CA Versailles, 13e ch., 5 février 1991, n° 13-88
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Boulogne Distribution (SA)
Défendeur :
Parfums et Beauté de France et Compagnie (SNC), Parfums Guy Laroche (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Monteils
Conseillers :
MM. Doze, Jauffret
Avoués :
SCP Lissarrague-Dupuis, SCP Lefevre-Tardy
Avocats :
Mes Jousset, Henriot-Bellargent.
Par ordonnance du 30 mai 1985, le magistrat des référés du Tribunal de Commerce de Nanterre a enjoint à la société Boulogne Distribution de cesser de mettre en vente dans le magasin à l'enseigne Leclerc 42, Passage d'Aquitaine à Boulogne les produits de parfumerie Guy Laroche et Lancôme sous astreinte définitive de 3.000 Francs par jour et par infraction.
Il a ordonné saisie par huissier des produits de ces marques mis en vente, et a commis celui-ci pour rechercher les fournisseurs de Boulogne Distribution, cette société devant lui remettre les factures sous astreinte de 500 F par jour de retard.
Cette ordonnance a été confirmée par arrêt de la Cour de céans du 28 mai 1986.
C'est ensuite que Parfums et Beauté de France et Parfums Guy Laroche ont assigné Boulogne Distribution au fond, dans la procédure soumise à la Cour.
Par jugement du Tribunal de Commerce de Nanterre du 9 octobre 1987, l'astreinte a été liquidée à 1.230.000 F pour la période 31 mai 1985 - 18 décembre 1986, acte étant donné à Parfums et Beauté de sa réserve de demande de complément pour la suite.
La saisie et confiscation des produits Lancôme et Guy Laroche encore en possession de Boulogne Distribution a été ordonnée.
Il a été enjoint à Boulogne Distribution de cesser la mise en vente sous astreinte de 5.000 F par jour et par infraction constatée, à partir de la signification.
L'huissier Chastel a été commis pour procéder à la recherche des fournisseurs de Boulogne Distribution et pour saisir par description tous documents utiles à cette fin.
Ordre a été donné à Boulogne Distribution de remettre à cet huissier copie des factures propres à identifier les fournisseurs, sous astreinte de 1.000 F par jour de retard à dater de la signification.
Boulogne Distribution a été condamnée à payer 400.000 F à Parfums et beauté et 100.000 F à Guy Laroche, la publication du jugement a été ordonnée dans deux journaux nationaux et deux régionaux aux frais du condamné au coût maximum de 10.000 F l'unité.
L'exécution provisoire a été ordonnée.
Boulogne Distribution a été condamnée au paiement de 10.000 F à Parfums et beauté et de 6.000 F à Guy Laroche sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
Appel a été interjeté de cette décision par Boulogne Distribution. Un fait nouveau qui a retardé la clôture est la survenance d'un arrêt de cassation du 11 janvier 1989 cassant l'arrêt du 28 mai 1986 dans la procédure de référé, au motif que la Cour n'avait pas recherché si Parfums et Beauté, à qui incombait la charge de la preuve, établissait la licéité de son réseau de distribution sélective, et renvoyant la procédure à Dijon.
Boulogne Distribution, signalant dans ses premières conclusions de 1988 deux arrêts dans le même sens, demandait sursis à statuer.
Parfums et Beauté concluait ainsi qu'il suit :
Il n'y a pas lieu à sursis à statuer qui n'est pas obligatoire, ses contrats sont licites.
Elle n'utilise pour sa distribution qu'un réseau établi selon des critères objectifs, qualitatifs, dont les sélectionnés sont en nombre restreint, sur la base de l'antériorité de la demande. Elle utilise un contrat type qui détermine avec précision les obligations du signataire, et qui en particulier comporte engagement de sa part de ne vendre ses produits qu'au détail, à des consommateurs directs, sur le marché français.
Le système est commun à tous les grands parfumeurs, cohérents, et implique que tout tiers extérieur au réseau qui se procure les produits commet un acte de concurrence déloyale.
Les contrats en cause préservent la liberté du revendeur afin de déterminer ses prix.
Il appartenait à Boulogne Distribution de présenter une demande d'agrément qui eut été examinée.
L'avis de la Commission de la Concurrence du 1er décembre 1985 est que cette distribution sélective n'est pas incompatible avec les dispositions de l'ordonnance du 30 juin 1945.
Si le ministre l'a sanctionnée dans le passé, c'est non pas du chef d'illicéité du réseau, mais pour une pratique purement ponctuelle.
