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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 12 décembre 1990, n° 89-013437

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Société Industrielle de Reliure et Cartonnage

Défendeur :

Reliures Brun (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosnel

Conseillers :

Mme Mandel, M. Boval

Avoués :

SCP Regniez-Sevestre, Me Lecharny

Avocats :

Mes Desgrais, Costi.

T. com. Paris, 8e ch., du 10 mai 1989

10 mai 1989

Statuant sur l'appel interjeté par la société SIRC du jugement rendu le 10 mai 1989 par le Tribunal de commerce de Paris (8e chambre) dans un litige l'opposant à la société Reliures Brun, ensemble sur les demandes additionnelles des parties.

Faits et procédure :

La société SIRC a déposé le 6 janvier 1988 sous le n° 88.00054 une demande de brevet ayant pour titre " Procédé et installation de reliure industrielle ainsi que reliure obtenue ".

Ayant eu connaissance de ce que la société Reliures Brun (ci-après dénommée Reliures Brun) fabriquerait des reliures constituant la contrefaçon de sa demande de brevet, SIRC a adressé le 22 juin 1988 à Reliures Brun, par l'intermédiaire de son conseil en brevet, une lettre recommandée avec avis de réception l'informant que les reliures à volets rabatables faisant corps avec la couverture étaient protégées par la demande de brevet de SIRC. Elle lui demandait d'arrêter impérativement toute fabrication contrefaisante et de lui adresser un engagement en ce sens avant le 15 juillet 1988.

A cette lettre était jointe une copie officieuse de la demande de brevet.

Reliures Brun protestait par lettre recommandée avec avis de réception du 28 juin 1988 faisant valoir notamment que ces couvertures étaient utilisées depuis longtemps. Parallèlement SIRC faisait paraître dans la revue " Livres Hebdo " du 10 octobre 1988 n° 41 une publicité d'une page concernant la reliure " Full Flaps " système original qui a été breveté et dont la SIRC a l'exclusivité mondiale ".

Par ailleurs dans cette publicité elle se présentait comme le n° 1 Français de la reliure.

Estimant que SIRC d'une part en faisant état d'une demande de brevet dont elle savait manifestement que l'objet avait donné lieu à une divulgation publique préalable et en prétextant l'existence de cette demande pour menacer Reliures Brun de poursuites si elle ne cessait pas ses fabrications, d'autre part en faisant paraître un encart publicitaire dans les conditions susvisées, avait commis à son encontre des actes de concurrence déloyale, Reliures Brun l'a assignée le 18 novembre 1988 devant le tribunal de Commerce de Paris en paiement de la somme de 150 000 F à titre de dommages-intérêts et de celle de 25 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Elle sollicitait par ailleurs diverses mesures d'interdiction et de publicité.

Le Tribunal par le jugement entrepris, après avoir retenu que SIRC avait agi avec une grande légèreté en faisant état dans une publicité d'un brevet qu'elle ne possédait pas encore et d'une exclusivité mondiale qu'elle ne justifiait pas avec précision, l'a condamnée à payer à Reliures Brun la somme de 80 000 F à titre de dommages-intérêts outre 15 000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Il a par ailleurs interdit à SIRC de faire état du brevet auprès des tiers tant que celui-ci ne sera pas délivré, à compter de la signification du jugement sous astreinte de 5 000 F par infraction constatée ; Enfin il a autorisé Reliures Brun à faire publier le dispositif du jugement.

Appelante par déclaration du 2 juin 1989 SIRC prie la Cour d'infirmer le jugement, de débouter Reliures Brun de ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive outre 25 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Reliures Brun poursuit la confirmation du jugement et sollicite la condamnation de SIRC à lui payer une somme complémentaire de 25 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile pour les frais engagés par elle devant la Cour.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 10 septembre 1990.

Le 24 octobre 1990 Reliures Brun a fait signifier des conclusions tendant à la révocation de l'ordonnance de clôture.

Discussion

I - Sur la procédure :

Considérant qu'aucune des parties ne s'y opposant et pour respecter le principe du contradictoire, il convient de révoquer l'ordonnance de clôture et de la prononcer à la date du 7 novembre 1990 ;

II - Sur le fond :

A) Sur la mise en demeure :

Considérant que Reliures Brun fait valoir que SIRC a outrepassé ses droits en la mettant en demeure d'arrêter toute fabrication alors même qu'elle n'avait pas satisfait aux dispositions de l'article 55 de la loi du 2 janvier 1968 modifiée et n'était pas à même de justifier avoir requis l'avis documentaire ;

Considérant qu'aux termes de l'article 55 de la loi du 2 janvier 1968 modifiée ; " par exception aux dispositions de l'article 23, les faits antérieurs à la date à laquelle la demande de brevet a été rendue publique en vertu de l'article 17 et à celle de la notification à tout tiers d'une copie certifiée de cette demande ne sont pas considérées comme ayant porté atteinte aux droits attachés au brevet " ;

Considérant qu'en l'espèce il est constant que SIRC n'a pas notifié à Reliures Brun une copie certifiée de la demande de brevet mais une copie officieuse ;

Que dès lors SIRC ne pouvait se prévaloir de cette mise en demeure pour agir en contrefaçon à l'encontre de Reliures Brun sur la base d'une demande de brevet non rendue publique ;

