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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 4 octobre 1990, n° 88-3888

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Arcades Modèles (SA)

Défendeur :

Bagela

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bonnefont

Conseillers :

MM. Gouge, Audouard

Avoués :

SCP Varin Petit, SCP Bernabe

Avocats :

Mes Kam, Momege.

T. com. Paris, 1re ch., du 11 janv. 1988

11 janvier 1988

Les faits

La société Arcades Modèles dont le président est Monsieur Jean José Hercot, exploite une boutique de prêt à porter au 208 rue de Rivoli à Paris sous l'enseigne commerciale " Joan " ;

Madame Monique Bagela, soeur aînée de Monsieur Hercot, est elle-même gérante d'une société exploitant une boutique de prêt à porter sous l'enseigne " Monique B " située au n° 250 également rue de Rivoli.

Monsieur Hercot reproche à sa soeur de se livrer depuis 1981 à des actes de provocation portant atteinte à sa société ; de son côté, Madame Bagela reproche à son frère des moyens déloyaux destinés à détourner sa clientèle ;

C'est dans ces conditions que, par acte du 21 novembre 1986, la société anonyme Arcades Modèles, représentée par son PDG Monsieur Hercot, a fait assigner Monique Bagela et la SARL Monique B en concurrence déloyale, en paiement conjoint et solidaire de la somme de 200 000 F à titre de dommages-intérêts, en publication du jugement dans cinq journaux, en paiement de 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC, le tout avec exécution provisoire ;

Monique Bagela et la SARL Monique B ont invoqué une instance pénale en cours pour solliciter le sursis à statuer et subsidiairement ont conclu au rejet de la demande de la société Arcades Modèles, sa condamnation à 200 000 F pour préjudice commercial, à 50 000 F pour préjudice moral et à 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Le jugement de première instance

Le Tribunal de commerce de Paris, par jugement contradictoire du 11 janvier 1988, a dit n'y avoir lieu à sursis à statuer et a débouté les parties tant de leurs demandes principales que reconventionnelle et a condamné la société Arcades Modèles aux dépens ;

La procédure d'appel

La société Arcades Modèles a relevé appel de cette décision le 8 février 1988 et a saisi la Cour, le 4 mars 1988.

Dans ses écritures d'appel en infirmation de la décision en ce qu'elle l'a déboutée de sa demande en condamnation pour concurrence déloyale, la société Arcades Modèles a repris ses reproches contre la société Monique B et lui a réclamé 200 000 F de dommages et intérêts ; elle a sollicité la publication de la décision dans cinq journaux et le versement de la somme de 15 000 F au titre de l'article 700 du NCPC ;

Madame Bagela et la société Monique B ont reproché à Monsieur Hercot ses agissements déloyaux et des infractions aux règles de la publicité de nature à nuire à leur commerce ; elles ont demandé 500 000 F à titre de dommages et intérêts, une astreinte de 1 000 F par nouvelle infraction constatée et 100 000 F en réparation du préjudice moral et 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Sur ce, LA COUR,

Qui pour un exposé plus ample des faits et de la procédure, s'en remet au jugement de première instance et aux écritures d'appel ;

I. - Sur la demande de la société Arcades Modèles

Considérant qu'à l'appui de sa demande, la société Arcades Modèles a produit :

- des attestations de clientes et de ses vendeuses,

- des photographies montrant Madame Bagela près de la boutique " Joan " prenant des notes,

Que le tribunal, pour débouter la société Arcades Modèles de sa demande, a estimé que les attestations n'étaient pas dénuées de partialité et que les photos étaient insuffisantes ;

Considérant qu'il est bien évident que les attestations des vendeuses et clientes sont parfaitement recevables en raison de la nature commerciale du litige; que ces attestations révèlent pour le moins un climat particulièrement tendu et houleux entre deux concurrents qui, de surcroît sont frère et soeur;

Que pour les prendre en considération, à l'appui d'une demande en concurrence déloyale, et leur donner un caractère irréfutable, ces attestations doivent nécessairement être corroborées par des éléments ou des faits objectifs incontestables;

