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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 11 février 1991, n° 89-007107

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Vidéo Prestations (SA)

Défendeur :

Auvico (Sté), Heriot, Robert

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosnel

Conseillers :

Mme Mandel, M. Boval

Avoués :

Me Moreau, SCP Parmentier-Hardouin, SCP Roblin-Chaix de Lavarène, SCP Bernabé, Ricard

Avocats :

Mes Charvet, Gardel, Planty, Orsini.

T. com. Paris, 1re ch., du 12 déc. 1988

12 décembre 1988

LA COUR

Statuant sur l'appel formé le 20 février 1989 par la société Video Prestations d'un jugement rendu le 12 décembre 1988 par le Tribunal de commerce de Paris (1re ch.), dans un litige l'opposant à la société Video Communication (Auvico), ensemble sur l'appel provoqué de Auvico à l'encontre de MM. Gaston Robert et Jean Heriot et sur les demandes incidentes des parties.

Faits et procédure :

A - Faisant grief à Vidéo Prestations :

- D'une part, de l'embauche immédiate de quatre des salariés constituant son service commercial qui avaient simultanément donné leur démission,

- D'autre part, de l'envoi par deux d'entre eux, MM. Robert et Heriot, d'une lettre circulaire à un certain nombre de clients d'Auvico leur indiquant que " pour mieux (les servir) ils avaient rejoint le Groupe Vidéo Prestations " et donnant leur nouvelle adresse, Auvico a les 4, 7 et 9 mars 1988 fait assigner Vidéo Prestations ainsi que MM. Heriot et Robert devant le Tribunal de commerce de Paris, aux fins de constatation des faits de concurrence déloyale dénoncés et de réparation de son préjudice par l'allocation d'une indemnité de 5 millions de francs outre les intérêts légaux à compter de l'assignation, et une somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Reconventionnellement les défendeurs demandaient pour chacun d'eux 50 000 F de dommages-intérêts et 5 000 F pour leurs frais non taxables de procédure.

Le Tribunal rejetait le moyen tiré de l'envoi d'une lettre circulaire dont il relevait qu'elle ne comporte ni allusion à Auvico ni dénigrement.

- Il tenait également pour non établie l'utilisation reprochée à MM. Robert et Heriot du fichier-clientèle de la demanderesse.

- Retenant en revanche la démission concertée suivie de l'embauche par Vidéo Prestations en connaissance de cause de l'équipe commerciale de sa concurrente dont elle désorganisait gravement la force de vente, le Tribunal par le jugement déféré du 12 décembre 1988, a débouté Auvico de ses demandes à l'encontre de MM. Heriot et Robert mis hors de cause.

- A dit que Vidéo Prestations s'est rendue coupable de concurrence déloyale au détriment de Auvico et l'a en conséquence condamnée à payer à cette dernière une indemnité de 360 000 F ainsi qu'une somme de 6 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

A débouté les parties du surplus de leurs demandes.

B - Vidéo Prestations, qui a relevé appel le 20 février 1989 à l'encontre d'Auvico seule, conclut à l'infirmation du jugement au débouté des prétentions de l'intimée et, demandant sa mise hors de cause elle réitère ses demandes tendant à l'allocation de 50 000 F de dommages-intérêts pour procédure abusive et d'une somme élevée à 20 000 F du chef de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

C - Formant appel incident Auvico reprend devant la Cour sa demande initiale en 5 000 000 F de dommages-intérêts et 20 000 F pour ses frais hors dépens.

Le 17 octobre 1990 elle forme un appel provoqué à l'encontre de MM. Heriot et Robert aux fins de faire constater les agissements de concurrence déloyale précédemment reprochés, et de les faire condamner in solidum avec Vidéo Prestations aux sommes antérieurement demandées contre celle-ci.

D - Gaston Robert demande, par confirmation du jugement, sa mise hors de cause et il forme à l'encontre de Auvico et de Vidéo Prestations une demande de condamnation solidaire à une somme de 3 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

E - Jean Heriot demande également sa mise hors de cause et, contre Auvico, le paiement d'une somme de 15 000 F pour ses frais non compris dans les dépens.

