CA Paris, 1re ch. sect. des urgences a, 6 novembre 1990, n° 89-006742
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Fédération des Mutuelles de France (SA)
Défendeur :
Fédération française des sociétés d'assurances (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Maglioli
Conseillers :
M. Delanne, Mme Garnier
Avoués :
Me Huighe, SCP Verdun-Gastou, SCP Dauthy-Naboudet
Avocats :
Mes Lafon, Cournot, Salphati.
LA COUR statue sur l'appel de la Fédération des Mutuelles de France " FMF " d'un jugement rendu le 18 janvier 1989 par le Tribunal de Grande Instance de Paris 1re Chambre, qui l'a condamnée à payer la Fédération Française des Sociétés d'Assurances " FFSA" et à la Fédération Nationale des Syndicats d'Agents Généraux d'Assurance " FNSAGA ", outre la somme de 8.000 Francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, celle de 1 Franc à titre de dommages-intérêts pour avoir fait publier dans le public des propos dénigrants à leur encontre, a ordonné la publication à ses frais de l'intégralité du jugement sous la rubrique " publication judiciaire " dans les journaux le " Figaro " et le " Monde " et ce, dans le mois de la signification du jugement.
Les premiers juges ont exposé les faits et la procédure.
Il suffit de rappeler que la FFSA et la FNSAGA font grief à la FMF d'avoir à leur préjudice orchestré une vaste campagne de dénigrement auprès des assurés existants ou potentiels des sociétés d'assurances dans le domaine de la protection sociale complémentaire de celle dont la fonction est assurée par la Sécurité Sociale, et ce, dans le but de voir ces assurés adhérer au régime des organismes mutualistes dont elle assure la protection des intérêts.
La FMF demande à la Cour d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement et statuant à nouveau de dire qu'elle n'a pas commis d'actes de dénigrement, de dire n'y avoir lieu en conséquence à réparation d'un préjudice inexistant et de condamner la FFSA et la FNSAGA au paiement d'une indemnité de 50.000 Francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La FFSA et la FNSAGA concluent l'une et l'autre à la confirmation du jugement en ce qui concerne la condamnation de la FMF au paiement de la somme de un Franc à titre de dommages et intérêts, et incidemment à ce qu'il soit ordonné l'affichage de la totalité de l'arrêt pendant trente jours dans le hall du siège social de celle-ci, ainsi que la publication intégrale de l'arrêt aux frais de la FMF dans tout bulletin et périodique distribué par elle, et dans le Figaro, le Monde, France Soir, Paris Match, Libération, Le Quotidien de Paris, V.S.D., Le Point, L'Express, Le Nouvel Observateur, sans que le coût de ces dix publications n'excède chacun 50.000 Francs et pour l'ensemble des publications sous astreinte définitive de 30.000 Francs par jour de retard passé huit jours après la signification de l'arrêt, et additionnellement à la condamnation de la FMF au paiement à chacune d'entre elles de la somme de 50.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Ce à quoi résiste la fédération appelante en contestant notamment avoir la qualité qui le rendrait susceptible de commettre des actes de concurrence déloyale - ce, ensuite de quoi la FNSAGA rappelle que son action est fondée sur les dispositions des articles 1382 et 1383 du Code civil.
cela étant expose, la cour :
Considérant que la FMF et la FFSA admettent que c'est à bon droit que le Tribunal a considéré que les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 ne trouvaient pas application en l'espèce ;
Considérant que la FFSA directement et la FNSAGA par ricochet se plaignent d'une campagne publicitaire qui effectuée à l'initiative de la FMF est déloyale à leur égard et préjudicie à leurs intérêts ; que dans ces conditions les demandes de ces deux Fédérations n'apparaissent pas devoir requérir une motivation différente en ce qui concerne leur principal ;
Considérant que la FMF au soutien de son appel fait valoir que c'est à tort que les premiers juges ont retenu que les termes et les images de la campagne à laquelle elle a procédé au moyen de supports tels que affichage, panneaux, presse et télévision sont excessifs et contraires au jeu de la libre concurrence en matière commerciale et ne sauraient être considérés comme étant une information et une critique exprimée dans des limites les rendant admissibles ;
Considérant en effet qu'elle prétend qu'elle-même et les organismes mutualistes dont elle assure la protection des intérêts n'ont pas la qualité de " commerçant " et ne se livrent pas à des actes de commerce ; qu'elle en déduit qu'elle n'est donc pas susceptible d'avoir commis les actes de concurrence déloyale qui lui sont reprochés ;