Considérant que certes SIRC a outrepassé ses droits comme l'ont relevé les premiers juges, en mettant en demeure reliures Brun d'arrêter toute fabrication contrefaisante avant le 15 juillet 1988 alors même qu'elle n'était pas en mesure de préciser quelles revendications de sa demande de brevet auraient été contrefaites ;

Considérant toutefois que Reliures Brun ne justifie nullement avoir cessé ses fabrications ou avoir perdu de la clientèle pour ce type de reliures, les seules attestations produites émanant de deux de ses salariés et étant par là même sujettes à caution ,

Considérant en conséquence que cette mise en demeure n'a engendré aucun préjudice pour Reliures Brun ;

B) Sur la publication :

Considérant que SIRC a fait paraître dans la revue " Livres Hebdo " du 10 octobre 1988 un encart publicitaire sur une page entière dans laquelle elle s'affirme n° 1 français de la reliure et prétend bénéficier d'un brevet sur le système de reliure " Full Flaps " ainsi que d'une exclusivité mondiale sur ce système ;

Considérant que SIRC soutient qu'aucun reproche ne peut lui être fait de s'être prévalue dans la publicité incriminée de son droit d'exclusivité sur l'invention brevetée, le brevet conférant à son titulaire un monopole d'exploitation ;

Que par ailleurs elle prétend occuper réellement le premier rang dans l'industrie de la reliure brochure ;

Considérant qu'il n'appartient pas à la Cour dans le cadre du présent litige, d'apprécier la validité du brevet comme tente de le faire Reliures Brun en exposant dans ses écritures que la reliure en cause aurait été divulguée préalablement au dépôt de la demande de brevet ;

Mais considérant ainsi que l'ont relevé avec pertinence les premiers juges, que SIRC a agi avec une grande légèreté en affirmant dans cette publicité bénéficier des droits d'exclusivité mondiale sur un brevet qui n'était pas encore délivré;

Qu'il convient d'observer, s'agissant de la demande de brevet déposée en France, que si initialement cinq des revendications portaient sur une reliure à rabats, SIRC a, suite au rapport de recherche en date du 30 septembre 1988 soit antérieur à la publicité en cause, modifié ses revendications ;

Que celles-ci ne portent plus sur la reliure elle-même mais sur un procédé de réalisation d'une telle reliure à rabats intégrée à la couverture et sur son installation ;

Considérant dès lors qu'en déclarant dans la publicité parue le 10 octobre 1988 qu'elle bénéficiait d'un brevet sur la reliure à deux rabats, SIRC, qui avait déjà eu connaissance du rapport de recherche, a divulgué des informations inexactes;

Considérant, par ailleurs que SIRC ne pouvait prétendre avoir l'exclusivité mondiale de cette couverture dès lors qu'elle n'avait à cette date déposé qu'une demande de brevet européen;

Considérant dans ces conditions qu'il indéniable que par cette publicité mensongère, SIRC a tenté de monopoliser un marché nouveau et d'évincer ses concurrentsdont le principal est Reliures Brun ; que de telles manœuvres sont constitutives de concurrence déloyale ;

Considérant en revanche que Reliures Brun ne saurait faire grief à SIRC de s'être présentée dans cette publicité comme le n° 1 de la reliure;

Considérant en effet que cette prétention n'apparaît pas excessive si on se réfère à l'attestation très circonstanciée du Président de la chambre syndicale de la reliure brochure dorure et ce, même si Reliures Brun réalise un chiffre d'affaires équivalent à celui de SIRC mais dont rien de permet d'affirmer cependant qu'il se rapporte exclusivement à des activités de reliure ;

Considérant que les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice commercial subi par reliures Brun en l'évaluant à la somme de 80 000 F, que le jugement sera confirmé de ce chef ;

Qu'il mérite également confirmation en ce qu'il a prononcé diverses mesures d'interdiction et autorisé Reliures Brun à faire procéder à des publications ; qu'il convient toutefois de préciser que la publication devra faire mention de la confirmation par le présent arrêt ;

Considérant que SIRC qui succombe ne saurait qualifier la procédure diligentée à son encontre d'abusive ;

Qu'elle sera déboutée en conséquence de sa demande en paiement de dommages-intérêts ;

Considérant que l'équité ne commande pas qu'il soit fait application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile à SIRC ;

Considérant en revanche qu'il serait inéquitable que Reliures Brun conserve la charge intégrale des frais non compris dans les dépens engagés par elle en appel ; qu'il convient de lui allouer de ce chef une somme complémentaire de 8 000 F ;

Par ces motifs : Et ceux non contraires des premiers juges ; Révoque l'ordonnance de clôture du 10 septembre 1990 et la prononce au jour de l'arrêt ; Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Et y ajoutant, Dit que les mesures de publication devront faire mention de la confirmation par le présent arrêt ; Condamne la société Industrielle de Reliure et Cartonnage à payer à la société Reliures Brun une somme complémentaire de 8 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Rejette toutes autres demandes ; Condamne la société Industrielle de Reliure et Cartonnage aux dépens d'appel. Admet la SCP d'Avoués Regniez-Sevestre au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.