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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 11 octobre 1990, n° 88-10112

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Révillon (SA), Revillon Luxe (SA)

Défendeur :

Carol Révillon Distribution (SARL), Revillon

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bonnefont

Conseillers :

MM. Gouge, Audouard

Avoués :

Me Lecharny, SCP Bollet Baskal

Avocats :

Mes Coste, Hoffman.

TGI Paris, 3e ch., 1re sect., du 25 nov.…

25 novembre 1987

LA COUR : - Depuis les années 1850 environ, le nom de Révillon est étroitement associé aux vêtements de fourrures de luxe.

Connue mondialement, la société Révillon, devenue le " Groupe Révillon " (Cora-Révillon) s'est diversifiée largement en activités de luxe : banque, immobilier, sociétés de service, industrie, édition.

La société Révillon est notamment titulaire de deux marques nominatives Révillon en caractères droits et en caractères anciens sous les n°1 099 500 et 1 348 645 dans les classes 1, 2, 3, 4, 9, 14, 18, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 28 et 31 ; pour désigner entre autres des vêtements confectionnés en tous genres ... modes ... ;

Carol Révillon est une jeune styliste, qui s'est spécialisée depuis plusieurs années dans la création de vêtements féminins en prêt à porter. Pour faire connaître sa collection Carol Révillon a fondé une SARL " Carol Révillon distribution " dont le siège est à 78450 Chavenay, 1 bis, rue de Davron dont elle est la gérante ;

C'est dans ces conditions que par acte du 13 mars 1987, la SA Révillon et la société qui assure la diffusion des créations, la société Révillon luxe, ont fait assigner Carol Révillon et la SARL " Carol Révillon Distribution " en contrefaçon des marques, en atteinte au nom commercial, en concurrence déloyale, en mesures d'interdiction, de destruction et de publication d'usage, et en condamnation à la somme de 150.000 F à titre de dommages et intérêts et à celle de 25.000 F au titre de l'article 700 du NCPC, le tout avec exécution provisoire ;

Carol Révillon et la SARL Carol Révillon ont contesté cette demande, ont réclamé 50.000 F pour procédure abusive et 20.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC ;

Par jugement contradictoire de la 3ème Chambre 1re section du tribunal de grande instance de Paris du 25 novembre 1987 :

- l'usage du nom patronymique Révillon par la société Carol Révillon Distribution a été réglementé en application de l'article 2 al 2 de la loi du 31 décembre 1964 ;

Il a été ordonné à

- la société Carol Révillon Distribution de modifier sa dénomination en la précédent du mot " Créations " de manière à s'appeler " Créations Carol Révillon distribution " sous réserve que ces trois ou quatre mots soient écrits avec des caractères de même dimension et d'y adjoindre les termes " Maison fondée en 1985 " en caractères plus petits ; cette notification devant intervenir dans un délai de deux mois à compter de la signification du jugement sous peine d'une astreinte de 1 .000 F par jour ;

- les sociétés Révillon ont été déboutés de leur action en concurrence déloyale, en dommages et intérêts, en publication et destruction ;

- les parties ont été déboutées de leur demande fondées sur l'article 700 du NCPC ;

Les sociétés Révillon et Révillon luxe ont relevé appel de cette décision le 18 avril 1988 ;

La cour a été saisie le 7 juin 1988 ;

Dans leurs écritures d'appel, les sociétés Révillon ont maintenu leurs demande en contrefaçon de marques, en atteinte à la dénomination sociale et au nom commercial, en concurrence déloyale, en interdiction, modification de dénomination sociale, destruction et publication usuelles, en paiement de la somme de 25.000 F au titre de l'article 700 du NCPC ; Dans leurs conclusions en réponse Carol Révillon et la société Carol Révillon distribution ont sollicité la confirmation du jugement, la condamnation des sociétés Révillon au versement de la somme de 50.000 F au titre de l'article 700 du NCPC ;

Sur ce, LA COUR,

Qui pour l'exposé plus ample des faits et de la procédure, se réfère expressément au jugement dont appel et aux écritures d'appel ;

Considérant que le Tribunal a, pour débouter les sociétés Révillon de leurs demandes, invoqué l'article 2 de la loi du 31 décembre 1964 ; qu'il a accordé le bénéfice des dispositions de cet article aux personnes morales et qu'il a considéré que la société Carol Révillon distribution n'avait pas eu de comportement déloyal ou parasitaire ; qu'en raison de l'exercice par les sociétés en cause de leurs activités dans le domaine de l'habillement, le Tribunal a ordonné à la société Carol Révillon distribution de modifier sa dénomination sociale ;

