CA Paris, 4e ch. B, 24 janvier 1991, n° 89-3868
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Indicateur des Commerces de France ICF (SA)
Défendeur :
DAICI (SA), Claudel, Star Franchise (Sté), Baudet, Alaime, Potier, Adebert
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Poullain
Conseillers :
MM. Gouge, Audouard
Avoués :
SCP d'Auriac Guizard, Me Valdelièvre
Avocats :
Mes Lalande, Calenca.
I. Les faits :
La société Indicateur des Commerces de France (ICF) a pour objet l'édition d'une publication mensuelle essentiellement en dehors de sa partie rédactionnelle des annonces d'offres de ventes de fonds de commerce qu'elle se procure par l'intermédiaire de courtiers ;
La publication d'ICF est "ICF Magazine".
Cette société est en concurrence directe avec la société Daici dont la revue est intitulée "Pic Magazine".
La société ICF a fait deux séries de reproches en concurrence déloyale à la société Daici :
- la première relative à un article qui a été publié dans sa revue concernant la société Laser France et qu'elle a retrouvé servilement reproduit dans la revue Pic Magazine, trois mois plus tard ; elle a donc intenté une action en concurrence déloyale contre la société Daici et un de ses anciens employés Jean-Michel Claudel qui, avec la société Star Franchise, serait l'auteur du plagiat reproché; elle leur a réclamé 100.000 francs de dommages-intérêts et 10.000 francs au titre de l'article 700 du NCPC,
- la deuxième concerne une pratique de débauchage qu'elle impute à la société Daici, des agissements déloyaux et la violation de clause de non concurrence dont elle bénéficiait, qu'elle reproche à quatre de ses anciens courtiers passés à la société Daici : Messieurs Baudet, Alaine, Portier et Aldebert ; elle leur a réclamé outre 2.000.000 de dommages-intérêts, les mesures de publication et la cessation de relations entre eux.
II. Le jugement entrepris
après avoir joint les deux affaires, le tribunal de commerce de Paris, a, le 3 janvier 1989, par jugement contradictoire, dit que la société ICF était partiellement fondée en ses demandes contre Daici, et mal fondée envers Messieurs Claudel, Alaime, Portier, Aldebert et la société Star Franchise ; il a condamné la société Daici à payer à la société ICF la somme de 200.000 francs à titre de dommages et intérêts et 10.000 francs au titre de l'article 700 du NCPC et a dit que la société ICF était mal fondée en ses autres demandes.
III. La procédure d'appel
La société ICF a relevé appel de cette décision le 17 février 1989 et a saisi la Cour, le 27 février 1989.
Dans ses écritures d'appel, la société ICF a repris ses reproches :
- contre la société Daici, Jean-Michel Claudel et la société Star Franchise auxquels elle réclame 100.000 francs de dommages-intérêts,
- contre la société Daici, Messieurs Aldebert, Alaime, Baudet et Portier auxquels elle réclame 2.000.000 de francs à titre de dommages-intérêts, subsidiairement une expertise avec une provision de 1.000.000 francs, des mesures de publications et le paiement de 20.000 Frs au titre de l'article 700 du NCPC ;
La société Daici, la société Star Franchise, Messieurs Claudel, Baudet, Alaime, Portier et Aldebert ont relevé appel incident; ils ont sollicité le débouté des fins de toutes les demandes de la société ICF et la condamnation de celle-ci au paiement de la somme de 200.000 francs à titre de dommages-intérêts ;
Sur ce LA COUR
I/ sur le grief d'ICF contre la société Daici, Jean-Michel Claudel et la société Star Franchise
Considérant qu'un article rédactionnel de cinq ou six pages, assurant la promotion d'une jeune société, la société Laser France, intitulé :"Comment profiter de la fulgurante réussite du laser" a été publié :
- en septembre 1987 dans la revue d'ICF Magazine n° 156 pages 42 à 46,
- en janvier 1988 dans la revue Pic Magazine n° 123 pages 20 à 25, que ces deux publications étaient pratiquement identiques à l'exception des photos et des encarts; qu'un encart publié dans ICF concernait un magasin Laser France à Cluses, alors que l'encart publié dans PIC se rapportait à un magasin Laser France à Paris.
Considérant que la société ICF a reproché au tribunal d'avoir admis que la société Laser France, "propriétaire de l'article rédactionnel litigieux, pouvait le faire publier où bon lui semblait ; que, selon elle, Monsieur Claudel qui avait perçu d'ICF une rémunération pour la publication de cet article dans ICF Magazine, avait perdu le droit de le faire à nouveau publier, tel quel sur un autre support ;
Considérant qu'il résulte des documents régulièrement produits aux débats que les deux articles rédactionnels avaient le même but promotionnel : assurer la publicité de la société Laser France ; que cette société avait, en effet, fait l'acquisition d'un espace publicitaire pour la publication d'un dossier d'entreprise la concernant :
- le 11 juin 1987 à ICF par l'intermédiaire de Monsieur Claudel,
- le 31 décembre 1987 à Pic par l'intermédiaire de la société Star Franchise créée par Monsieur Claudel et qui était la régie publicitaire de la société Daici,
que la rédaction du texte a été réalisée dans les deux cas par J.P Cuisinier, journaliste indépendant, qui en avait reçu commande et qui en a reçu paiement tant par ICF (facture du 16 septembre 1987) que par Pic (facture du 13 janvier 1988); que chaque fois, les transactions entre la société Laser France et la société d'édition publicitaire (ICF ou Pic) ont été passées grâce à l'intervention de Jean-Michel Claudel, soit personnellement (contrat ICF) soit par l'entremise d'une société qu'il venait de créer, la société Star Franchise (contrat Pic) ;
Considérant, ces faits étant exposés, que ni ICF, ni plus tard Daici (Pic) ne sont devenues titulaires des droits sur l'article rédactionnel quasi identique qu'elles ont fait publier dans leur revue conformément au contrat passé et conformément à leur vocation ; qu'elles ont en effet, pour la commande passée avec le journaliste indépendant Cuisinier agi toutes les deux en qualité de mandataire de la société Laser France, qui est donc seule titulaire des droits sur cet article ; que n'ayant aucun droit sur cet article la société ICF ne saurait reprocher à la société Daici, à la société Star Franchise et à Jean-Michel Claudel une manœuvre déloyale quelconque; que la société Laser France qui, seule aurait pu se plaindre, n'a émis aucune réserve sur les prestations d'ICF et de Pic qu'elle a réglées sans difficultés ; que la société ICF est donc mal fondée sur ce chef.
II/ sur les démissions de Messieurs Alaime, Baudet, Portier et Aldebert :
Considérant que Messieurs Alaime, Baudet, Portier, courtiers libres, travaillant avec ICF, et Monsieur Aldebert, attaché commercial de la société ICF, ont donné leur démission à la société ICF les 11 et 18 janvier 1988 ; que ces personnes étaient liées par une clause de non concurrence contenue dans leur contrat ; que cette clause interdit à son signataire de s'intéresser, sur le territoire de la France métropolitaine, directement ou indirectement à une activité concurrente de la société ICF et pour une durée de deux ans à compter de la fin du contrat, et ce quel que soit le motif de la rupture des relations contractuelles ; que, contrairement aux prétentions des intimés et à ce qu'a jugé le tribunal, cette clause limitée dans le temps est parfaitement licite et obligatoire ; qu'en effet elle ne concerne que l'exercice d'activités dans le domaine très spécifique des annonces de ventes de fonds de commerce et de biens immobiliers publiées dans des revues très spécialisées ; qu'elle ne porte pas atteinte à la liberté de travailler de l'agent commercial qui peut normalement exercer sa profession dans les autres branches d'activités ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que ces quatre personnes, pour trois d'entre elles par l'intermédiaire de la société CO+ qu'ils avaient créée, ont immédiatement après leur démission offert leurs services à la société Daici, société concurrente, qui les a acceptés ; qu'ainsi elles se sont rendues coupables de violation de la clause de non concurrence ; que la société Daici ne saurait ignorer l'existence de cette clause, ce qu'elle n'a du reste jamais contesté, puisque cette clause figure dans les propres contrats qu'elle propose à ses courtiers ;
III/ sur les manœuvres de débauchage de la société Daici :
Considérant que la société ICF avait reproché à la société Daici des actes de débauchage de son personnel ; que le tribunal avait admis que la société Daici avait cherché à déstabiliser son concurrent par le débauchage de certains de ses coursiers ; qu'en cause d'appel ICF reprend cet argument et sollicite l'augmentation de la somme qui lui a été allouée par les premiers juges ;
