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Décisions

CA Rouen, 1re ch. civ., 6 mars 1991, n° 3371-89

ROUEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

CPC France (SA)

Défendeur :

Kruger Gmbh et Co (Sté), Midial (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Falcone

Conseillers :

MM. Charbonnier, Grandpierre

Avoués :

SCP Galliere, Lejeune, SCP Hamel, Fagoo

Avocats :

Mes Isal, Guerlain.

TGI Rouen, du 5 juin 1989

5 juin 1989

Sur les appels interjetés par la société CPC France et par la Société Kruger GMBH et Co d'un jugement du Tribunal de Grande Instance de Rouen du 5 juin 1989 qui a déclaré la société CPC France, antérieurement dénommée Nutrial, irrecevable à agir contre la Société Kruger tant en contrefaçon d'un modèle de bocal contenant une préparation instantanée chocolatée sous forme de granulés commercialisés sous l'appellation " Benco " qu'en concurrence déloyale pour copie servile des caractéristiques de ce récipient et usage d'une marque constituant l'imitation du nom "Benco" ; qui a condamné d'autre part la Société Kruger à payer à la société Midial, titulaire des marques verbales et figuratives " Benco ", la somme de 100 000 F en réparation du dommage occasionné par la contrefaçon des marques complexes " Benco " et par l'usage du nom " Cleo " constitutif d'une imitation illicite des marques nominales " Benco ", et qui, déboutant pour le surplus la société Midial de sa demande afin de publication de la décision, a alloué à cette société, à la charge de la société Kruger, la somme de 10 000 F par application de l'article 700 du NCPC ;

Attendu que la société CPC France expose au soutien de son recours que, si elle n'est devenue propriétaire des marques litigieuses qu'à compter de l'apport que la Société Midial lui en a fait aux termes d'un acte du 18 décembre 1987, entériné par l'assemblée générale des actionnaires de cette société le 24 février 1988, elle, Société CPC sous sa précédente dénomination " Nutrial ", n'en assurant déjà pas moins la commercialisation des produits " Benco " depuis une époque largement antérieure à la date du procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé pour les besoins de la cause le 1er juillet 1987 ; que quoique cette cession de marques, faute d'avoir été l'objet d'une mention au Registre National des Marques ne soit pas opposable aux tiers ainsi que le dispose l'article 14 de la loi du 31 décembre 1964, elle est néanmoins recevable, comme exploitant des marques usurpées, à obtenir réparation, sur le fondement de la concurrence déloyale, du préjudice qui est résulté pour elle des agissements de la société Kruger ;

Attendu que la Société CPC France observe d'autre part qu'en vertu de la convention précitée du 18 décembre 1987 elle est devenue titulaire du modèle de bocal n° 33 693 déposé par la Société Banania le 18 mars 1970 au secrétariat du Conseil de Prud'hommes de Paris ; que le transfert de cette propriété, dès lors qu'il s'agit d'un modèle, n'exige aucune inscription à l'Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) ; qu'elle est donc recevable à agir en contrefaçon de ce chef, de même qu'en concurrence déloyale, à l'encontre de la société Kruger qui a reproduit jusque dans ses dimensions le bocal dont il s'agit ;

Attendu que la Société CPC France qui reprend au fond, pour les approuver, les motifs du jugement entrepris, demande en conséquence la condamnation de la société Kruger à lui payer une indemnité provisionnelle de 5 000 000 F ainsi que la désignation d'un expert du présent arrêt dans trois journaux aux frais de son adversaire et l'octroi à la charge de la Société Kruger d'une somme de 40 000 F au titre de l'article 700 du NCPC ;

Attendu que la société Kruger fait valoir en réponse qu'il ne saurait être question de permettre à la société CPC France qui ne justifie d'aucun contrat de concession de licence des marques " Benco " régulièrement publié, d'intenter une action fondée sur une infraction au droit à ces marques en invoquant un simple droit de commercialisation qu'elle prétend lui avoir été consenti ; qu'elle ajoute que, quant au modèle de bocal, la propriété dont se prévaut la société CPC France en vertu du traité d'apport conclu entre les Sociétés Midial et Nutrial le 18 décembre 1987, a été de toute façon transférée à cette dernière société postérieurement aux faits incriminés, décrits dans le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 1er juillet 1987 ; qu'elle en déduit que la Société CPC France ne peut arguer utilement de cette convention ;

Attendu que subsidiairement à l'irrecevabilité des prétentions adverses, la Société Kruger soutient au fond qu'il n'existe aucun risque de confusion dans l'esprit de la clientèle entre les noms " Benco " et " Cleo " nettement distincts l'un de l'autre ; que les couleurs utilisées par les marques complexes " Benco " de même que le motif de l'étiquette et l'aspect général du bocal renfermant le produit chocolaté vendu sous cette marque, ne présentent aucune originalité qui permette d'en rechercher l'imitation sur les emballages portant le nom de " Cleo " ; qu'enfin, si le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 1er juillet 1987, dressé dans les locaux du supermarché Carrefour de Barentin, relate que les bocaux de préparation " Cleo " étaient présentés juste au-dessus de ceux contenant la préparation " Benco " avec l'indication " c'est un premier prix ", une telle disposition des produits, considérée par la Société CPC France comme un fait de concurrence déloyale, est en tout état de cause imputable à la seule direction du magasin ;