Le Conseil d'Etat, le 29 juin 1988, a annulé les décisions du Ministre de l'Economie du 26 décembre 1984 et 26 février 1985, en estimant que le parallélisme de comportement entre parfumeurs ne permettait pas d'inférer l'existence d'une entente tacite.
Elle ne s'est pas rendue coupable d'une discrimination.
Elle s'est conformée, sur les plans qualitatif et quantitatif, aux recommandations de la Commission de la Concurrence.
Son préjudice est considérable. Le système de distribution sélective coûte très cher, comportant formation et assistance des distributeurs, promotion des produits, maintien du renom des marques dans le monde. D'autre part, les agissements de Boulogne Distribution doivent être replacés dans le cadre de l'offensive de Leclerc contre la parfumerie de luxe, dans tout son réseau, qui est devenu par son fait un événement médiatique.
Parfums et Beauté consacrait ensuite dans ses conclusions des développements à la liquidation d'astreinte, sans intérêt en l'état de la cassation intervenue.
Elle concluait à confirmation du jugement attaqué.
Concluant après l'arrêt de cassation, Parfums et Beauté a demandé dans un premier temps sursis à statuer jusqu'à l'arrêt de la Cour de Renvoi, mais uniquement en ce qui concerne la liquidation de l'astreinte.
Boulogne Distribution a conclu à son tour en ce sens.
Puis Boulogne Distribution a conclu ensuite ainsi qu'il suit pour le cas où la Cour déciderait de statuer au fond :
La Cour de Cassation, par une jurisprudence établie, confirme la transposition en matière de distribution sélective des règles dégagées en matière de distribution exclusive.
L'importateur qui introduit, en vue d'une vente en France, des produits d'une marque étrangère, en dépit de l'exclusivité de distribution sur le territoire français dont bénéficie un concessionnaire français, ne commet pas un acte de concurrence déloyale.
Parfums et Beauté n'a pas démontré la licéité de son système de distribution sélective.
Elle n'a pas démontré non plus qu'il y ait eu irrégularité dans les approvisionnements de ses produits et a prétendu sur ce plan inverse la charge de la preuve.
Elle conclut à titre subsidiaire à l'absence de concurrence déloyale, à déboutement de Parfums et Beauté, et à allocation de 20.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
Par conclusions responsives Parfums et Beauté expose ceci :
Le système de distribution sélective est conforme à l'article 85 du Traité de Rome, à l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 et remplit les conditions posées par la Cour de Cassation le 3 novembre 1982.
Il est essentiel que le consommateur conçoive les produits en cause comme produits de luxe, ce qui postule une promotion très sophistiquée.
L'avis du 1er décembre 1983 de la Commission de la Concurrence a reconnu la licéité de la limitation du nombre total des revendeurs.
Le Ministre de l'Économie a reconnu que l'interdiction de revente des produits entre distributeurs agréés en France n'était pas condamnable.
La clause permettant à Lancôme et Guy Laroche de se faire communiquer les factures de rétrocession entre un distributeur agréé et un autre distributeur agréé dans un autre pays est licite, permettant de s'assurer que le réseau est bien respecté.
L'exigence d'un environnement de marque constitue une exigence purement qualitative et fournit une garantie supplémentaire de compétence du détaillant.
La clause par laquelle le détaillant s'engage à ne pas livrer un produit nouveau pendant l'année qui suit son lancement si celui-ci n'a pas été mis en vente dans l'Etat de la CEE d'où provient la commande a pour finalité de garantir cette compétence, et d'éviter un échec, faute de lancement préparé dans l'Etat en cause.
La pratique de la liste d'attente permet de réaliser le meilleur équilibre possible de la distribution de produit de luxe.
Il est essentiel de relever que les principes de distribution sélective dont s'agit sont appliquées de manière non discriminatoire, sur des bases similaires dans l'ensemble des pays membres de la CEE.
Boulogne Distribution ne peut se plaindre d'une quelconque discrimination, parce qu'elle n'a jamais posé sa candidature à la distribution.
La cohérence du système implique qu'il soit juridiquement clos.
Le système de distribution sélective, pratiquée par elle-même et de nombreux concurrents, ne lui donne pas la possibilité d'éliminer la concurrence, que ce soit sur la plan intérieur ou le plan du marché commun, les détaillants pouvant tirer profit des différences entre les prix de cession dans les différents pays.
A la demande de la Commission des Communautés européennes, la possibilité de rétrocession entre dépositaires situés dans les Etats membres de la CEE a été prévue.
La pratique des prix conseillés ne tombe pas sous le coup de l'article 86-1 du Traité de Rome.
Le marquage des produits n'a pas pour objectif de limiter la possibilité de revente à l'intérieur du réseau, mais de fournir à elle-même les moyens de pratiquer les contrôles nécessaires relativement à la circulation de ses produits.