Mais considérant que ce moyen est sans pertinence dès lors qu'il suffit que la campagne publicitaire litigieuse soit constitutive d'une concurrence déloyale envers des sociétés commerciales et telles sont les sociétés d'assurances ; que cette concurrence sera constituée à condition que les mutualités et les sociétés d'assurances exercent une activité similaire ; que les termes et les images utilisés confinent au dénigrement et s'inscrivent dans un contexte concurrentiel ;que la preuve soit rapportée non seulement de l'existence d'une faute commise par la FMF mais aussi celle d'un préjudice souffert par les fédérations intimées, l'action de celles-ci trouvant leur fondement dans les dispositions des articles 1382 et 1383 du Code civil ;
Considérant qu'il est constant que les sociétés d'assurances et les mutualités entendent garantir la protection sociale complémentaire de celle dispensée par la Sécurité Sociale ; qu'elles sont donc nécessairement concurrentes dans l'exploitation de ce marché ;
Considérant que la FMF prétend qu'en tout état de cause, la campagne publicitaire qui lui est reprochée, est légitime comme constituant une riposte aux agissements malicieux de certaines sociétés d'assurances utilisant faussement la qualification de " mutuelle " ;
Considérant cependant que même à supposer exactes ces allégations de déloyauté, il n'en resterait pas moins que la riposte dont il est prévalu, ne saurait être regardée comme excusable alors qu'elle est dirigée à l'encontre non pas de l'ensemble des sociétés d'assurances mais seulement de certaines qui identifiables, sont donc susceptibles de voir leurs agissements fautifs dénoncés et sanctionnés en justice ;
Considérant que pour résister au reproche de dénigrement retenu par le Tribunal, la FMF fait valoir que dans le cadre de ses statuts qui lui fixent notamment comme but l'information en ce qui concerne le champ d'application de la mutualité ainsi que la défense et la sauvegarde des droits et intérêts de celle-ci elle n'a fait qu'exercer un droit d'information économique et un droit de critique générale et technique ;
Mais considérant que le droit d'information et de critique connaît des limites ; qu'il doit être objectif et prudent faute de quoi il devient fautif ;
Or considérant que la FMF qui entend informer le public ne doit pas avoir un intérêt personnel quant à l'objet de l'information ; qu'en l'espèce l'intérêt personnel de cette Fédération est avéré puisqu'elle-même admet que la campagne publicitaire orchestrée par elle, était destinée à stigmatiser les sociétés d'assurances coupables selon elle de capter par des agissements malicieux un marché potentiel important au préjudice de la mutualité ;
Que le droit à l'information en cause, pourrait néanmoins être admis qu'il se révèle être dénué de passion, objectif et respectueux de l'intérêt de ceux dont il a en vue d'appeler l'attention et tel n'est pas le cas des messages publicitaires diffusés à l'initiative de la FMF ; qu'en effet ainsi que l'a retenu le Tribunal ils ne contiennent aucune information relative aux avantages et inconvénients comparés des systèmes concurrents et se bornent à souligner certaines pratiques commerciales des sociétés d'assurances ;
Et considérant que la FMF ne saurait être fondée à soutenir que les termes et images litigieux ne relèvent pas de sa part de la volonté de discréditer les sociétés d'assurances et qu'au contraire ceux-ci avait comme objectif de mettre en valeur les qualités spécifiques des mutuelles et de permettre aux consommateurs d'opérer un choix en toute connaissance de cause ;
Considérant en effet que ces termes et images présentent notamment les sociétés d'assurances ou bien comme assimilant l'assuré à une " voiture ", à une " bagnole " à mettre à la " casse " ou à jeter au " rebut " ou bien comme lui appliquant les mêmes modalités de garantie qu'à une voiture ou bien comme l'excluant de la garantie lorsque la probabilité de la survenance du risque à garantir est importante ou bien comme lui faisant payer des surprimes ; qu'en ce faisant la FMF, outre que certaines de ses allégations sont controuvées telle l'exclusion des personnes âgées de plus de 60 ans, avait la volonté manifeste de dénigrer les sociétés d'assurances dans le domaine de la protection sociale complémentaire, d'une part en passant sous silence les services qu'elles dispensent et d'autre part en leur attribuant comme motivation non pas l'intérêt de l'assuré mais la recherche du profit ; qu'elle a à l'évidence dirigé ces attaques dans l'intention de nuire à la représentation dans le public des sociétés visées et sous le couvert du discrédit devant nécessairement en résulter de détourner leurs assurés existants ou potentiels au profit d'organismes mutualistes ; que si confirmation est nécessaire il suffit de se reporter à la déclaration publiée dans un organe de presse aux termes de laquelle le Président d'une union départementale des mutuelles de la Haute Vienne se félicitant de ce qu'à la suite de la campagne publicitaire en cause, de nombreuses personnes avaient adhéré aux mutuelles ;
Considérant en outre que la FMF se prévaut de ce que les fédérations intimées n'établissent pas avoir souffert un préjudice ;
