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Décisions

CA Riom, 3e ch. civ. et com., 21 novembre 1990, n° 266-90

RIOM

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Pege (SA)

Défendeur :

Devenas (Époux), Guimblet, Greuzat

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bensadou

Conseillers :

Mme Million, M. Despierres

Avoués :

SCP Sagorin Gutton, Lecoq Mottet, Me Tixier

Avocats :

Mes Southon, Gast, SCP Deshais-Perro-Gonzalez

T. com. Montluçon, du 17 nov. 1989

17 novembre 1989

Exposé du litige

A - Par acte du 7 octobre 1986 les époux Devenas acquéraient de la SA Pege un fonds de commerce de vente de fil à tricoter, articles de bonneterie et de mercerie sis 14 Rue Porte Saint Pierre à Montluçon. Cet acte comportant une clause de non-concurrence à charge du vendeur, stipulée pour une durée de 5 ans et dans un rayon de cinq kilomètres.

Or le 17 juin 1986 les époux Devenas avaient conclu avec la Société " Les Fils de Louis Mulliez " exploitant la marque " Phildar France ", un contrat de franchise.

B - Le 10 juin 1988, cette même Société " Les Fils de Louis Mulliez " signait un contrat de franchise Phildar avec Madame Greuzat pour un magasin situé dans le Centre Commercial Saint Jacques à Montluçon, soit dans un rayon de cinq kilomètres du fonds des époux Devenas.

C - Les époux Devenas ont conservé que la Société Pege SA, qui est une filiale de la Société " les Fils de Louis Mulliez " avait ainsi violé la clause de non-concurrence contenue au contrat de vente, du fait de l'ouverture de ce magasin sous la marque Phildar. Aussi assignaient-ils la SA Pege et Madame Greuzat en vue d'obtenir la cessation du trouble causé à leur concurrence.

D - Par jugement du 17 novembre 1989, le Tribunal de Commerce de Montluçon s'abstenant de faire cesser la commercialisation des articles Phildar et de faire enlever l'enseigne Phildar du magasin de Madame Greuzat, décidait :

- que la SA Pege devait payer, à titre indemnitaire aux époux Devenas, pour la dévaluation de leurs fonds de commerce, une somme de 5 000 F par jour ouvrable à compter de l'ouverture du magasin Greuzat, ainsi que 3 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- que, si la SA Pege ne pouvait faire cesser cette concurrence déloyale de son fait dans un délai de 2 mois, les époux Devenas pourraient revoir le chiffrage de leur préjudice,

- que l'action dirigée contre Madame Greuzat devait être rejetée, celle-ci pouvant demander par ailleurs la réparation de son préjudice à la SA Pege.

E - La Société Pege a formé appel contre cette décision.

Elle demande la réformation du jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer des indemnités aux époux Devenas et une somme au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Elle soutient que la société " Les Fils de Louis Mulliez " et elle-même forment deux entités juridiques distinctes et que dès lors les engagements souscrits par la Société Pege ne peuvent être également source d'obligation pour l'autre Société. Aussi la Société mère - " Les Fils de Louis Mulliez " - ne peut être rendue débitrice d'une obligation de non-concurrence souscrite par sa filiale.

Elle relève également que le contrat de franchise ne portait aucune clause d'exclusivité territoriale.

Elle demande en outre la condamnation des époux Devenas à lui payer la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Intéressés les époux Devenas concluent à la confirmation du jugement et, sur la base des chiffres fixés par le Tribunal, demandent d'établir à la somme de 315 500 F le montant dû pour la période d'Octobre 1988 à septembre 1990, et de leur donner acte de ce qu'ils chiffreront leur préjudice postérieur jusqu'au jour de la fermeture du magasin Greuzat.

Ils ajoutent : " faire application des articles 1153 et 1154 du Code Civil ".

Ils demandent également une somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Madame Greuzat, également intéressée, conclut à la confirmation du jugement en ce qui l'a concerne.

Elle expose n'avoir de liens contractuels qu'avec la Société " Les Fils de Louis Mulliez " du fait du contrat de franchise qu'elle a signé le 10 juin 1988, et aucunement avec les deux autres parties. Aussi considère-t-elle que ne peut lui être reprochée une situation antérieure qu'elle ignorait et à laquelle elle n'était pas partie.

Elle note que si cependant elle devait fermer son magasin avant la date limite d'application de la clause de non-concurrence, soit le 7 octobre 1991 elle s'adresserait à qui de droit pour obtenir réparation de son préjudice.

En outre elle demande une somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile aux époux Devenas.