La distribution sélective contribue à améliorer la production et la distribution.
Les lettres de classement de la Commission des Communautés Européennes de 1974 et 1978 constituent un élément de fait qui doit être pris en compte par les juridictions nationales, comme il est dit dans l'arrêt Lancôme du 10 juillet 1980 de la Cour de Justice des Communautés, même si ces lettres ne constituent pas la décision d'exemption, ou la décision d'attestation négative de l'article 85-3 du Traité de Rome et du règlement numéro 17 du 6 février 1972 du Conseil des Communautés.
Les agissements de Boulogne Distribution s'insèrent dans la politique du Galec, groupement d'achat des centres Leclerc, qui a fait paraître à l'époque des faits litigieux une publicité, notamment en Italie, invitant les distributeurs agréés à lui rétrocéder des produits de parfumerie de grandes marques.
La mauvaise foi est certaine.
La licéité du système de distribution étant établie en la cause, aucun revendeur n'est en droit de commercialiser les produits s'il n'a été préalablement agréé.
La faute commise par les détaillants qui ont revendu à Boulogne Distribution se double de la faute de celle-ci qui s'est associée sciemment à cette faute.
Le groupe Leclerc a cherché à désorganiser profondément le système de distribution sélective, en faisant de la lutte contre ce système un argument publicitaire.
Parfums et Beauté conclut qu'elle a rapporté la preuve de la licéité de son réseau, demande de dire que Boulogne Distribution devait le respecter, et a commis une faute délictuelle.
Par conclusions responsives, Boulogne Distribution expose ceci :
Parfums et Beauté ne fournit pas la preuve de la licéité de son système, telle qu'exigée par l'article 85-1 du Traité de Rome.
En second lieu elle ne rapporte pas la preuve de l'approvisionnement illicite.
Enfin la méconnaissance d'un système de distribution sélective n'est pas constitutive de concurrence déloyale.
L'affaire a été plaidée le 22 mai 1990.
L'arrêt de la Cour d'appel de renvoi de Dijon, suite à l'arrêt de cassation du 11 janvier 1989 est intervenu le 16 octobre 1990. Il a réformé l'ordonnance de référé du 30 mai 1985, dit qu'il ne pouvait être fait défense à Boulogne Distribution de commercialiser les parfums des marques de la société PBF et ordonner mainlevée des mesures d'astreinte de saisie et de séquestre.
Les débats ont été rouverts pour ce motif à l'audience du 10 décembre 1990.
Par conclusions déposées ce même jour, à la demande de la Cour, Boulogne Distribution a exposé ceci :
L'arrêt du 16 octobre 1989 a l'autorité de chose jugée, la réformation du jugement attaqué en matière de liquidation d'astreinte est donc acquise. Parfums et Beauté détient irrégulièrement depuis plus de deux ans et demi 246.000 F perçus au titre de l'exécution provisoire, qu'elle doit rembourser.
C'est de manière gratuite que les sociétés intimées prétendent que leurs produits auraient été vendus dans des conditions dévalorisantes. L'arrêt de la Cour de Dijon à ce sujet, du 13 novembre 1990, Dior contre Vitry Distribution concerne un autre magasin et des conditions de fait particulières.
