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Décisions

Cass. com., 5 février 1991, n° 88-16.214

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Fraisse (SA), Scarfagliero (ès qual.)

Défendeur :

Régie nationale des usines Renault

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Defontaine

Rapporteur :

M. Bézard

Avocats généraux :

M. Curti, SCP Lesourd, Baudin, Avocats : SCP Delaporte, Briard.

Paris, du 4 mai 1988

4 mai 1988

LA COUR : - Sur les premier et quatrième moyens réunis : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 mai 1988) que la Régie nationale des usines Renault (la Régie) avait, depuis 1962, accordé à la société Fraisse l'exclusivité de la vente de ses automobiles dans un secteur déterminé, par des contrats successifs à durée déterminée, le dernier de ces contrats ayant été conclu pour l'année 1981 ; que par lettre du 10 août 1981, la Régie a informé la société Fraisse qu'elle ne lui proposerait pas de nouveau contrat pour l'année 1982, précisant par la suite que cette décision était due à des résultats jugés insuffisants ; que la société Fraisse, soutenant que la Régie avait commis un abus de droit en refusant de renouveler son contrat de concession, ainsi que des actes de concurrence déloyale en se livrant au débauchage d'une partie de son personnel au profit de sa filiale Renault motoculture, l'a assignée en dommages-intérêts, avant de faire l'objet d'une procédure de règlement judiciaire, M. Scarfagliero étant désigné comme syndic ;

Attendu que la société Fraisse et le syndic reprochent à l'arrêt de les avoir déboutés de leur demande fondée sur l'abus du droit de ne pas renouveler le contrat au motif, selon le pourvoi, que "c'est au 10 août 1981 qu'il convient de se placer pour apprécier l'existence d'un éventuel abus de droit", alors que, d'une part, l'abus de droit de ne pas renouveler le contrat annuel de concession ne doit pas seulement s'apprécier en recherchant si un tel abus existe dans la lettre aux termes de laquelle le concédant a annoncé au concessionnaire sa décision de ne pas renouveler le contrat, l'abus de droit devant s'apprécier en fonction de l'ensemble des fautes commises pendant l'exécution du contrat de concession par le concédant ; que, dès lors, en statuant comme il l'a fait, l'arrêt attaqué a violé l'article 1382 du Code civil ; et alors que, d'autre part, même si le contrat ne contenait aucune promesse de renouvellement et réservait à Renault la totale faculté de renouveler ou non la concession sans avoir à justifier sa décision, l'article 1382 du Code civil réservait à son co-contractant le droit d'apporter par tout moyen la preuve d'une faute de nature à faire dégénérer en abus l'exercice de cette faculté, de sorte que la cour d'appel, saisie de conclusions dont elle analyse elle-même la teneur faisant valoir que la Régie avait agi dans la finalité de faire disparaître au moyen du retrait de la concession "voitures" une entreprise dont elle redoutait la concurrence en tant que concessionnaire d'une autre marque de machines et matériel agricole, était tenue de répondre à ce moyen qui était de nature à exercer une influence sur la solution du litige et a donc violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile en omettant de l'examiner ;

Mais attendu que, s'agissant d'un contrat de concession exclusive à durée déterminée, l'arrêt a relevé que la Régie avait respecté le préavis contractuel pour notifier à la société Fraisse le 10 août 1981 qu'elle ne lui renouvellerait pas le contrat en 1982 ; qu' ayant en outre retenu que la société Fraisse n'avait pas établi que les circonstances dans lesquelles la Régie avait usé de son droit étaient constitutives de faute, en ce qu'elles avaient fait dégénerer son exercice en abus, la cour d'appel répondant aux conclusions invoquées a légalement justifié sa décision ; que les moyens ne peuvent être accueillis.

Et sur les deuxième et troisième moyens réunis : - Attendu que la société Fraisse et le syndic reprochent encore à l'arrêt d'avoir rejeté leurs demandes fondées sur des actes de concurrence déloyale aux motifs selon le pourvoi, que le débauchage d'un salarié qui n'avait qu'une ancienneté de dix mois ne peut constituer un fait de concurrence déloyale et que le débauchage des six salariés avait été effectué après l'expiration du contrat de concession non renouvelé et après que ces salariés eurent effectué leur préavis, alors que, d'une part, pour constituer un fait de concurrence déloyale, aucune condition d'ancienneté du salarié débauché n'est requise ; que dès lors, en décidant qu'il n'y avait pas, en l'espèce, acte de concurrence déloyale en raison de l'ancienneté de dix mois du salarié débauché, l'arrêt a violé les articles 1134, 1146 et 1147 du Code civil, et alors que, d'autre part, le débauchage des salariés d'une société constitue un acte de concurrence déloyale même lorsque l'auteur et la victime de l'acte de concurrence déloyale ne sont pas liés par un contrat de concession commerciale ni même par un autre contrat ; que c'est d'ailleurs la raison pour laquelle la concurrence déloyale a souvent pour fondement les articles 1382 et 1383 du code civil ; que dès lors, en statuant comme il a fait, l'arrêt a violé ces deux textes ;

Mais attendu que la simple embauche, dans des conditions régulières, d'anciens salariés d'une entreprise concurrente, n'est pas en elle-même fautive; qu'en relevant que la société Fraisse n'apportait pas la preuve d'actes positifs de débauchage de ses employés commis par la Régie, la cour d'appel, abstraction faite de tous autres motifs erronés mais surabondants, a légalement justifié sa décision; que les moyens ne peuvent être accueillis.

Par ces motifs : rejette le pourvoi.