Attendu qu'en conséquence de son argumentation la Société Kruger conclut à la confirmation du jugement entrepris sauf en ce qu'il a admis l'existence d'actes de contrefaçon et d'usage illicite des marques simples et complexes " Benco " détenues par la société Midial, au débouté de celle-ci et à l'allocation à la charge des Sociétés CPC France et Midial d'une somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du NCPC ;

Attendu que la Société Midial, assignée par acte du 2 mai 1990 à la personne d'une employée, n'a pas constitué avoué ;

Attendu que c'est à raison que le Tribunal, relativement aux marques nominales " Benco " déposées les 9 janvier 1925 et 29 juin 1967 et enregistrées la première par le Bureau International de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle, et la seconde par l'INPI sous les numéros 335 936 et 1402 144, a considéré que, si la dénomination " Cleo " était par sa sonorité trop éloignée du terme " Benco " pour en réaliser la contrefaçon, le risque de confusion découlant de la consonnance identique de ces deux mots composés en outre d'un même nombre de syllabes caractérisait néanmoins une imitation illicite du nom " Benco " portant préjudice à la société Midial, titulaire de la marqueen l'absence de tout droit concurrent sur celle-ci mentionné au profit de la société Nutrial au registre national des marques ;

Attendu que c'est à juste titre que le premier juge a relevé d'autre part les ressemblances présentées par les étiquettes " Benco " et " Cleo " qui consistent dans la similitude des couleurs, y compris leurs nuances, et dans la forme commune des lettres dites " anglaises " utilisées pour le nom du produit, ressemblances que parfait une évidente analogie dans la composition d'ensemble de l'étiquette et dans le style de l'illustration chargée d'évoquer le contenu du récipient, pour conclure à la contrefaçon par la société Kruger, au moyen des emballages " Cleo ", des marques complexes " Benco " déposées les 25 mars 1970 et 22 août 1985 et enregistrées par l'I.N.P.I. sous les numéros 1124 074 et 1320 727, dont la société Midial est titulaire ;

Attendu enfin que le Tribunal a qualifié à bon droit d'acte de concurrence déloyale le rapprochement dans les rayons du magasin Carrefour des deux produits " Cleo " et " Benco ", le premier vanté au détriment du second comme représentant, dans une même gamme de marchandises, l'article offert à la vente aux conditions les plus avantageuses ; que la société Kruger ne peut valablement se retrancher derrière les initiatives qu'aurait prises à cet égard la société Carrefour, alors que la ressemblance voulue par elle entre la présentation de son produit et celle des bocaux " Benco " ne pouvait avoir d'autre visée que de tirer bénéfice d'une assimilation erronée par la clientèle des marchandises concurrentes;

Attendu que la décision de première instance doit, par suite, être confirmée en tant qu'elle a fait droit à la demande de la société Midial dont le préjudice, chiffré à 100 000 F, n'apparaît pas avoir été surestimé ;

Attendu que la société CPC, si elle ne justifie pas de la disposition d'un droit aux marques " Benco " publié au registre national des marques, qui soit susceptible, partant, de lui permettre d'agir de ce chef, en contrefaçon, établit en revanche qu'à l'époque des faits incriminés elle assurait la commercialisation de ces marques ; que, de fait, l'étiquette d'un des deux pots " Benco " saisi par l'huissier de justice le 1er juillet 1987 et produit devant la Cour, porte le nom " Nutrial SA " et l'adresse de cette société, laquelle, ainsi qu'il ressort des pièces au dossier, n'était autre que la Société CPC avant l'adoption de son actuelle dénomination aux termes d'une assemblée générale extraordinaire de ses actionnaires en date du 14 octobre 1988 ; qu'en second lieu le traité d'apport de marques conclu le 18 décembre 1987 entre la société Midial et la Société Nutrial, énonce en son article 2, relatif aux motifs de l'opération, que " Midial, propriétaire des marques dont la liste figure en annexe 3 aux présentes, (...) en a consenti la concession exclusive d'exploitation à Nutrial suivant convention en date du 1er juin 1982 " ; que sur cette annexe 3, versée au dossier, sont effectivement mentionnés les éléments d'identification des quatre marques présentement en cause ;

Attendu que les agissements reprochés à la société Kruger quant à la contrefaçon ou à l'imitation illicite des marque et dénomination " Benco ", constituent, en raison de la confusion qui devait en résulter dans l'esprit de la clientèle, des actes de concurrence déloyaledont la société CPC France est fondée à obtenir réparation, peu important que le contrat en vertu duquel la licence de ces marques lui avait été concédée n'ait pas été publié ;

