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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 28 mars 1991, n° 90-272

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Alpy Beauté (SARL)

Défendeur :

Nina Ricci (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Poullain

Conseillers :

MM. Gouge, Audouard

Avoués :

Me Dampenon, SCP Faure Arnaudy

Avocats :

Mes Kadri, Anahory.

T. com. Bobigny, 1re ch., du 21 sept. 19…

21 septembre 1989

Dans des circonstances relatées par les premiers juges, la société Nina Ricci avait attrait la société Alpy Beauté devant le Tribunal de commerce de Bobigny afin d'obtenir la réparation du préjudice résultant, selon ses dires, du fait qu'Alpy vendait les produits de la demanderesse sans être distributeur agréé et qu'elle avait commis des actes de publicité mensongère, les produits portant la mention " vente exclusive par distributeur agréé ". Par son jugement du 21 septembre 1989, qui a exposé les faits, moyens et prétentions des parties antérieurs, le tribunal, retenant des actes de concurrence déloyale et de publicité mensongère, a condamné Alpy à payer une indemnité de 20 000 F, une somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC et les dépens. Alpy a relevé appel par déclaration du 22 novembre 1989 et saisi la Cour le 5 janvier 1990. Elle a conclu à l'infirmation, au débouté et à la condamnation de Nina Ricci à payer une somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC et les dépens. Nina Ricci, après avoir banalement conclu à la nullité, l'irrecevabilité ou au mal fondé et au paiement par Alpy d'une somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du NCPC a conclu de manière motivée à la confirmation de principe du jugement et par voie d'appel incident à ce que l'indemnité soit élevée à 700 000 F, les frais de publication à 50 000 F francs, les frais non taxables à 30 000 F et à ce qu'Alpy soit condamnée aux dépens. Alpy a répliqué par des conclusions banales de débouté.

Sur ce, LA COUR, qui pour un plus ample exposé se réfère au jugement et aux écritures d'appel.

1- Sur la licéité du système de distribution sélective mis en place par Nina Ricci :

Considérant qu'Alpy soutient d'abord que l'intimée ne peut lui opposer l'existence d'un réseau licite parce que ce réseau aboutirait à des pratiques de refus de vente ou d'abus de position dominante ; qu'en effet alors qu'elle-même était en possession de tous les éléments objectifs permettant de retenir sa candidature, ses demandes auraient été ajournées depuis 1980 au prétexte qu'en Seine-Saint-Denis il existait trop de surfaces de vente ; qu'elle aurait été victime de la position dominante de Nina Ricci dès lors qu'elle ne pouvait normalement exercer son activité sans offrir à la vente des produits de cette marque disposant d'une notoriété particulière ; que Nina Ricci ne saurait de prévaloir " de sa propre pratique délictueuse " pour fonder sa demande d'indemnité ;

Mais considérant que Nina Ricci répond à juste titre que son réseau de distribution sélective est licite ; qu'en effet les critères de sélection sont qualitatifs et de nature objective quant à la qualité professionnelle du distributeur ou de son personnel, à l'enseigne et à l'installation du point de vente, à l'inscription des candidats remplissant les critères sur une liste d'attente départementale chronologique d'après les conditions générales de vente mises aux débats, et ce sans discrimination ; que les distributeurs ont toute liberté pour fixer leurs prix ; qu'il ne peut être retenu l'existence d'une position dominante alors que la part de marché de Nina Ricci n'excède pas 10 % et que les produits de marque ont un taux de substitution élevé (ce qu'Alpy ne conteste pas) ; que ces accords de distribution ont effectivement pour objet et pour effet d'assurer un meilleur service au consommateur qui a la certitude d'être utilement conseillé dans un cadre agréable et d'obtenir des produits dans le meilleur état de fraîcheur et de conservation avec une relative stabilité des prix tenant à la maîtrise de sa production par le fabricant ;

Considérant qu'à tort Alpy, invoquant l'existence de plusieurs contrats de distribution sélective passés en 1987 dans son département se plaint de discrimination alors que Nina Ricci produit une liste chronologique où les demandes successives d'Alpy sont inscrites et qu'il ne résulte d'aune pièce que pour conclure ces contrats Nina Ricci ait méconnu l'ordre chronologique ; qu'il s'ensuit qu'Alpy ne peut reprocher à Nina Ricci ni un refus de vente ni un abus de position dominante ;

2- Sur la vente de produits Nina Ricci comme acte intrinsèque de concurrence déloyale :

Considérant qu'Alpy critique le jugement en ce qu'il a estimé que le simple fait de vendre les produits de Nina Ricci était fautif pour un commerçant n'appartenant pas au réseau ;