Discussion
Considérant que l'arrêt de la Cour d'appel de Dijon sur renvoi de cassation a rendu lettre morte l'interdiction de vente prononcée par le magistrat des référés, la commission d'huissier pour saisie des produits et détermination de leurs fournisseurs ; que sont non avenus en conséquence les constats d'huissier dressés en exécution de l'ordonnance du 30 mai 1985 et de l'arrêt confirmatif ;
Considérant qu'avant tout examen au fond du litige, doit donc être relevé l'absence de support de la liquidation d'astreinte à 1.230.000 F prononcée par le jugement dont appel, et l'impossibilité de se référer aux diverses diligences effectuées à l'initiative des intimées en exécution de l'ordonnance ;
Sur la licéité des réseaux de distribution sélective :
Considérant que ces réseaux sont ceux de Parfums et Beauté de France d'une part, distribuant les produits Guy Laroche, de Lancôme d'autre part ;
Considérant que ces parties produisent leur contrat type signé avec 2529 distributeurs agréés pour Lancôme, 2018 pour Guy Laroche, en France selon procès verbal de constat d'huissier du 23 janvier 1986 ; que l'huissier instrumentaire a annexé à son acte la répartition géographique de ces distributeurs département par département, en procédant à des sondages qui lui ont permis de vérifier l'exactitude des informations fournies par ses requérants ; qu'il a relevé également le nombre de contrats signés avant 1984, et ceux signés ensuite jusqu'au jour de son constat, qu'il a pour Guy Laroche donné la ventilation des contrats conclus avec des " Duty Free Shops " et avec des grands magasins ; que les sondages ont démontré l'usage constant du contrat type ;
Considérant d'autre part que ce contrat est le fruit d'une élaboration de plusieurs années, poursuivie avec une minutie extrême à partir notamment de négociations avec la Fédération Française des Produits de Parfumerie de Beauté et de Toilette en 1976 et 1977 ;
Considérant que deux lettres de la Direction Générale de la concurrence, de la Commission des Communautés Européennes, respectivement du 10 décembre 1974 et 20 juin 1978, ont pris acte des modifications apportées par Lancôme et Guy Laroche, à leurs contrats, dans le sens souhaité par la Commission et formulé l'avis suivant :
" Dans ces conditions, étant donné la faible part que votre société détient dans chacun des pays de la CEE sur le marché des produits de parfumerie de beauté et de toilette, et la présence sur le marché d'un nombre assez élevé d'entreprises concurrentes d'importance comparable, la Commission estime qu'il n'y a plus lieu pour elle, en fonction des éléments dont elle a connaissance, d'intervenir à l'égard des accords précités en vertu des dispositions de l'article 85-1 du Traité de Rome " ;
Considérant que les problèmes posés par la distribution sélective ont entraîné publication de l'avis du 1er décembre 1983 de la Commission de la Concurrence qui contient une longue analyse du procédé, de la jurisprudence, des obstacles rencontrés à son usage ; que cet avis a relevé à propos de parfumeurs notoires, dont Lancôme, des infractions aux dispositions de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945, a délivré injonction à la Fédération Nationale de modifier les contrats ; que pour le surplus le principe de la distribution sélective a été reconnu licite ;
Considérant que cet avis a été suivi d'un échange de lettres entre le Ministre compétent et la Fédération, à propos de la clause interdisant rétrocession entre distributeurs agréés, qui a été supprimée ; que les parfumeurs se sont conformés aux injonctions qui leur étaient faites ;
Considérant que le système de distribution sélective a encore été soumis à une censure très attentive des Tribunaux judiciaires, en particulier à propos des critères objectifs devant présider à la sélection des revendeurs ;
Considérant que le rapport du Conseil de la Concurrence de 1990 a confirmé le principe de la licéité de la distribution sélective ;
Considérant que Lancôme et Guy Laroche sont, sans discussion, parmi les quelques marques notoires qui disposent de nombreuses années d'un réseau de distribution sélective universellement connu, publiquement consacré sur les plans judiciaire et administratif, et dont les comportements sont en permanence sous surveillance aussi bien de la part de l'administration que des associations des consommateurs ;
Considérant que la distribution sélective est prolongée dans le cadre du Marché commun, ce dont les sociétés intimées rapportent la preuve par production de contrats à l'étranger, et plus particulièrement de contrats avec des distributeurs italiens, qui ont été notoirement soumis aux pressions du Galec ; que cette homogénéité de la pratique à l'intérieur du Marché commun exclut toute infraction au principe de la libre circulation ; que les sociétés intimées démontrent à défaut d'un agrément définitif, l'admission expresse de la compatibilité du système de distribution sélective par la Commission des Communautés Européennes, avec les dispositions de l'article 85 du Traité de Rome, ce qui demeure vrai même si la Commission de la CEE envisage actuellement amendements aux contrats de distribution ;
Considérant que preuve est ainsi rapportée de la licéité de principe du système en cause, et de la licéité de sa mise en œuvre par Lancôme et Guy Laroche ;
