CA Bordeaux, 1re ch. A, 8 novembre 1990, n° 100-88
BORDEAUX
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Duchesne, Forêt
Défendeur :
Parfums Rochas (SA), Jean Valières (SARL), Nanterme (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Baillot
Conseillers :
MM. Gaboriau, Taillefer
Avoués :
Mes Le Barazer, Fournier
Avocats :
Mes Duluc, Triet.
Par jugement du 26 Mai 1987, le Tribunal de Grande Instance de Périgueux a notamment
- dit que M. Forêt, Mme Duchesne et la Société J. Valières se sont rendus coupables d'utilisation illicite de marques et de concurrence déloyale,
- constaté que le montant de la réparation des préjudices occasionnés est fixé aux sommes de 60.000 F pour le préjudice commercial et le préjudice résultant de l'usage de la marque,
- condamné M. Forêt et Mme Duchesne au paiement solidaire de cette somme,
- dit que la Société LGG est civilement responsable de M. Forêt et Mme Duchesne préposés de la Société Valières,
- ordonné la publication du dispositif du jugement dans trois quotidiens nationaux,
- fait défense aux défendeurs de faire référence à la marque Rochas dans la vente des produits.
Mme Yvette Duchesne et M. Claude Forêt ont interjeté appel de cette décision le 28 Octobre 1987 dans des conditions de forme et de délai non critiqués par les intimés.
Ils demandent la réformation du jugement en ce qui les concerne au motif qu'à l'époque des faits, ils étaient les préposés salariés de la SARL Jean Valières et qu'en particulier d'une part Mme Duchesne a été assignée en sa qualité de responsable de l'antenne régionale des parfums J. Valières et qu'à ce titre elle n'avait pas de relation avec la clientèle, d'autre part M. Forêt a agi sur instructions formelles de son employeur au même titre que les autres représentants de la marque et ceux de marques concurrentes.
Ils sollicitent donc leur mise hors de cause et l'octroi de 10.000 F de dommages-intérêts chacun outre 5.000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La Société Parfums Rochas conclut au débouté de cet appel. Elle demande à la Cour de dire et juger la Société Valières, Mme Duchesne et M. Forêt coupables d'usurpation de marques, d'usage illicite des marques " Femme " et " Rochas " et de concurrence déloyale au profit de la Société Parfums Rochas.
Elle demande en outre qu'ils soient déclarés coupables de publicité mensongère au sens de l'article 44.1 de la loi du 27 Décembre 1973 et de l'article 1 de la loi du 1er Août 1905.
Elle conclut à ce que l'arrêt soit déclaré commun à la Société LGG et à son syndic.
Elle demande la condamnation solidaire de Mme Duchesne et de M. Forêt à lui payer 100.000 F de dommages-intérêts et 20.000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Elle sollicite par ailleurs l'interdiction faite aux intéressés de faire référence d'une façon ou d'une autre aux marques lui appartenant sous astreinte de 10.000 F par infraction constatée.
Elle demande enfin la publication de l'arrêt dans la presse.
Dans leurs dernières écritures, les appelants demandent à la Cour de constater que la Société Rochas, constituée partie civile devant le Tribunal Correctionnel de Lyon dans la poursuite ayant abouti à la condamnation pénale de M. Ozil, gérant de la Société Valières et de M. Lopez, P.D.G. de la Société LGG a obtenu l'allocation d'une somme de 30.000 F en réparation de son préjudice et une indemnité de 1.000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de Procédure Civile, par un jugement du 24 Novembre 1983 aujourd'hui définitif.
Les appelants reprochent à la Société Rochas de tenter d'obtenir devant la juridiction civile une seconde réparation du préjudice allégué.
Ils concluent à l'irrecevabilité de cette demande.
Selon la Société Rochas, le jugement dont s'agit sanctionnait des agissements spécifiques constatés principalement dans la région du Sud-Est et ne concernait pas Mme Duchesne et M. Forêt.
Elle soutient enfin que la qualité de préposé des consorts Duchesne et Forêt, au demeurant non établie, est sans incidence sur leur responsabilité dans ces agissements.