Qu'en effet, des faits de dénigrement, de désorganisation commerciale, de pratiques anticoncurrentielles doivent être rapportés par des éléments contradictoires, précis, indiscutables ;

Que la société Arcades Modèles a produit des photos ; que ces photos montrent Madame Bagela, prenant des notes devant la vitrine du magasin " Joan " ; que Madame Bagela ne conteste pas sa présence, mais prétend qu'il s'agit de la démarche normale d'un commerçant qui s'informe des prix pratiqués par son concurrent ; que cette démarche fréquente dans le monde commercial ne saurait avoir un caractère répréhensible ;

Que la société Arcades Modèles a fait état d'une note manuscrite qui aurait été " oubliée " par Madame Bagela dans sa boutique ; que sur cette note, non datée, figure la mention manuscrite " celles qui lisent sont c... ", qu'en face des modèles relevés figure la qualification " d'atroce " ou " d'horrible " ;

Que cette note dont l'origine n'est pas contestée, ne rapporte pas la preuve d'un élément de dénigrement du commerce de la société Arcades modèles ; que cette note anonyme et ne mettant personne en cause pourrait s'appliquer à n'importe quel commerce ;

Que la société Arcades Modèles a également révélé que Madame Bagela avait apposé dans la vitrine de son magasin une affiche ainsi libellée : " dans les prix que vous voyez affichés, tout est compris, jupe et veste. Pas de prix cachés chez nous " ; que le texte de cette affiche ne contient aucune allusion à la boutique " Joan " de la société Arcades Modèles et ne saurait constituer un acte de dénigrement ;

Qu'ainsi, parce que les éléments apportés par la société " Arcades Modèles " à l'appui de sa demande en concurrence déloyale, ne reposent que sur des preuves discutables et non contradictoires, l'appel doit être rejeté ;

II. - Sur la demande de Madame Bagela :

Considérant qu'à l'appui de sa demande, comme de son appel incident, Madame Bagela a invoqué essentiellement des manœuvres déloyales consistant pour la société Arcades Modèles à ne pas afficher les prix et à vendre des produits à des prix inférieurs au prix d'achat ;

Considérant que le non affichage des prix, dans la mesure où il est rapporté, est plus une atteinte au droit à l'information du consommateur sur les prix, qu'un acte constitutif de concurrence déloyale ;

Considérant que les seules prohibitions sont celles de la revente au dessous du prix d'achat (article 32 de l'ordonnance du 1er décembre 1986) et qu'elles pourraient, si elles étaient constatées, constituer un acte déloyal ; qu'en l'espèce, le constat du 12 octobre 1988 de Maître Nocquet huissier de justice a constaté le prix de vente de certains articles dans la boutique " Joan " et a transcrit la déclaration de Madame Bagela qui " indiquait que l'article concerné était offert à la vente en dessous du prix d'achat " ; qu'aucune preuve n'est apportée sur la réalité du prix d'achat de cet article permettant ainsi de déterminer la pratique du prix anormalement bas, constitutive d'acte de concurrence déloyale ;

Considérant au surplus, que Madame Bagela n'apporte pas la preuve du préjudice qu'elle aurait subi du fait des agissements de la société concurrente ; que le rapport de gérance du 1er juin 1988 impute le recul du chiffre d'affaires à " la baisse de tourisme étranger " ;

Qu'elle doit donc être déboutée de son appel incident, comme les premiers juges l'avait écartée à bon droit de sa demande reconventionnelle ;

II. Sur les dépens

Considérant que les parties succombent chacune en ce qui la concerne, dans ses prétentions ; qu'il apparaît équitable contrairement à la décision des premiers juges de leur laisser la charge de leurs propres dépens de première instance et d'appel ;

Considérant que compte tenu des circonstances il convient de débouter les parties de leur demande au titre de l'article 700 du NCPC.

Par ces motifs : Confirme le jugement du Tribunal de Commerce du 11 janvier 1988 en ce qu'il a débouté la société Arcades Modèles, Monique Bagela et la société Monique B des fins de leurs demandes, Réformant et ajoutant pour le surplus, Déboute les parties de leurs autres demandes, Dit que chaque partie supportera la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel.