CA Paris, 4e ch. B, 17 janvier 1991, n° 88-20176
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Delaizy Kargo (SA)
Défendeur :
Stratere (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Poullain
Conseillers :
MM. Gouge, Audouard
Avoués :
Me Mira, SCP Verdun Gas
Avocats :
Mes Laskier, Noret.
Dans des circonstances relatées par les premiers juges, la société Delaizy Kargo (ci-après Delaizy) avait attrait la société Stratere devant le Tribunal de commerce de Meaux pour obtenir diverses réparations à la suite d'agissements qualifiés de concurrence déloyale. Par son jugement du 8 septembre 1988 le Tribunal a débouté Delaizy et l'a condamnée à payer à Stratere une indemnité de 5.000 F pour procédure abusive, une somme de 4.000 F au titre de l'article 700 du NCPC et les dépens. Delaizy a relevé appel par déclaration du 19 avril 1988 et saisi la Cour le 22 novembre 1988. Elle a conclu à l'infirmation et à la condamnation de Stratere à payer, pour concurrence déloyale, une indemnité de 500.000 F outre la publication de l'arrêt, une somme de 10.000 F au titre de l'article 700 du NCPC et les dépens. Subsidiairement elle demande une indemnité provisionnelle de 300.000 F et la désignation d'un expert sur le préjudice. Stratere a conclu à la confirmation et, par voie d'appel incident, à la condamnation de Delaizy à payer, pour procédure abusive, une indemnité de 20.000 F ainsi qu'une somme de 8.000 F au titre de l'article 700 du NCPC et les dépens. Delaizy a répliqué, ce qui a entraîné une dernière réplique de Stratere. Delaizy allègue qu'il y a " mise à profit " de ses catalogues de prix par son concurrent, référence par un ancien employé à ses fonctions au sein du département repris par Delaizy, et que ces agissements, en permettant une captation fautive de la clientèle, auraient occasionné un préjudice qui ne pourrait être inférieur aux sommes réclamées. Il importerait peu qu'il n'y ait aucun lien contractuel entre le fondateur de Stratere et Delaizy mais il y aurait utilisation " dolosive " des renseignements obtenus au cours de l'activité salariée antérieure. Stratere relève au contraire qu'il n'y avait pas de lien contractuel entre Delaizy et Monsieur Fouasse, que Delaizy ne prouve pas qu'il y ait risque de confusion notamment au niveau des imprimés, que les prix inférieurs ne sont pas contraires aux usages loyaux du commerce, qu'il n'y a pas eu démarchage fautif de la clientèle, ni débauchage de salarié - la carte de visite ne constituerait qu'une référence professionnelle - Stratere ajoute que le département cédé par Blanchard à Delaizy était déficitaire et qu'il n'y aurait pas de preuve d'un préjudice. Les propos tenus par Delaizy au cours de la procédure viseraient à jeter le discrédit sur un concurrent.
Sur ce, LA COUR, qui pour un plus ample exposé se réfère au jugement et aux écritures d'appel,
Considérant qu'avant tout autre développement il convient de noter qu'à juste titre, dans l'ultime état de leurs écritures multiples les parties conviennent que le litige n'a aucun fondement contractuel ;
Considérant d'autre part que Monsieur Fouasse, salarié licencié pour motif économique par Blanchard a pu, sans commettre aucune faute, fonder pendant son délai de préavis une société concurrente et commencer l'exploitation de cette entreprise dès qu'il a été libre de tout engagement et ce, sans être tenu d'aucun devoir d'amnésie sur ce qu'il avait appris chez son ancien employeur ;
Considérant que le fait, par Stratere, de répondre à une offre d'emploi anonyme figurant dans le journal ne peut être considéré comme une tentative de débauchage du salarié d'un concurrent (un représentant travaillant pour Delaizy) ; que de plus cette réponse à une offre anonyme n'a été suivie d'aucun effet ;
Mais considérant que même si aucune confusion n'est possible entre les dénominations sociales Blanchard ou Delaizy et Stratere, il demeure que le fait par une entreprise de se servir du tarif d'une entreprise concurrente afin de le démarquer d'une manière quasi servile, ce que la Cour a constaté en comparant les deux documents, Stratere ajoutant à ce démarquage une pratique systématique de prix légèrement inférieurs, ce qui incitait la clientèle, retrouvant la même place les même produits présentés d'une manière plus avantageuse, constitue une pratique parasitaire par appropriation de la documentation commerciale de Delaizy qui engage la responsabilité de Stratere;
Considérant que si rien n'interdisait à Monsieur Fouasse de faire état de ses références professionnelles à l'égard des clients de Delaizy, c'est de manière abusive qu'il a pu se présenter à la clientèle comme son interlocuteur habituel dans des documents nécessairement limités en nombre puisque manuscrits, mais néanmoins contemporains de la cession partielle du fonds de commerce Blanchard, l'activité de Stratere, selon l'extrait K Bis mis aux débats ayant commencé à partir du 1er décembre 1987 ;
Considérant, sur le préjudice, que la déclaration obligatoire du cédant dans l'acte de cession partielle du fonds de commerce Blanchard en date du 28 septembre 1987 révèle que le chiffre d'affaires et plus encore les résultats étaient en diminution constante sur les trois dernières années ; que Delaizy ne saurait imputer aux fautes commises par Stratere la totalité des mauvais résultats ultérieurs dont elle fait état ; que la Cour trouve en la cause des éléments suffisants pour déterminer comme ci-après le préjudice qui est une suite immédiate et directe des fautes retenues sans qu'il soit nécessaire de procéder à une expertise ; qu'en raison du caractère limité du préjudice, ce préjudice sera réparé par la seule indemnité sans qu'il y ait lieu à publication de l'arrêt ; qu'il est équitable que les frais non taxables exposés par Delaizy soient mis à la charge de Stratere comme ci-après ;
Considérant que la demande de Delaizy, qui est admise dans son principe, ne peut être considérée comme constituant une faute, une imprudence ou une négligence ; qu'il n'est pas inéquitable que Stratere qui succombe conserve ses frais non taxables ;
Par ces motifs : Infirmant le jugement du 8 septembre 1988 et statuant à nouveau, Dit que la société Stratere a commis des actes de concurrence parasitaire aux détriments de la société Delaizy Kargo, La condamne à lui payer une indemnité de cinquante mille (50.000) francs, une somme de dix mille (10.000) francs au titre de l'article 700 du NCPC et les dépens de première instance et d'appel. Autorise pour ceux d'appel Maître Mira, avoué, à recouvrer conformément à l'article 699 du NCPC. Déboute les parties de leur autres demandes.