Discussion

I - Sur les faits de concurrence déloyale :

Considérant que l'appelante expose que Auvico appartenant au Groupe Simba, a plus particulièrement pour activités la distribution et la production de matériel vidéo, la conception de logiciels pour la gestion de banques de données vidéo, la recherche d'images graphiques générées sur ordinateurs et qu'elle a en 1986, réalisé la plus forte vente de lecteurs de vidéodisques en France ;

Que Auvico fait grief à Vidéo Prestations, société qui exerce son activité dans le même domaine, d'une désorganisation totale de ses services du fait du transfert à cette société de " l'état major commercial " d'Auvico composé de MM. Robert et Heriot engagés respectivement en février et septembre 1985 en qualité de responsable vidéo position 2 et de cadre commercial position 2, par des contrats de travail dont l'appelante relève qu'il ne comportaient pas de clause de non-concurrence ;

Que Vidéo Prestations observe que ces deux employés qui avaient déjà avant leur embauche une solide expérience professionnelle avaient à eux seuls dès 1986 réalisé un chiffre d'affaires de l'ordre de 12 millions de francs HT ;

Que l'appelante soutient que leur départ de la Sté Auvico a été dû à une réorganisation au sein du Groupe Simba, enlevant à Auvico la commercialisation de la vidéo, domaine qui lui était réservé, décision prévue sans aucune concertation et qui entraînait un changement de locaux et une limitation de l'activité de MM. Heriot et Robert auprès de sa clientèle, de même qu'étaient limités leurs moyens puisqu'ils allaient être contraints de travailler avec un véhicule pour quatre activités.

Qu'en raison de la précarité de leur situation et étant respectivement âgés de 55 et 51 ans, ils vont postuler pour des emplois auprès de diverses entreprises dans le domaine de la vidéo ;

Que c'est dans ces conditions que Vidéo Prestations les a embauchés Heriot comme chef de ventes et Robert comme directeur commercial du département " Equipements ", fonctions différentes de celles occupées chez Auvico ;

Qu'en ce qui concerne Mme Sylvie Pirot (secrétaire) et M. Stéphane Gobe (chauffeur technicien), personnes ayant selon l'appelante " peu de liens avec la clientèle ", elle soutient que leur démission est sans rapport avec le départ des deux cadres dont elle souligne qu'ils faisaient partie d'une cellule commerciale de 11 cadres, départ qui ne saurait constituer " un transfert d'état major " ;

Considérant que l'appelante fait grief aux premiers juges d'avoir par une motivation très succincte, estimé que d'une part Vidéo Prestations ne pouvait pas ignorer en embauchant simultanément " les quatre personnes constituant l'équipe commerciale d'un concurrent, qu'elle désorganisait gravement et sans doute durablement la force de vente de celui-ci " et d'autre part que " compte tenu des faits de la cause ", le préjudice subi pouvait être estimé à 360 000 F,

Considérant que ces griefs ne sont pas fondés ;

Considérant qu'il ressort en effet des pièces mise au débat que les faits reprochés à Vidéo Prestations sont suffisamment établis ;

Que sans qu'il soit besoin de s'attarder au problème d'une réorganisation au sein du Groupe Simba dont la preuve n'est en rien rapportée ni qu'elle ait été faite sans la concertation souhaitée avec les intéressés, ni d'une limitation de leurs attributions ou des avantages antérieurement offerts, étant par exemple noté que MM. Heriot et Robert étaient remboursés de leur frais d'utilisation de leurs véhicules personnels (ainsi qu'en justifient les notes de frais produites), il apparaît que ces deux cadres ont donné leur démission respectivement les 18 et 23 novembre 1987 sans faire état du moindre grief ;

Que dans des termes tout aussi laconiques Mme Sylvie Pirot secrétaire démissionnait le 5 décembre 1987 et M. Stéphane Gobe chauffeur technicien le 26 janvier 1987 en acceptant d'être le cas échéant libéré de son préavis ;

Considérant qu'il convient de préciser que si l'organigramme du Groupe Simba, dont fait partie Auvico compte onze cadres seuls MM. Heriot et Robert cadres assistés de Mme Pirot et M. Gobe composaient la cellule commerciale de l'intimée ;

Que l'appelante elle-même souligne l'expérience professionnelle de Jean Heriot employé antérieurement du 19 octobre 1957 au 8 octobre 1985 en qualité de chef de vente par une Sté Electronique Service, et de Gaston Robert qui a du 16 mars 1964 au 30 novembre 1975, été au service de Philips où il occupait en dernier lieu les fonctions de cadre chef de région succursale de Paris Banlieue ;

Que Mme Pirot avait de par ses fonctions une connaissance de la liste des clients d'Auvico, dont une note de service du 19 novembre 1987 qu'elle a émargée, rappelle aux stagiaires qu'elle est strictement personnelle et confidentielle, qu'ils en sont responsables et qu'elle ne doit pas sortir de la société, qu'il est également à noter que Mme Pirot a été recrutée après une annonce demandant une secrétaire confirmée, chargée des relations avec les fournisseurs et clients ;

Qu'il est donc vain de prétendre que ces quatre personnes constituaient l'intégralité du service commercial d'Auvico dont le départ quasi simultané a été suivi de l'embauche immédiate par Vidéo Prestations, n'aurait pas eu pour effet de désorganiser ce service de Auvico ;