Considérant que les sociétés Révillon ont critiqué cette décision, qu'elles ont reproché aux premiers juges de ne pas avoir constaté la confusion frauduleusement créée par les intimés en utilisant une même dénomination et un même graphisme ; qu'elles ont soutenu également que l'article 2 de la loi du 31 décembre 1964 ne s'appliquait qu'aux personnes physiques et non aux personnes morales ; que la réglementation ordonnée par le Tribunal n'avait pas été demandée par elles, seules titulaires de ce droit selon l'alinéa 2 de l'article 2 de la loi de 1964 ; que le Tribunal avait ainsi statué " ultra petita " et qu'il avait par ailleurs omis de prescrire la moindre mesure à Mademoiselle Carol Révillon personnellement ;

Considérant qu'il conviendra donc d'examiner les marques et dénominations en présence, l'étendue du domaine d'application de l'article 2 de la loi de 1964 et les éventuels actes de déloyauté des intimés ;

A) Sur les marques et dénominations en présence

1° Les sociétés Révillon

Considérant qu'il n'est pas contesté que le nom Révillon est protégé tant à titre de marques nominatives qu'à titre de nom commercial ; que le nom de Révillon jouit d'une extrême notoriété tant en France qu'à l'étranger, notoriété qui remonte à Victor Révillon qui avait acquis la maison Givelet, une des plus importantes maisons de pelleteries de Paris et dont la fondation remontait à 1723 ;que ce nom Révillon désigne aujourd'hui de par sa notoriété et sa renommée internationale, des activités créatives de hautes fourrures, sportswear-fourrures, parfums, prêt à porter, accesoires de luxe et objets signant une élégance mondialement célèbre ; que le " Groupe Révillon " emploie 8 000 personnes ;

2° La société Carol Révillon distribution

Considérant qu'il n'est également pas contesté que Carol Révillon appartient à l'une des branches de la famille Révillon dont les ancêtres se sont spécialisés dans les peaux et fourrures ; que Carol Révillon est une jeune styliste qui s'est spécialisée depuis plusieurs années dans la création de vêtements féminins en prêt à porter, et qu'elle fait partie depuis 1985 d'un groupe de jeunes créateurs ; que, pour faire connaître ses collections, Carol Révillon a fondé une SARL " Carol Révillon distribution " dont le siège est à Chavenay au capital de 50.000 F et dont elle est la gérante ;

B) Le domaine d'application de l'article 2 de la loi de 1964

Considérant qu'il est de principe que toute personne a la liberté d'utiliser son nom patronymique, à titre de signe distinctif dans son activités économique ; qu'elle peut notamment faire de son nom patronyme le nom commercial désignant son entreprise ;

Considérant qu'en l'espèce les sociétés Révillon ont adopté les premières le nom patronymique de Révillon à titre de signe distinctif comme nom commercial puis comme marques ; que bien plus tard la société Carol Révillon Distribution a été constituée par Mademoiselle Carol Révillon ; qu'il existe donc un conflit entre deux homonymes prétendant chacun à l'usage de son nom à titre de signe distinctif ; qu'à cet égard l'article 2 de la loi du 31 décembre 1964 énonce : " le dépôt d'un nom patronymique à titre de marque n'interdit pas à un homonyme de faire usage de son nom " ; qu'ainsi est consacré le droit pour un homonyme en second de faire usage de son nom malgré le dépôt antérieur dudit nom à titre de marque ; que l'usage de ce nom dans l'exercice du commerce doit être personnel et réel ;

Considérant qu'il ne saurait en être autrement lorsque l'homonyme peut exercer son activité dans le cadre d'une société ; qu'une personne doit en effet pouvoir bénéficier des avantages sociaux, fiscaux, et financiers d'une exploitation sous la forme d'une société ;que l'apport par un homonyme de son nom à une société n'est pas illicite en soi; qu'il demeure que cet apport doit être exclusif de toute fraude ; que la fraude est écartée dans la mesure où la personne de la société s'identifie personnellement et réellement avec sa personne physique comme étant une entreprise qu'elle dirige et contrôle;

Considérant qu'en l'espèce Carol Révillon est la gérante de la SARL " Carol Révillon distribution " qu'elle anime et dirige personnellement et activement; qu'ainsi, par les fonctions qu'elle exerce au sein de cette société, elle s'identifie actuellement entièrement à cette société ; qu'il est bien évident qu'une telle situation n'est pas définitive et peut varier en fonction de l'avenir de cette société ;