Considérant qu'il convient de rappeler que le personnel des sociétés ICF et Daici est constitué de courtiers libres ; qu'après leur démission, et sous réserve du respect de la clause de non concurrence contenue dans leur contrat, les courtiers sont parfaitement en droit d'offrir leur service à la concurrence ; que la société ICF n'a pas rapporté la preuve que le départ des quatre courtiers et attaché commercial ait été lié à des manœuvres de débauchage par promesse de versement de sommes importantes ou d'avantages substantiels comme elle l'avait soutenu ; que pas davantage la société ICF, par les témoignages et lettres produits, n'a établi la preuve de la tentative de déstabilisation de son entreprise par la Société Daici, comme l'a, à tort, admis le tribunal ; qu'en effet les documents produits font état "d'appel téléphonique" de dirigeant ou d'employés de la société Pic (lettre Lucie Tabome du 22 octobre 1987, lettre de J. Kertrestel du 27 octobre 1987, lettre de Boinet du 31 janvier 1988, de Mouly du 8 février 1988, de Cornil du 28 mars 1988) et d'une réunion animée par Messieurs Aldebert et Alaime le 5 janvier 1988 (lettre de Pratere du 18 février 1988) et au cours de laquelle des offres financières auraient été faites pour rejoindre Pic et débaucher les employés d'ICF ; que seule la lettre de Madame Lamarque, du 16 avril 1989 établie donc en cours de la présente procédure, révèle des faits de dénigrement de la société ICF, auxquels se serait livré Monsieur Portier de la société Pic ; que pour parvenir à la vente de son fonds de commerce, Madame Lamarque avait pris contact avec la société Pic et qu'à cette occasion Monsieur Portier lui avait fait part du "peu de fiabilité" de la société ICF ; que tous ces documents, à l'exception de la lettre de Madame Lamarque, émanent d'employés de la société ICF ; qu'ils ne présentent donc aucune garantie d'objectivité; que présentés sous la forme de simple lettre et de simple attestation (parfois non datée) ils ne présentent également aucune garantie d'authenticité ; que certains de ces documents ont été sollicités "sous la pression" ou comme "une condition d'embauche" ainsi qu'il résulte de la lettre de Monsieur Boinet du 20 avril 1989 et de "l'attestation' le Monsieur Van Paepeghen du 1er février 1990 ; que dans ces conditions, ces documents ne sauraient à eux seuls constituer des "assertions précises et concordantes pour dire que Daici a cherché à déstabiliser son concurrent en démarchant certains courtiers" comme l'a, à tort, jugé le tribunal; que la Société ICF sera donc déboutée de ce chef de demande ;
IV/ sur les dommages-intérêts :
Considérant que la demande de la société ICF n'est accueillie que sur le fondement de la violation de la clause de non concurrence par la société Daici et par Messieurs Aldebert, Alaime, Portier et Baudet ; que cette clause d'une durée de deux ans est aujourd'hui sans objet ;
Considérant pour réclamer 2.000.000 de francs au titre de la réparation de son préjudice la société ICF a invoqué le coût du recrutement et de la formation d'un courtier et la perte de sa marge commerciale ; qu'aucun document n'a été produit par la société ICF à l'appui de cette demande ; Que compte tenu du fait que l'exécution en nature de l'obligation de non concurrence, qui avait été demandée en première instance, est aujourd'hui sans objet, et du fait de la concurrence que Messieurs Aldebert, Alaime, Portier et Baudet ont fait subir à la société ICF en violation de la clause de non concurrence qui pesait sur eux, la Cour estime disposer d'éléments suffisants pour évaluer à 400.000 francs le préjudice subi par la société ICF, et ce, sans recourir à la mesure d'expertise sollicitée ;
Considérant que la publication demandée ne sera pas accordée ; qu'il convient à cet égard de relever que la société ICF, qui avait été débouté de sa demande de publication en première instance, a fait publier dans sa revue d'avril 1989, un extrait du reste tronqué de cette décision non assortie de l'exécution provisoire et dont elle-même avait fait appel le 17 février 1989 ;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société ICF la charge de ses frais non taxables en appel pour une somme dont le montant sera indiqué ci-dessous ;
Par ces motifs, réforme le jugement du tribunal de commerce du 3 janvier 1989, statuant à nouveau, dit que la société Daici, et messieurs Aldebert, Alaime, Baudet et Portier ont commis des actes de concurrence déloyale par la violation des clauses de non concurrence dont bénéficiait la société ICF, condamne en conséquence in solidum la société Daici, Messieur Aldebert, Alaime, Baudet et Portier à payer à la société ICF la somme de quatre cent mille (400.000) francs à titre de dommages et intérêts et la somme de cinq mille (5.000) francs au titre de l'article 700 du NCPC, déboute les parties de leurs autres demandes, condamne in solidum la société Daici, Messieurs Aldebert, Alaime, Baudet et Portier aux dépens de première instance et d'appel et admet pour ceux d'appel la SCP d'avoués d'Auriac Guizard au bénéfice des dispositions de l'article 699 du NCPC.