Motivations

Les contrats

A - Attendu qu'il est constant que la SA " Les Fils de Louis Mulliez ", qui a créé la marque " Phildar " et a développé sous cette enseigne un réseau de magasin spécialisés dans la commercialisation de gammes de fils à tricoter, a conclu ainsi deux contrats de franchise, d'une part le 17 juin 1986 avec Monsieur Devenas, d'autre part le 10 juin 1988 avec Madame Greuzat.

Que ces contrats ne comportent aucune restriction tendant à faire bénéficier les franchisés d'une protection quant à l'étendue territoriale de leurs droits tirés de ces contrats ;

B - Attendu par ailleurs que le contrat du 7 octobre 1986 par lequel la SA Pege vendait le fonds de commerce aux époux Devenas comportait une clause de non-concurrence par laquelle " Monsieur Mordefroy, es-qualité, au nom de la Société Pege qu'il représente, s'interdit expressément la faculté de créer ou faire valoir, directement ou indirectement, aucun fonds de commerce similaire en tout ou en partie à celui vendu..., pendant une durée de cinq ans, à compter de ce jour, et dans un rayon de cinq kilomètres à vol d'oiseau du lien d'exploitation de fonds vendu, à peine de tous dommages et intérêts envers les acquéreurs..., sans préjudice du droit qu'ils auraient de faire cesser cette contravention " ;

Les liens entre les deux Sociétés

Attendu qu'il existe des liens étroits entre la Société " Les Fils de Louis Mulliez " et la Société Pege, caractérisés notamment par :

- leur objet social respectif, tels que définis dans les articles trois de chacun des deux statuts ;

- la nature de filiale de la Société Pege, vis à vis de la Société " Les Fils de Louis Mulliez " Société mère ;

- les échanges d'activités intervenus entre les deux sociétés, tels qu'ils résultent notamment du procès-verbal de délibération du Conseil d'administration de la Société Pege, du 21 mai 1984, qui a " approuvé et constaté l'apport par la Société " Les Fils de Louis Mulliez " à la Société Pege, de sa branche d'activité de commerce de détail de fils à tricoter, d'articles chaussants, et d'articles de mercerie et de leurs accessoires ".

- les identités de personnes agissant au nom des Sociétés concernées, notamment Monsieur Feltz, ancien Président Directeur Général de la Société Pege jusqu'au 21 mai 1984, représentant de la Société " Les Fils de Louis Mulliez " et également gérant de la Société Immoville et Cie, propriétaire des murs vendus, par le même contrat du 17 octobre 1986, à Monsieur Devenas ;

- l'intervention, dans le contrat de vente du 17 octobre 1986, d'un seul et même mandataire (Monsieur Mordefroy) d'une part au nom de Monsieur Feltz, en tant que gérant de la Société Immoville et Cie, étant précisé que Monsieur Feltz agissait lui-même en qualité de représentant de la Société " Les Fils de Louis Mulliez... ", de Monsieur André Mulliez, Président du Conseil d'administration de la Société " Les Fils de Louis Mulliez ", gérante de la Société Immoville et Cie, d'autre part au nom de Monsieur Welcomme P.D.G. des Etablissements Pege ;

- l'ensemble de pièces et correspondances produites, confirmant les relations existants entre les deux Sociétés ;

Sur les conséquences

Attendu que l'existence de tels liens ne saurait permettre de conclure à la confusion en tous points de l'activité des deux Sociétés et demeure sans effet sur leur indépendance juridique;

Mais attendu qu'il n'en demeure pas moins que, dans le cadre spécifique du litige, à savoir l'obligation pour la Société Pege de respecter la clause de non-concurrence, il apparaît que, sous peine de vider de son sens le contenu de cette clause, il appartenait à la Société Pege, compte tenu des biens qu'elle entretenait avec la Société " Les Fils de Louis Mulliez ", de veiller à ce que celle-ci n'intervienne pas en contradiction avec cette clause;

Attendu en effet que cette clause même, en stipulant une interdiction de faire valoir, tant directement qu'indirectement, entendait bien étendre l'obligation pesant sur le vendeur à toute action concurrentielle de son fait ou du fait de tout autre avec qui il aurait un lien ou une communauté d'intérêt quelconque ;

Attendu dès lors que, si l'on ne peut dire que la Société franchiseur était tenue de la même obligation que sa filiale venderesse, il résulte des circonstances que celle-ci contractait, du fait de la clause de non-concurrence, une obligation dont le champs d'application s'étendait à celle d'agir auprès de la Société franchiseur pour, fut-ce à titre onéreux, obtenir d'elle qu'elle ne conclut pas un contrat de franchise avec un tiers dans des conditions contraires à celles de ladite clause de non-concurrence;