C) Sur les reproches de confusion

Considérant que ni Carol Révillon ni la société Carol Révillon distribution n'ont entendu engendrer la moindre confusion; qu'elles ont pris toutes les précautions pour éviter tout risque de confusion avec les sociétés Révillon ; qu'en effet Carol Révillon, dès l'origine de son activité de créateur, a fait usage de son patronyme en le complétant de son prénom " Carol " de même dimension, sans privilégier l'un par rapport à l'autre; que de même, dans le nom commercial de la SARL " Carol Révillon distribution " le nom Révillon a les mêmes caractères que les mots Carol et distribution ; que Carol Révillon utilise un graphisme très particulier qui rappelle une signature réalisée en rondes et déliées, alors que la marque Révillon des sociétés Révillon est caractérisée par un R ornemental à l'anglaise ; que l'activité de Carol Révillon et de sa société n'a rien de comparable avec celle des sociétés appelantes ; qu'elle est pour le moment relativement modeste, qu'elle s'exerce exclusivement dans le domaine de la création de prêt à porter et non dans la fourrure, les parfums ou les produits de luxe, et qu'elle ne s'adresse pas à la même clientèle ; que c'est donc à bon droit que les premiers juges ont rejeté le grief de contrefaçon invoqué par les sociétés Révillon ;

D) Sur les autres demandes : actions en concurrence déloyale et atteinte au nom commercial

Considérant que les premiers juges, pour écarter ces demandes ont estimé que les sociétés Révillon n'avaient apporté aucun fait distinct à l'appui de leurs demandes ; que, certes dans un article de presse de journal de mode américain du 14 juillet 1988 il est bien fait état du " nouveau " designer " français Carol Révillon, un membre de la très célèbre famille... " ; que la révélation d'un fait exact, dans un but purement journalistique ne saurait démontrer que les intimés ont entendu tirer profit de la notoriété de ce nom en se plaçant dans le sillage de la maison Révillon, comme l'ont prétendu les sociétés appelantes ; que la décision sera donc confirmée sur ce point ;

E) Sur les mesures de réglementation

Considérant que les sociétés appelantes ont prétendu que le tribunal ne pouvait d'office ordonner une réglementation alors qu'elles n'avaient sollicité qu'une mesure d'interdiction ; qu'il est bien exact que seule la mesure d'interdiction a été réclamée par les sociétés Révillon, conformément à l'alinéa 2 de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1964 ; qu'il appartient aux juridictions sans violer aucune disposition légale, d'ordonner toutes mesures destinées à empêcher dans l'avenir toute confusion si elles n'estiment pas devoir prononcer la sanction extrême de l'interdiction ; qu'ainsi c'est avec raison que la juridiction du premier degré, tout en relevant les différences qui séparaient les parties au litige, a pris en considération un éventuel risque de confusion dans l'esprit de la clientèle et a ordonné des mesures de réglementation parfaitement justifiées ; que ces mesures n'ont pas, à juste titre été prescrites à Mademoiselle Carol Révillon dans la mesure où elle n'exerce son activité commerciale qu'à travers la SARL Carol Révillon distribution et non à titre personnel ;

Considérant que, contrairement à ce qu'ont prétendu les sociétés appelantes dans leurs dernières écritures, la société Carol Révillon distribution a parfaitement exécuté les obligations mises à sa charge par le tribunal ; que cette dernière, ainsi qu'elle en a justifié, a, dans les délais prescrits changé sa dénomination sociale et a adjoint en caractères plus petits les termes " maison fondée en 1985 " ;

F) Sur les dommages-inérêts, les frais irrépétibles et les dépens

Considérant que la demande en dommages-intérêts sollicitée par les intimés pour appel abusif n'est pas justifiée ; qu'en revanche il serait inéquitable de laisser aux intimés la charge des frais non taxables pour leur défense en appel ; que les sociétés Révillon seront, en application de l'article 700 du NCPC condamnées à payer le montant justifié indiqué au dispositif ; que pour les mêmes raisons, les sociétés Révillon seront condamnées aux dépens d'appel ;

Par ces motifs : Confirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 25 novembre 1987, Y ajoutant, Condamne les sociétés Révillon et Révillon luxe au paiement à Carol Révillon et à la SARL Créations Carol Révillon la somme de quinze mille (15.000) francs au titre de l'article 700 du NCPC et aux dépens d'appel, qui seront recouvrés par la SCP d'avoués Bollet Baskal, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.