Que Nina Ricci répond qu'elle démontre la mauvaise foi d'Alpy, celle-ci ayant refusé de révéler ses sources d'approvisionnement ; que ceci tendrait à prouver la provenance illicite ; qu'Alpy qui ne pouvait ignorer les règles de la distribution sélective alors qu'elle était complice d'un distributeur agréé qui avait violé son contrat et qu'elle se comportait en parasite puisqu'elle n'accepte pas les règles de la distribution sélective ;

Considérant, ceci étant exposé, que le simple fait, par Alpy, qui a vendu et offert à la vente des produits Nina Ricci, d'avoir commercialisé ces produits sans être distributeur agréé ne peut être considéré comme une faute, une imprudence ou une négligence ; que Nina Ricci, demanderesse, qui a la charge de la preuve, ne saurait faire présumer que toute vente par un commerçant non agréé est nécessairement fautive ; qu'elle ne peut reprocher à Alpy, qui n'a rien à prouver, de ne pas révéler ses sources d'approvisionnement ; que Nina Ricci n'a pas en effet réellement cherché à découvrir lequel de ses distributeurs agréés aurait violé ses obligations contractuelles, couvrant ainsi par son laxisme des agissements délictueux qu'il lui appartenait de prévenir et d'empêcher ; que faute pour Nina Ricci de prouver que le défaut " d'étanchéité " de son réseau ne lui est pas imputable, elle ne peut reprocher au distributeur non agréé de vendre ses produits dont il n'est pas certain qu'ils aient été mis dans le circuit commercial parallèle notamment du fait de ventes à l'étranger sans son consentement; qu'en conclusion Nina Ricci ne prouvant pas l'existence d'un fait principal délictueux ne peut reprocher utilement à Alpy de s'en être " de mauvaise foi " rendu complice ; que la simple connaissance par Alpy de l'existence du réseau ne rend pas ses agissements fautifs ; qu'en raison de cette même incertitude sur ses sources réelles du marché parallèle Nina Ricci n'est pas en mesure de prouver l'existence d'un comportement parasitaire ou d'une désorganisation de son réseau qui ne soient pas imputable à sa propre carence ;

3- Sur l'acte distinct de publicité mensongère :

Considérant qu'à tort Nina Ricci reproche à faute à Alpy d'avoir vendu des produits portant la mention " vente exclusive par distributeur agréé " et violé ainsi l'article 44-1 de la loi du 27 décembre 1973 ;

Considérant en effet que, dans la mesure où le consommateur pourrait, par cette mention, être trompé sur une qualité substantielle du produit il convient de relever que celui qui a porté la mention sur le produit dans son propre intérêt et qui doit être considéré comme l'annonceur, responsable de la publicité mensongère est Nina Ricci, fabricant; qu'il n'appartenait pas à Alpy, qui aurait ainsi commis une faute, de détériorer l'emballage du produit vendu pour effacer la mention; que Nina Ricci, qui ne prouve pas en l'état des pièces du dossier que les produits litigieux n'ont pas été mis sur le marché parallèle sans son consentement ne saurait par cette simple mention se créer des droits opposables aux tiers sur la vente des produits alors que cette vente par des circuits parallèles n'est pas en elle-même fautive ; qu'au demeurant il n'est pas prouvé par Nina Ricci qu'Alpy aurait cherché, dans ses relations avec la clientèle, à se présenter comme un distributeur agréé de la marque et des produits Nina Ricci, ou que des clients aient été abusés sur la qualité réelle d'Alpy ; qu'il n'est pas allégué qu'Alpy ait vendu des produits défraîchis ou dans un cadre de nature à déprécier ces produits ou qu'à défaut de stock pour répondre à la demande l'offre en vente ait constitué la pratique fautive dite de la marque d'appel ;

Considérant que le jugement sera donc infirmé en toutes ses dispositions étant observé au surplus que le tribunal n'a pu, sans contradiction, relever que l'absence de preuve du préjudice n'autorisait qu'une " réparation symbolique " et allouer une indemnité de 20 000 F à titre de " sanction " d'un " comportement exclusif de bonne foi " ce qui n'est pas la fonction des dommages et intérêts ;

Considérant qu'en vendant en marge d'un réseau de distribution sélective dont elle connaissait l'existence Alpy a accepté le risque d'un procès ; qu'il n'est pas inéquitable qu'elle conserve ses frais non taxables ; que Nina Ricci, qui succombe, conservera également ses frais non taxables ;

Par ces motifs : Infirme le jugement du 21 septembre 1989, Déboute la société Nina Ricci de toutes ses prétentions. La condamne aux dépens de première instance et d'appel. Autorise pour ceux d'appel Maître Dampenon, avoué, à recouvrer conformément à l'article 699 du NCPC, Déboute les parties de leurs autres demandes.