Livv
Décisions

CA Paris, 1re ch. sect. des urgences, 5 décembre 1990, n° 90-3443

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Bantchik

Défendeur :

System Industries Network Storage France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvernier (conseiller faisant fonction)

Conseillers :

Mme Cahen-Fouque, M. Rostagno

Avocats :

Mes d'Herbomez, Pons.

T. com. Paris, du 16 mai 1989

16 mai 1989

En 1982, le groupe américain System Industries, spécialisé dans la vente de différents produits et appareils d'informatique créa une filiale française, la SARL System Industries Network Storage France dite SIF, sise à Marly le Roi.

Celle-ci engagea, à compter du 24 novembre 1982, Gérard Bantchik en qualité de directeur du service commercial puis de directeur général.

L'article 8 de la Convention liant les parties précisait que celui-ci s'engageait :

- "durant l'exécution du contrat et après son expiration, à observer la plus entière discrétion sur tout ce qui concernait les activités de l'entreprise" et se voyait interdire "de divulguer ou d'utiliser les informations acquises dans l'exercice de ses fonctions,"

- "à ne pas s'intéresser, directement ou indirectement à une activité concurrente de celle de la société et à consacrer à cette dernière toute son activité".

Les 12 et 15 décembre 1988, la société SIF, alléguant que Gérard Bantchik avait contacté durant l'été précédent les dirigeants du groupe américain anciennement MTI, volé et photocopié un certain nombre de documents confidentiels, débauché une vingtaine de salariés pour les engager dans le cadre d'une société holding " Systèmes compatibles et réseaux Technologies SA" sise à Neuilly sur Seine assigna celle-ci et son ancien employé devant le Tribunal de Commerce de Paris aux fins de voir :

- juger que les défendeurs s'étaient rendus coupables à son encontre de concurrence déloyale,

- condamner ceux-ci à lui verser une somme d'un million de francs à titre de dommages-intérêts.

Par conclusions du 23 janvier 1989, la société SCR Technologies souleva l'incompétence territoriale de la juridiction saisie, au profit du Tribunal de Commerce de Nanterre, en raison du lieu de son siège social.

A la même date, Gérard Bantchik alléguant que les faits reprochés se seraient produits au cours de l'exécution de son contrat de travail ou auraient été "en liaison ou la suite de sa démission intervenue le 22 août 1988 pour prendre effet le 31 août 1988", invoqua la compétence du Conseil de Prud'hommes de Saint Germain en Laye, section encadrement.

Par jugement du 16 mai 1989, le Tribunal de Commerce de Paris :

- fit droit à l'exception formée par la société SCR Technologies et se déclara incompétent au profit du Tribunal de Commerce de Nanterre.

- après avoir relevé les obligations mises à la charge de Gérard Bantchik par l'article 8 du contrat de travail du 24 novembre 1982, décida que " compte tenu de la nature du litige et pour une bonne administration de la justice, il convenait de renvoyer la cause et les parties devant la juridiction compétente territorialement, le Tribunal de Commerce de Nanterre "

Le 30 mai 1989, Gérard Bantchik forma contredit à cette décision.

Par arrêt du 20 décembre suivant, la Cour, retenant une possibilité de transaction entre les parties, ordonna le retrait du rôle de l'affaire laquelle fut rétablie le 7 février 1990 à la demande de la société SIF.

Gérard Bantchik fait valoir que :

- l'action engagée par la société SIF qui concerne les relations de travail qui lièrent les parties est de la compétence du Conseil de Prud'hommes, "traditionnellement saisi des litiges du travail ou de ceux découlant directement ou indirectement de l'exécution du contrat de travail".

- l'impératif d'une bonne administration de la justice commande que soient respectés les domaines de compétence des deux juridictions d'exception concernées.

La société SIF réplique que :

- Gérard Bantchik n'était lié à son ex-employeur par aucune clause de non concurrence, laquelle n'est donc pas le fondement de l'action intentée,

- les faits reprochés sont sans lien direct avec le contrat de travail et sont, pour l'essentiel, postérieurs à l'expiration de celui-ci.

Elle précise que si le Tribunal de Commerce de Paris était bien compétent, Gérard Bantchik demeurant à Paris, il parait évident dans le souci d'une bonne administration de la justice de renvoyer l'affaire devant le Tribunal de Commerce de Nanterre.

Sur ce, LA COUR,

Considérant qu'aux termes de l'assignation délivrée le 12 décembre 1988 à Gérard Bantchik, la société SIF invoque à l'appui de sa demande le fait que :

- durant l'exécution de son contrat de travail (c'est-à-dire avant le 31 août 1988) celui-ci aurait contacté les dirigeants d'un groupe concurrent, préparé la constitution d'une société holding " sur les dépouilles de la société qui l'employait " et, avant d'exposer publiquement ses intentions frauduleuses le 30 août 1988, aurait "pris la précaution de voler et de photocopier un certain nombre de documents confidentiels",

- après l'expiration de ce contrat, cet ancien employé aurait débauché ou tenté de débaucher plusieurs salariés de la demanderesse pour les engager à son tour

Que les griefs invoqués s'opposent aux obligations mises à la charge de Gérard Bantchik par l'article 8 du contrat de travail du 24 novembre 1982 ;

Que, de surcroît, en vertu de l'article 1134 alinéa 3 du Code Civil, selon lequel les conventions doivent être exécutées de bonne foi, tout salarié, même en l'absence de clause expresse, est tenu par une obligation de non concurrence vis à vis de son employeur et se rend coupable de violation de celle-ci s'il apporte son concours à un concurrent ou s'apprête à créer une entreprise concurrente

Or, considérant qu'en application de l'article L. 511-1 du Code du Travail, l'action en concurrence déloyale par laquelle un ancien employeur poursuit son ancien salarié pour une activité concurrentielle irrégulière qui a commencé à se développer pendant le contrat de travail en violation de l'obligation de non concurrence qui pesait sur le salarié et s'est continuée après la cessation du contrat de travail en revêtant un caractère déloyal est de la compétence du Conseil de Prud'hommes ;

Considérant que si la décision entreprise retient cependant pour une bonne administration de la justice la compétence du Tribunal de Commerce de Nanterre, au motif que celui-ci devait être saisi de l'action dirigée contre la société SCR Technologies, il convient de relever d'une part, que les demandes formées contre celle-ci et contre Gérard Bantchik bien que connexes, ont des causes différentes et ne sont pas indivisibles et, d'autre part, que les Conseils de Prud'hommes ont été institués pour terminer par voie de conciliation les différends pouvant s'élever notamment à l'occasion du contrat de travail et sont seuls compétents pour connaître en premier ressort de ces différends, peu important leur connexité avec un autre litige non susceptible de lui être soumis ;

Par ces motifs, Dit le contredit recevable et bien fondé, Réformant le jugement entrepris, dit que le Conseil des Prud'hommes de Saint Germain en Laye, section encadrement est compétent pour statuer sur le litige opposant la SARL System Industries Network Storage France dite SIF à Gérard Bantchik, Renvoie en conséquence, la cause et les parties devant le Conseil des Prud'hommes de Saint Germain en Laye, Condamne la société SIF aux dépens du présent contredit.