Considérant qu'il est inutile de se pencher sur le détail de cette mise en œuvre qui n'est pas en cause dans le présent débat : choix des détaillants fondé sur des critères qualitatifs objectifs, restriction quantitative des points de vente ; que ce qui est important du procédé, qui est de diffuser des produits de luxe sophistiqués et coûteux, dans un environnement commercial dont la présentation répond à la qualité des produits sur le plan matériel, avec, de la part du personnel, un raffinement dans l'accueil et une compétence adaptés à cette qualité ;
Considérant que c'est sur ce fondement cohérent que les parfumeurs français ont obtenu la consécration de la distribution sélective ;
Sur la position de Boulogne Distribution :
Considérant que, tout en prétendant à l'examen ponctuel de son cas, Boulogne Distribution ne nie pas appartenir au réseau Leclerc, dont la philosophie est antinomique avec celle qui vient d'être définie ; qu'Edouard Leclerc fonde sa politique sur la suppression de tous les artifices de présentation susceptibles de grever le prix de revient, et sur une distribution de masse sans compromission avec quiconque lui permettant de comprimer au maximum les prix, qu'il a prêché la croisade contre tous les systèmes clos ou malthusiens, dans l'intérêt du consommateur, et a obtenu des succès notoires dans divers domaines, les carburants notamment ;
Considérant que cette politique est largement explicitée dans les médias ; qu'il convient de citer notamment une profession de foi éclairante d'Edouard Leclerc, publiée le 29 mars 1990 dans le journal " Libre Service Actualité ", qui succède à une multitude de prises de position, notamment à un livre de Leclerc lui-même de 1975 développant sa philosophie commerciale ;
Considérant en ce qui concerne plus précisément les parfums, que le centre Leclerc de Valence a réussi en janvier 1984 une vente de parfums de grandes marques, à des prix inférieurs de 15 à 30 % à ceux des boutiques spécialisées, le responsable expliquant à un journaliste du " Matin " qu'il avait dû monter un circuit d'approvisionnement parallèle, des détaillants étrangers acceptant de lui rétrocéder la marchandise, " Mais le circuit est compliqué " précisait-il ;
Considérant que cet aveu public manifestement prémédité est corroboré par une publicité passée par le Galec, centrale d'achat du groupe Leclerc, dans le " Corriere della Sera " du 30 juin 1984 où ce groupement se porte acquéreur de produits de parfumerie désignés nommément, parmi lesquels Lancôme et Guy Laroche ;
Considérant qu'il n'est pas dénié par Boulogne Distribution qu'elle se soit volontairement abstenue de présenter une demande afin de devenir distributeur agréé, ce qui marque son propos de vendre librement, hors du réseau et de ses contraintes, conformément aux intentions affichées de son groupe ;
Considérant d'autre part comme l'ont souligné les sociétés intimées, elle s'est gardée de fournir les factures, révélant ses sources d'approvisionnement, que l'analyse ci-dessus du comportement et des méthodes d'achat du groupe conduit dès lors à admettre que, de manière nécessaire, les produits vendus émanent de distributeurs agréés qui ont enfreint sous sa pression les obligations tenant à leur qualité de membres du réseau;
Considérant que Boulogne Distribution participe ainsi à des opérations publiquement revendiquées de rupture du réseau de distribution sélective, ce qui la place dans une situation parasitaire; que ce parasitisme résulte de l'avantage qu'elle tire des investissements des intimés et de la notoriété de leurs produits, sans contrepartie à sa charge;
Considérant que sauf à déclarer illicite la distribution sélective pratiquée par les sociétés intimées, il est impossible, pour cause d'incompatibilité, que coexistent celle-ci et la pratique que est entre autres celle de Boulogne Distribution ; que la distribution sélective ne peut subsister qu'assortie d'une faculté minimale de protection par le distributeur des parfumeurs appartenant au réseau ;
Considérant que la faute délictuelle ainsi caractérisée justifie la saisie des produits Lancôme et Guy Laroche aux mains de Boulogne Distribution, injonction de cessation de mise en vente sous astreinte et condamnation de Boulogne Distribution au paiement de 400.000 F de dommages-intérêts à Parfums et Beauté et de 100.000 F à Guy Laroche et allocation des indemnités de l'article 700 du NCPC figurant au jugement ;
Considérant qu'en raison de l'incertitude régnant sur le droit positif en la matière, il n'apparaît pas opportun d'ordonner de mesure de publicité de la présente décision ;
Considérant qu'il y a lieu de condamner Boulogne Distribution aux entiers dépens.
Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort : Fait droit pour partie à l'appel de la société Boulogne Distribution, révoque l'ordonnance de clôture. Clôture à nouveau à l'audience, réforme le jugement déféré en ce qu'il a prononcé liquidation d'astreinte, commis huissier pour procéder à saisie de documents et factures, ordonne publication, confirme pour le surplus le dit jugement, en ce qu'il a ordonné saisie et confiscation des produits, enjoint cessation de mise en vente sous astreinte de Cinq Mille Francs par jour et infraction, condamne Boulogne Distribution à payer à titre de dommages-intérêts 400.000 F à la société Parfums et Beauté et Cent Mille Francs (100.000 F) à la société Guy Laroche, et sur le fondement de l'article 700 du NCPC Dix Mille Francs (10.000 F) à la société Parfums et beauté et Six Mille Francs (6.000 F) à la société Guy Laroche, condamne la société Boulogne Distribution aux dépens et autorise la SCP Lefevre-Tardy, Avoués, à recouvrer ceux d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.