Considérant que le dénigrement imputable à la FMF constitue une faute ; que le trouble qui en est résulté pour les sociétés d'assurances en raison de la perte d'assurés et pour les agents généraux d'assurances en raison de la mauvaise qualité attribuée aux services qu'ils ont mission de promouvoir, constitue le préjudice ; qu'ainsi la faute se rapproche du préjudice au point de se confondre entièrement avec lui ; que la connotation morale... de celui-ci est suffisamment établie pour qu'il soit réparé par l'allocation réclamée d'une indemnité d'un montant symbolique de un franc ;
Considérant qu'il apparaît en définitive que c'est à bon droit que le Tribunal a retenu que les agissements de la FMF étaient fautifs et devaient donc être sanctionnés par la condamnation de leur auteur au paiement de la somme de un franc à titre de dommages et intérêts ; que le jugement sera en conséquence confirmé de ce chef ;
Considérant que la FFSA et la FNSAGA prient la Cour de réformer le jugement en ce qu'il n'a pas recueilli leur demande d'affichage de la décision de justice et en ce qu'il n'a fait droit que partiellement à leur demande de publication de celle-ci ;
Considérant que l'affichage de l'arrêt intégral dans le hall du siège social de la FMF pendant trente jours se révèle inutile en tant qu'elle n'apporterait la connaissance de la présente décision qu'aux seuls dirigeants des mutuelles qui ont concouru à la réalisation de la publicité litigieuse ;
Qu'en revanche compte tenu de la gravité du dénigrement et de l'importance de la diffusion intervenues il convient d'assurer une plus large publication de la décision de justice que celle ordonnée par le Tribunal ; que cette publication devra être faite dans les quotidiens Le Figaro et Le Monde ainsi qu'en avait décidé les premiers juges et en outre dans le quotidien d'audience nationale " Libération " ainsi que dans tout bulletin ou périodique distribué à l'initiative de la FMF et ce dans les termes du dispositif du présent arrêt ;
Considérant que la FMF qui succombe dans ses prétentions sera déclarée infondée en sa demande en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Considérant qu'il serait inéquitable de faire supporter aux fédérations intimées attraites à tort en cause d'appel les nouveaux frais irrépétibles qu'elles ont exposés ; qu'il sera fait droit à leur demande de ce chef en condamnant la fédération appelante à leur payer respectivement la somme de 10.000 Francs s'ajoutant à celle qui leur a déjà été allouée en première instance sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Par ces motifs :
Statuant par arrêt contradictoire ;
Confirme toutes les dispositions du jugement sauf celles relatives à la réparation complémentaire que constitue la publicité à donner à la décision de justice ;
L'énonçant sur ce point ;
Ordonne qu'aux frais de la Fédération des Mutuelles de France " FMF " et dans les quotidiens " Le Figaro " et " Le Monde ", et " Libération " et dans tout bulletin ou périodique distribué par celle-ci il sera publié sous la rubrique " publication judiciaire " :
1°/ les considérants du présent arrêt commençant comme ci-après " ET Considérant que la Fédération des Mutuelles de France ne saurait être fondée à soutenir que les termes et images litigieux ne relèvent pas de sa part de la volonté de discréditer les sociétés d'assurances... " et finissant ainsi " il suffit de se reporter à la déclaration publiée dans un organe de presse aux termes de laquelle le Président de la FMF se félicitait de ce qu'à la suite de la campagne publicitaire en cause, de nombreuses personnes auraient adhéré aux mutuelles " ;
2°/ la disposition de la présente décision confirmant les dispositions du jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris (1re Chambre) en date du 18 janvier 1989 et donc celle prononçant la condamnation de la FMF ;
3°/ la disposition de ce jugement rédigée en ces termes : " condamne la Fédération des Mutuelles de France " FMF " à payer à la Fédération Française des Sociétés d'Assurances " FFSA " et à la Fédération Nationale des Syndicats d'Agents Généraux d'Assurances " FNSAGA " la somme de un Franc à titre de dommages et intérêts pour avoir fait publier dans le public des propos dénigrants à leur encontre " ;
Dit que chacune des publications ne devra pas être d'un montant supérieur à 10.000 Francs et devra intervenir sous astreinte provisoire de 10.000 Francs par jour de retard à compter d'un mois de la signification du présent arrêt ;
Et y ajoutant :
Déboute la FMF de sa demande au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
La condamne à payer à la FFSA et à la FNSAGA respectivement, la somme de 10.000 Francs en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Déboute les parties de leurs prétentions contraires à la motivation ci-dessus retenue ;
Admet la SCP Verdun-Gastou et la SCP Dauthy-Naboudet, avoués, chacun en ce qui le concerne, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.