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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 20 décembre 1990, n° 88-21580

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

BDF Nivéa (SA)

Défendeur :

Les Laboratoires Goupil (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Poullain

Conseiller :

M. Gouge

Avoués :

Mes Valdelievre, Meurisse

Avocats :

Mes Greffe, Peisse.

T. com. Paris, 1re ch., du 5 sept. 1988

5 septembre 1988

Dans des circonstances relatées par les premiers juges la société BDF Nivéa, avait attrait la société Laboratoires Goupil, ci-après Goupil, devant le Tribunal de Commerce de Paris afin d'obtenir la réparation d'un préjudice résultant, selon ses dires, des déclarations effectuées par le Président directeur général de Goupil, le 1er juin 1987, à 8 heures 40 au cours d'une émission de la station de radio Europe 1.

Par son jugement du 5 septembre 1988, qui a exposé les faits, moyens et prétentions des parties antérieurs, la 1re chambre de ce Tribunal a débouté Nivéa de sa demande et l'a condamné aux dépens. Nivéa a relevé appel par déclaration du 4 novembre 1988 et saisi le Cour le 19 décembre 1988. Elle a conclu à l'infirmation du jugement, à ce qu'il soit jugé que Goupil s'est livrée à des " actes de concurrence déloyale caractérisée ", à sa condamnation à payer une indemnité de 1 000 000 F, une somme de 60 000 F au titre de l'article 700 du NCPC, et les dépens, à ce qu'elle soit autorisée à faire publier l'arrêt aux frais de Goupil. Goupil a conclu à la confirmation et au paiement d'une somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du NCPC et les dépens par l'appelante.

Nivéa allègue que sa marque est notoirement connue et que les propos tenus par le Président Goupil constituent une mise en cause directe ou indirecte des caractéristiques techniques et des qualités substantielles d'un produit concurrent ; que ces propos n'étaient pas mesurés et prudents ; que Nivéa aurait été citée cinq fois dans cette émission " dont l'impact radiophonique est incontestable " ".

Goupil répond qu'elle a été provoquée par un journaliste et qu'après avoir émis des réserves sur le procédé, elle a exprimé son opinion avec prudence et mesure. Elle n'aurait fait qu'user sans faute de la liberté du commerce et ses déclarations seraient fondées sur des recherches scientifiques dont les résultats ne pourraient être contestés. On ne saurait supprimer le droit de critique et d'information et il serait licite de parler d'un produit concurrent en termes mesurés et prudents et, sur la base d'études, sur les produits qui ne contiennent que des filtres et qui ne contiennent pas de citrus. La réglementation européenne s'acheminerait vers l'autorisation d'une " réclame comparative conforme à la vérité ". Enfin Nivéa ne prouverait pas avoir subi un préjudice.

Sur ce, LA COUR, qui pour un plus ample exposé se réfère au jugement et aux écritures d'appel,

Considérant que les faits, qui ont été exposés par le Tribunal, ne sont pas contestés dans leur matérialité ; qu'il suffit de rappeler brièvement que Goupil avait été publiquement attaquée en 1987 sur les qualités d'un produit anti-solaire Bergasol qui selon certaines assertions était soupçonné de favoriser l'apparition de cancers de la peau ; que Goupil avait utilisé alors tous les supports et organes de Presse pour défendre son produit ; que lors de l'émission du 1er juin 1987 le Président de Goupil qui s'entretenait avec Jean-Pierre Elkabach et Yvan Levaï avait discuté des imputations qu'il estimait diffamatoires et fait état de travaux de dermatologues de divers pays ainsi que du montant de ses frais de recherches ; qu'après que Jean-Pierre Elkabach lui ait demandé si on pouvait se " badigeonner de Bergasol " sans danger, Yvan Levaï a provoqué le Président de Goupil en citant " la crème Nivéa " ; qu'après avoir protesté contre cette provocation et énoncé que dire du mal de la concurrence " n'était pas son style " celui-ci a toutefois dit : " ... mais il résulte des enquêtes que nous faisons (car nous faisons de la cosméto-vigilance ; je ne veux pas entrer dans les détails la dessus), que la crème Nivéa figure parmi les produits qui semblent... non pas donner des incidents graves à la peau, mais enfin ceux qui pourraient être remis en question " ;

