne pas avoir respecté la clause de non-concurrence à laquelle elle s'est engagée envers le Pulco Citron. En effet, pour le Juge des référés saisi du litige, il est à craindre sur la base de soupçons suffisamment consolidés, que le Citron Agruma produit par la Société Internationale de Boissons appartenant à la famille Khalifa, ait été conçu et préparé en violation de cette clause de non-concurrence. D'où la nomination d'un expert chargé d'éclairer la justice, laquelle aura ensuite à se prononcer à la demande de Pulco Ralli France (Marie Brizard) sur l'interdiction définitive de commercialisation du Citron Agruma et le retrait des stocks qui se trouveraient dans la distribution " ; que cet article reprend certains termes de l'ordonnance précitée, précisant notamment qu'une expertise a été ordonnée, sans soutenir aucun élément figurant au dossier ne permet d'établir que la Société MBRI est à l'origine de l'article de presse incriminé ;

Attendu que le 7 mai 1982 la Revue LSA a fait paraître un article intitulé " Provence-Alpes-Côte d'Azur - Guerre des pulpes : la SIB d'Aubagne lance trois jus de fruits sur le marché européen ", sous la signature de Philippe Real ; que cet article ne contient aucune allusion, information ou allégation dénigratoire, mais est, tout au contraire, flatteurs pour les qualités d'hommes d'affaires et d'industriels du groupe Khalifa ; qu'ici encore, aucun élément ne permet de démontrer que la Société MBRI est à l'origine de cet article ; qu'à l'inverse, son contenu et les informations précises relatives au montage financier du projet Khalifa, donnent à penser que l'initiateur a pu en être le groupe Khalifa ;

Attendu que les trois articles invoqués ne caractérisent pas un comportement fautif imputable à MBRI ; que de simples présomptions ou déductions ne peuvent suffire à établir la preuve de la matérialité d'un comportement fautif ;

La sommation du 1er février 1982 :

Attendu que le groupe Khalifa soutient que par cette sommation la Société MBRI a fait défense à ses fournisseurs et clients de traiter avec lui ;

Attendu, cependant, que l'examen de la sommation en question fait apparaître qu'elle a été adressée, en fait, aux consorts Khalifa, à la Société Business and Organisation, à la Société de Négoce des Produits Alimentaires, à la Société Internationale de Boissons, parties aux actes du 23 juin 1980 ou dans la présente instance en tant que membre du groupe Khalifa ; qu'il ne résulte pas du dossier que le Comptoir des Ventes Libannais, la Société Propak d'Equipement Industriels, la Société Manubin Equipement Alimentaire, la Société NBC, la Société Gasquet ne sont que de simples clients du groupe Khalifa ;

Attendu qu'en outre en annexant à la sommation en question les sous-seings privés du 23 juin 1980 la Société MBRI a mis ses interlocuteurs en mesure de prendre une connaissance complète de la situation et n'a, à ce niveau, commis aucun acte irrégulier ; qu'en affirmant, " qu'en vertu des deux actes précités et d'autres actes passés le même jour la Société Marie Brizard et Roger International est seule et exclusive propriétaire de l'ensemble des techniques de fabrication industrielle de l'Express Citron " la Société MBRI n'a fait que présenter sa position ; qu'en faisant " sommation de cesser immédiatement d'utiliser, d'exploiter, de commercialiser, de manière directe ou indirecte, et notamment dans le cadre de l'unité de fabrication et de production mises au point dans le cadre de la Société Ralli France, puis Pulco Ralli France qui sont la propriété exclusive de Marie Brizard et Roger International " la Société MBRI n'a fait que défendre ses droits et user de moyens licites ; que les documents annexés à la sommation, le texte même de la sommation laissent clairement apparaître ce qui est de la position de MBRI et permettent à tout professionnel d'agir en connaissance de cause, en fonction de ses intérêts ; qu'au demeurant, des tiers aux actes sous-seings privés du 23 juin 1980 ne peuvent raisonnablement se sentir menacés par l'existence d'un conflit né entre les parties à ces actes ;

La sommation interpellative du 19 mai 1982

Attendu que par acte d'huissier du 19 mai 1982 la Société MBRI a sommé la Régie Publicitaire de Télé Monté-Carlo de :

- lui délivrer une copie du film publicitaire " Agruma " dont le passage sur la chaîne de Télévision de Télé Monté-Carlo a commencé le 17 mai 1982,

- dire si ce film concerne pour tout ou en partie un produit dénommé " Agruma " Citron,

- indiquer à quelle date ont été réservés les espaces publicitaires de diffusion de ce film

- indiquer le calendrier précis des passages de ce film sur la chaîne de Télévision Télé Monté-Carlo ;

Attendu que l'acte contenait des extraits de l'ordonnance du juge des référés du 2 avril 1982 organisant une expertise et précisait que " dans ces conditions ", il était " de l'intérêt de la Société MBRI d'obtenir la preuve des projets préparés dans le domaine de la promotion publicitaire de l'Agruma Citron " ;

Attendu que l'examen de cet acte adressé à un prestataire de service publicitaire du groupe Khalifa ne met pas en évidence des informations fausses ou tendancieuses ; que cet acte s'inscrit dans la recherche de preuves dans le cadre du procès en cours et n'excède pas le droit de tout plaideur de se constituer des preuves et des moyens de défense, qu'il n'est donc pas constitutif d'un acte de concurrence déloyale ou de dénigrement.

Décision

Attendu, en conséquence, qu'au vu des considérations ci-dessus, il y a lieu de réformer le jugement du Tribunal de Commerce entrepris, de dire que le groupe Khalifa ne rapporte pas la preuve de ce que la Société MBRI a commis à son encontre des actes de dénigrement ou de concurrence déloyale et de la débouter de sa demande en dommages et intérêts devenue, dès lors, sans fondement ; qu'il y a lieu de débouter les parties de leurs conclusions plus amples ou contraires ;

Attendu, que l'examen de l'ensemble des procédures et le sort qui leur a été réservé met en évidence que les parties ont succombé dans leurs actions respectives de concurrence déloyale ; qu'il paraît donc équitable de dire que les dépens de l'ensemble de la procédure seront supportés à parts égales par l'appelante et les intimés ;

Attendu que pour les mêmes raisons, il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Par ces motifs, LA COUR, En la forme : Constate qu'elle est valablement saisie : Au fond : Infirme le jugement du Tribunal de Commerce de Marseille du 29 juin 1982 en ce qu'il a dit que la Société MBRI avait commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre du groupe Khalifa et condamné la Société MBRI à payer la somme de trois millions cinq cent mille francs (3 500 000 F) à titre de dommages et intérêts, celle de dix mille francs (10 000F) sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, condamné la Société MBRI aux entiers dépens ; Déboute Khalifa Jacques, Legeay Anna épouse Khalifa Norbert, Khalifa Noël, Khalifa Gérard, Khalifa Gilbert, Alimi Odette, Khalifa Rudolf, Khalifa Norbert, Khalifa Serge, Khalifa José, Khalifa Alain, la Société BAO, la Société SIE, la Société SNPA de leur action en concurrence déloyale et en dénigrement dirigée contre la Société MBRI ; Déboute les parties de leurs conclusions plus amples au contraires ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Dit que les dépens seront supportés à parts égales entre l'appelante, d'une part, et les intimés, d'autre part, avec application de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile au profit de chacun des avoués de la cause.