Motifs de la décision :
Sur la recevabilité de l'action en ce qu'elle est dirigée à l'encontre de M. Forêt et Mme Duchesne :
Attendu que dans son acte introductif d'instance, la Société Rochas Parfums actionne non seulement la SARL Jean Valières puis la Société LGG qui se trouve aux droits de celle-ci, mais également M. Forêt, VRP et Mme Duchesne, responsable de l'antenne régionale des Parfums Valières ; que ce faisant, la Société Rochas Parfums ne méconnaît pas la qualité de salariés des consorts Forêt-Duchesne envers la Société Valières ainsi qu'elle le rappelle clairement à ses écritures, notamment dans son acte d'intervention forcée dirigé à l'encontre de la Société LGG en date du 9 Septembre 1982 ;
Attendu toutefois qu'il est constant que ces salariés, s'ils ont pu commettre ou participer à des faits susceptibles de s'analyser en une concurrence déloyale envers la Société Rochas Parfums, ont strictement agi dans le cadre de la mission qui leur était impartie par leur employeur ; que rien n'établit qu'ils aient outrepassé ces limites ou aient commis, à titre personnel, des agissements pouvant leur être imputés à faute ; que c'est dès lors à tort que la Société Rochas Parfums a assigné M. Forêt et Mme Duchesne et que le Tribunal de Grande Instance de Périgueux a cru devoir entrer en voie de condamnation à leur égard ; que la mise hors de cause de M. Forêt et Mme Duchesne s'impose donc ;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à leur charge les frais et honoraires qu'ils ont supportés pour faire reconnaître le bien fondé de leur position ; que la Société Rochas Parfums devra verser à chacun d'eux une somme de 5.000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Qu'en revanche, rien ne justifie en l'espèce de faire droit aux demandes de dommages-intérêts présentées par M. Forêt et Mme Duchesne qui ne motivent pas particulièrement le fondement de leurs prétentions de ce chef ;
Attendu que la Sté Rochas supportera les entiers dépens de première instance et d'appel concernant les consorts Forêt et Duchesne ;
Au fond :
I Sur la responsabilité :
Attendu qu'il est constant que la Société des Parfums Rochas est propriétaire des marques " Femme " et " Rochas " dont la preuve du dépôt est rapportée aux débats ; qu'il ressort notamment d'un procès-verbal de saisie-contrefaçon du 8 mai 1981 que la SCP Mezurat et Varaillon, Huissiers de Justice associés à Périgueux a constaté au domicile de M. Forêt, VRP de la SARL Valières :
- 2 exemplaires Bon de Commande " Jean Valières " Paris,
- 2 tableaux de concordance sur lesquels figurent " 17 " et " Femme-Rochas ",
- 2 atomiseurs n° JV 17 portant l'étiquette Jean Valières Paris,
- 2 boites d'échantillons contenant des petits flacons numérotés ;
que M. Forêt a montré aux huissiers son carnet d'ordres sur lequel figuraient diverses commandes qui lui étaient remises par Mme Duchesne ;
qu'il a par ailleurs expliqué à Maîtres Mezurat et Varaillon que " le tableau de concordance servait au client de guide au point de vue senteur pour le parfum vendu sous la marque Jean Valières " ;
Attendu qu'il est dès lors établi, et au demeurant non contesté, que la Société Valières présentait à sa clientèle chacun de ses produits avec son équivalent en senteur provenant de marques déposées dont la marque Rochas; que la Société Valières a, dans ces conditions, et sans y être autorisée fait état soit verbalement soit par écrit de la marque du parfum Rochas ;
Attendu que la publicité faite par un fabricant de produits de faible notoriété pour tenter de faire croire à sa clientèle qu'ils sont comparables à des produits de grande notoriété participe d'une intention frauduleuse évidente et constitue une pratique commerciale contraire aux usages professionnels en ce qu'elle incite notamment l'acheteur potentiel à préférer au produit de marque, nécessairement plus onéreux, celui qui n'en est qu'une imitation plus ou moins fidèle; que ces agissements constituent une concurrence déloyale et doivent être sanctionnés comme tels ; que la Société Valières aux droits de laquelle se trouve présentement la Société LGG doit dédommager la Société Hochas de son préjudice ;
2. Sur le préjudice
Attendu que comme l'ont rappelé les premiers juges, l'utilisation frauduleuse d'une marque constitue une source de préjudice pour la marque et justifie l'octroi de dommages-intérêts ; que c'est à bon droit que le jugement a, au vu des éléments versés aux débats, fixé à 60.000 F le montant du préjudice de la Société Parfums Hochas, mais n'a pas assorti d'une astreinte l'interdiction de poursuivre cette pratique en raison de la disparition des Sociétés en cause, dont la dernière LGG se trouve en liquidation de biens sous le syndicat de Me Nanterme ; que c'est également par une exacte appréciation des circonstances de la cause que les premiers juges ont arbitré à 8.000 F l'indemnité due à la Société Hochas sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et ont ordonné la publication du dispositif du jugement dans trois quotidiens de son choix sans que les insertions puissent excéder au total la somme de 10.000 F ;
Par ces motifs, la Cour, dit recevable en la forme, l'appel de Mme Duchesne et de M. Forêt à l'encontre du jugement du Tribunal de Grande Instance de Périgueux du 26 Mai 1987, confirme ce jugement en toutes ses dispositions à l'exception toutefois de celles qui ont déclaré M. Forêt et Mme Duchesne coupables d'utilisation illicite de marques et de concurrence déloyale et les ont condamnés à ce titre, statuant à nouveau de ce chef, constate que M. Forêt et Mme Duchesne, ayant agi dans le cadre du lien de préposition les liant à leur employeur la Société Jean Valières, doivent être mis hors de cause purement et simplement, condamne la Société Parfums Hochas à verser à chacun d'eux la somme de 5.000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et à supporter les dépens exposés de leurs chefs, déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires au présent dispositif, Dit qu'à l'exception des dépens exposés du chef des consorts Forêt et Duchesne, l'ensemble des dépens de première instance et d'appel seront employés en frais privilégiés de liquidation de biens de la Société LGG et reconnaît à Me Fournier et Me Le Barazer le droit prévu à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile pour les dépens d'appel.