Considérant, ceci étant exposé, qu'il n'est pas reproché à Goupil d'avoir défendu son produit par une campagne d'information des consommateurs ; que faire état d'études et d'expérimentations ainsi que d'une décision de la Food and Drugs Administration n'était en rien critiquable (étant observé toutefois que la classification d'un produit comme médicament n'est pas en elle-même une preuve de totale innocuité) ;

Considérant que ce qui est reproché à juste titre à Goupil par Nivéa c'est d'avoir par des allusions, des insinuations, laissé entendre aux auditeurs que le produit concurrent Nivéa, sans provoquer des " incidents graves " pouvait présenter des inconvénients pour la santé de l'utilisateur ; que c'est donc par une dénaturation des faits que Goupil se réfère au droit à l'information ou à une critique mesurée, alors qu'il n'y a ni information ni critiqué objective; qu'il n'y a pas non plus en l'espèce de publicité comparative, publicité au demeurant interdite à la date des faits et encore à ce jour ; qu'en restant volontairement dans le vague puisqu'il n'y avait aucune référence à une caractéristique technique précise, Goupil a dénigré un produit concurrent sans pour autant laisser la possibilité à Nivéa d'exercer utilement un droit de réponse pour réfuter ses assertions;

Considérant que ni le contexte de l'émission ni les questions insidieuses ne pouvaient dispenser Goupil, qui au surplus n'avait pas à se défendre d'attaques en provenance de Nivéa, de respecter les usages loyaux du commerce; que les insinuations ci-dessus rapportées, en tant qu'elles dénigrent le produit de Nivéa nommément désigné engagent la responsabilité de Goupil ;

Considérant que Nivéa, selon les pièces mises aux débats est une société qui a réalisé en France pour dix produits portant la marque Nivéa un chiffre d'affaires de 274 512 728 F en 1986 ; qu'elle prouve avoir eu un budget de publicité de l'ordre de 28 millions de francs cette même année ; que la marque Nivéa doit être considérée comme notoirement connue ;

Considérant que si Nivéa ne démontre pas que son chiffre d'affaires aurait baissé au cours de la campagne d'été 1987 à la suite des déclarations de Goupil, il demeure que l'image de la marque s'est trouvée dépréciée à une heure d'écoute au cours de laquelle l'audience de la radio Europe n° 1 est importante selon le sondage de Médiamétrie réalisé du 5 janvier au 29 mars 1987 mis aux débats ; que le préjudice qui est une suite immédiate et directe de la faute commise sera réparé par l'allocation de l'indemnité indiquée au dispositif et par les publications ; qu'il est équitable que les frais non taxables exposés par Nivéa soient mis à la charge de Goupil comme ci-après ; que Goupil qui succombe conservera ses frais non taxables ;

Par ces motifs : Infirmant le jugement du 5 septembre 1988 dit que la société Laboratoires Goupil, en dénigrant le produit anti-solaire Nivéa, lors d'une émission de la station de radio Europe N° 1 sur le produit anti-solaire Bergasol en date du 1er juin 1987, a engagé sa responsabilité pour concurrence déloyale, Autorise la société BDF Nivéa à faire publier le dispositif de l'arrêt dans trois journaux ou périodiques de son choix aux frais de la société Laboratoires Goupil sans que le coût total des insertions puisse excéder trente six mille (36 000) F HT, Condamne la société Laboratoires Goupil à payer à la société BDF Nivéa : - une indemnité de cent vingt mille (120 000) francs, - une somme de douze mille (12 000) francs au titre de l'article 700 du NCPC, - les dépens. Autorise pour ceux d'appel Maître Meurisse, avoué à recouvrer conformément à l'article 699 du NCPC. Déboute les parties de leurs autres demandes.