Qu'en décembre 1987, Auvico était contrainte de faire publier dans l'Express des annonces pour le recrutement d'un directeur de division vidéo responsable des ventes, d'un responsable comptes-clés " sachant négocier, organiser et convaincre ", et d'une secrétaire assistante " chargée des relations avec les fournisseurs et clients ", personnes capables de reconstituer son équipe commerciale ;

Que Vidéo Prestations tente de minimiser les faits, retenus à son encontre en soutenant, contre toute évidence, n'avoir embauché que deux cadres libres de tout engagement ce qui ne saurait constituer qu'un acte passif et non un acte positif de concurrence déloyale ;

Considérant que si la concurrence déloyale ne peut être retenue sur la base d'une présomption de responsabilité mais requiert une faute fut-elle de simple imprudence, celle-ci est en l'espèce suffisamment établie par la simultanéité du départ concerté de toute l'équipe commerciale de Auvico et son embauche, dans le même temps par la société concurrente qui les a affectés aux mêmes fonctions et qui, comme l'a relevé le Tribunal, était consciente de la désorganisation ainsi provoquée;

Qu'il n'est pas sans intérêt de noter que par un document de février 1988 intitulé " Info Vidéo Prestations " elle annonce " notre équipe se renforce avec la venue de :

- Gaston Robert : directeur commercial,

- Jean Heriot : chef des ventes,

- Michel Bellay : ingénieur commercial,

- Pascal Baud : technicien commercial,

- Stéphane Gobe : technicien chargé de la location,

- Sylvie Pirot : secrétaire commerciale ".

Que six des neuf personnes citées proviennent de la Société Auvico puisque MM. Bellay et Baud sont également des anciens salariés de cette société dont l'embauche largement postérieure à leur démission, n'est, au demeurant, pas critiquée ;

Considérant que la concurrence déloyale commise par Vidéo Prestations a été à juste titre retenue ; que le Tribunal a avec raison écarté le grief tiré de l'envoi de la lettre circulaire laquelle ne comporte aucun dénigrement et ne saurait induire la clientèle en erreur, alors qu'il est bien précisé par MM. Heriot et Robert, sur papier à entête de Vidéo Prestations qu'ils rejoignent ce groupe, manifestant implicitement leur départ de la Société Auvico qu'il n'y avait pas lieu de nommer ;

Considérant que la faute des signataires n'étant pas établie, le jugement mérite confirmation en ce qu'il a mis hors de cause MM. Heriot et Robert.

II - Sur la réparation du préjudice :

Considérant que formant appel incident, Auvico reprend sa demande tendant à l'allocation de 5 millions de francs de dommages-intérêts ;

Mais considérant qu'il résulte des éléments fournis par Auvico elle-même que le fléchissement de son chiffre d'affaires est apparu en décembre 1987, la reprise s'amorçant en octobre 1988, qu'il convient de noter que la lettre circulaire qui apparaissait avoir selon l'intimée eu un impact important sur sa clientèle et le non renouvellement d'une partie de ses contrats n'ont pas été retenus à l'encontre de l'appelante et des intimés provoqués.

Qu'il apparaît dans ces conditions qu'eu égard aux éléments de la cause, le Tribunal a fait une exacte évaluation du préjudice de Auvico en lui allouant une indemnité de 360 000 F ;

Que cette société sera en conséquence déboutée de son appel incident.

III - Sur les autres demandes :

Considérant que Vidéo Prestations condamnée pour ses agissements de concurrence déloyale doit être déboutée de sa demande du chef de la procédure abusive ;

Considérant qu'il n'apparaît pas que l'appel provoqué de Auvico à l'encontre de Jean Heriot ait été formé de mauvaise foi ni avec une légèreté blâmable ;

Que la demande de 15 000 F au titre de la procédure abusive de Jean Heriot sera donc rejetée comme mal fondée ;

Considérant que chacune des deux sociétés succombant dans son appel, il n'y a pas lieu de faire application devant la Cour des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Que l'équité ne commande pas non plus d'en faire application au bénéfice de MM. Heriot et Robert.

Par ces motifs : Et ceux non contraires des premiers juges. Joint les appels inscrits au rôle général sous les numéros 89-007107 et 90-022122, déboute la Sté Auvico, tant de son appel incident que de son appel provoqué. Confirme en toutes dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Paris (1re ch.) du 12 décembre 1988. Rejette comme mal fondées les demandes de la : 1°) société Vidéo Prestations 2°) De M. Jean Heriot du chef de la procédure abusive. Dit n'y avoir lieu de faire application en cause d'appel des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Condamne la société Vidéo Prestations aux dépens d'appel à l'exception de ceux de l'appel provoqué laissés à la charge de la société Audio Vidéo Communication. Admet la SCP Parmentier-Hardouin, et la SCP Roblin-Chaix de Lavarène, Avoués, au bénéfice, des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.