Attendu au total que la SA Pege n'a pas respecté la clause à laquelle elle était tenue;

Sur la sanction

A - Attendu que les époux Devenas demandent la cessation de l'activité concurrentielle ;

Attendu qu'il est acquis et non sérieusement discuté que Madame Greuzat ne détient aucune part de responsabilité dans l'activité de concurrence déloyale ;

Que la Cour, en conséquence, ne saurait lui imposer directement une cessation d'activité, non plus que toute autre sanction pécuniaire ;

B - Attendu par contre qu'il est du droit des victimes de demander cette cessation ;

Attendu cependant qu'il est à observer :

- qu'à supposer qu'ordre ce soit donné à la Société Pege, celle-ci ne pourra mettre à exécution la fermeture du fonds de commerce de Madame Greuzat qu'avec le consentement de celle-ci ;

- qu'en outre et en toute hypothèse, la clause de non-concurrence perdra tout effet le 7 octobre 1991 ;

Attendu en conséquence que la Cour ne peut qu'inviter la Société Pege à obtenir la fermeture, avec toutes conséquences sur les dommages-intérêts que Madame Greuzat pourra solliciter par ailleurs, mais doit, considérant que toute obligation de faire se résoudre en dommages-intérêts, définir le montant du préjudice existant et certain, résultant pour les époux Devenas, tant de la concurrence passée, que de celle qui se poursuivra en l'absence de fermeture ;

Attendu qu'il est demandé une somme de 315 500 F jusqu'à octobre 1990 ;

Qu'il n'est pas même précisé le jour précis du terme de cette période ;

Que la Cour n'est donc pas en mesure d'apprécier et de fixer une date, non plus d'ailleurs que pour le début de cette période ;

Attendu que les pièces produites justifient de ce que fut la perte enregistrée par le commerce des époux Devenas ;

Que le montant retenu par les premiers juges, à savoir 500 F par jour ouvrable n'est pas contesté ;

Qu'il représente ainsi un préjudice certain, liquide et exigible ;

Attendu que pour l'avenir, le préjudice doit également être certain et défini ;

Qu'il existera ainsi, pour une période limitée qui s'achèvera soit par la fermeture effective du fonds soit par la survenance du terme de la clause de non-concurrence, le 7 octobre 1991 ;

Que sur cette durée maximale, brève, l'appréciation du préjudice subi est à faire sur les mêmes bases que pour le passé récent ;

Que le paiement en sera dû, dans les limites de durée ainsi définies, dès que la poursuite de l'activité concurrentielle rendra certain et exigible, ce préjudice futur ;

Sur la capitalisation des intérêts

Attendu que cette demande dépourvue de toute explication est à rejeter de même ;

Sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile

Attendu que succombant la Société Pege sera condamnée à verser aux époux Devenas, après confirmation du jugement à ce titre, une somme de 3 000 F pour les frais irrépétibles en appel ;

Attendu que la demande de Madame Greuzat, en tant qu'elle est dirigée contre les époux Devenas, est à rejeter ;

Décision

LA COUR,

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement, Confirme le jugement en ce qu'il a : Condamné la Société Pege à payer aux époux Devenas, à titre de dommages-intérêts, une somme de 500 F (cinq cent francs) par jour ouvrable à compter de l'ouverture du magasin de Madame Greuzat, Condamné la même à payer la somme de 3 000 F (trois mille francs) au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile aux époux Devenas, Débouté les époux Devenas de leur action contre Madame Greuzat. Pour le surplus, réformant, statuant à nouveau et ajoutant au jugement : Dit qu'à défaut de cessation de l'activité constitutive de la concurrence déloyale, la Société Pege : - devra payer sans délai le montant total dû pour le passé jusqu'au jour du présent arrêt ; - devra payer le montant futur, à compter du présent arrêt, calculé soit jusqu'au jour de la cessation de l'activité concurrente, soit jusqu'au 7 octobre 1991 compris, et ce dès que le terme effectif de la concurrence sera survenu ; Condamne la Société Pege à payer aux époux Devenas une somme de 3 000 F (trois mille francs) au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile (frais d'appel), Rejette toutes autres demandes, Condamne la Société Pege aux dépens et autorise la SCP d'Avoués Sagorin Gutton et Lecoq Motte à recouvrer directement ceux dont elles auraient pu faire d'avance et approuve 3 mots rayés nul.