Attendu que l'annexe 3 précitée du traité du 18 décembre 1987 fait figurer dans l'objet de l'apport consenti par la Société Midial à la Société Nutrial le " modèle flacon avec bouchon " n° 33 693 ; que la Loi du 14 juillet 1909, comme il l'est admis par la société Kruger, ne subordonne pas l'opposibilité aux tiers du transfert de propriété des dessins et modèles à sa transcription auprès de l'I.N.P.I. ; que la société CPC France est dans ces conditions recevable à agir en contrefaçon dudit modèle, la cession dont elle a bénéficié ayant eu pour effet de lui transmettre le droit de poursuivre les faits d'atteinte à la propriété de ce modèle quand bien même ils sont antérieurs à la cession ; qu'au surplus la convention du 18 décembre 1987 reconnaissait expressément à la société Nutrial la faculté de reprendre ou de continuer à son nom, tant en demande qu'en défense, tous droits, instances, procédures ou actions relatifs aux marques cédées ;

Attendu que la société Kruger utilise pour la préparation chocolatée " Cleo " un bocal qui comporte un étranglement dans sa partie supérieure, une série de rainures sur les deux tiers inférieurs qui sont couverts par l'étiquette, un bouchon jaune strié verticalement sur sa circonférence, ces stries s'arrêtant à quelques millimètres de la partie supérieur du bouchon formant plateau, toutes caractéristiques qui sont celles du modèle de flacon 1 n° 33 693 d'une contenance de 400 grammes, propriété de la Société CPC France ; que la reproduction des formes et couleurs de ce flacon " Benco " par la société Kruger, dont l'identité presque absolue se trouve accentuée encore par la tonalité similaire des étiquettes, constitue un acte de contrefaçon en même temps que, les dimensions des deux bocaux en cause étant de surcroît exactement semblables et le modèle contrefaisant réalisant une copie servile du modèle contrefait, un acte de concurrence déloyale ;

Attendu qu'enfin la société CPC France est fondée, tant en sa qualité d'exploitant des marques et modèle de bocal qu'en celle de cessionnaire de la propriété de ce modèle, à se prévaloir de la concurrence déloyale qui résulte à son préjudice de l'exposition dans le magasin Carrefour des produits " Cleo " aux côtés des produits " Benco " ;

Attendu que le préjudice subi par la Société CPC France découle du gain manqué par suite des agissements de la société Kruger, laquelle, par des produits similaires aux siens et bénéficiant en raison d'un conditionnement analogue de la notoriété acquise par la marque " Benco " a détourné à son profit d'une part de la clientèle dont le choix, sans l'accaparement de la société rivale, se serait porté sur les produits " Benco " ; que la Cour, sans qu'il soit nécessaire de recourir à une mesure d'instruction, dispose des éléments d'appréciation suffisants pour évaluer ce dommage, ainsi que le trouble causé par la seule atteinte à l'intégralité d'un modèle dont la reproduction compromet l'originalité, à la somme de 500 000 F ;

Attendu qu'il y a lieu d'ordonner également, en réparation du préjudice souffert par la société CPC France, la publication du présent arrêt ;

Attendu qu'eu égard aux circonstances de la cause, il apparaît équitable de mettre à la charge de la société Kruger les sommes exposées par la société CPC France et non comprises dans les dépens, que la Cour est à même de liquider à 10 000 F ;

Par ces motifs : LA COUR : Statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la Société Kruger Gmbh et Co à payer à la Société Midial la somme de Cent mille francs (100 000 F) en réparation du préjudice qu'elle a subi par suite de la contrefaçon des marques figuratives " Benco ", et des actes de concurrence déloyale commis par la société Kruger, Réformant pour le surplus, Déclare la Société CPC France recevable à agir en contrefaçon du modèle du flacon n° 33 693 ainsi qu'en concurrence déloyale à raison de l'imitation de la marque " Benco ", Constate qu'en commercialisant un produit sous la dénomination " Cleo " la Société Kruger a commis vis-à-vis de la Société CPC France des actes de contrefaçon de modèle et de concurrence déloyale dont elle lui doit réparation, Condamne en conséquence la Société Kruger à payer à la société CPC France la somme de Cinq Cent Mille Francs (500 000 F) de dommages-intérêts, Autorise la publication du présent arrêt dans trois journaux au choix de la Société CPC Francs, au frais de la Société Kruger, sans que le coût total des insertions puisse dépasser Vingt Mille Francs (20 000 F), Condamne la société Kruger à verser à la société CPC France la somme de Dix Mille Francs (10 000 F) par application de l'article 700 du NCPC, Condamne la Société Kruger aux dépens tant de première instance que d'appel ; dit que ces derniers seront recouvrés par la SCP Galliere-Lejeune, Avoués, conformément à l'article 699 du NCPC.