CA Reims, ch. civ. sect. 1, 25 juin 1990, n° 111-89
REIMS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Campanile (SA)
Défendeur :
Leducq
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Minini
Conseillers :
MM. Bouillon, Garcin
Avoués :
SCP Genet-Braibant, SCP Thomale Runigo
Avocats :
Mes Jactat, Greffe.
La Cour,
La Société Campanile, propriétaire des marques " Hôtel Gril Campanile " et " Campanile " dont l'objet social est entre autres " la commercialisation sous toutes ses formes de tous produits hôteliers et parahôteliers " a assigné le 15 décembre 1987 Didier Leducq, viticulteur et déposant de la marque " Le Campanile " pour les vins de provenance française à savoir champagne, en contrefaçon, concurrence parasitaire et atteinte à la dénomination sociale et au nom commercial, demandant radiation de la marque et condamnation de Didier Leducq à lui payer la somme de 500 000 F à titre de l'article 700 du NCPC outre 30 000 F au titre de l'article 700 du NCPC avec publication de la décision dans cinq journaux.
Didier Leducq a demandé reconventionnellement 10 000 F de dommages-intérêts pour procédure abusive et 5 000 F en vertu de l'article 700 du NCPC.
Par jugement rendu le 2 novembre 1988, auquel la Cour se réfère pour plus ample exposé des faits et des moyens des parties, le Tribunal de Grande Instance de Troyes a débouté la Société Campanile de sa demande de radiation de marque et condamné Didier Leducq à lui payer la somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts pour concurrence parasitaire, les dépens étant partagés par moitié et le surplus des prétentions des parties étant rejeté.
La Société Campanile a relevé appel de cette décision par déclaration du 9 décembre 1988, elle conclut en demandant de :
- infirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné Monsieur Leducq au titre de la concurrence parasitaire ;
- dire et juger que la marque " Le Campanile " déposée par Monsieur Didier Leducq le 7 mars 1986 constitue la contrefaçon des marques de la Société Campanile enregistrées sous les numéros 1 320 736 et 1 331 014 ainsi que l'usurpation de la dénomination sociale et du nom commercial de la Société Campanile ;
- ordonner la radiation de la marque " Le Campanile " déposée le 7 mars 1996 par Monsieur Leducq ;
- dire et juger que Monsieur Leducq devra procéder à ladite radiation dans le délai d'un mois à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir et qu'à défaut de ce faire, la Société Campanile pourra procédure à ladite radiation ;
- condamner Monsieur Didier Leducq à payer à la Société Campanile une somme de 500 000 F à titre de dommages et intérêts ;
- ordonner la publication du jugement à intervenir dans cinq journaux ou revues au choix de la Société Campanile et aux frais de Monsieur Leducq, sans que le coût de chaque insertion puisse excéder la somme de 15 000 F ;
- condamner Monsieur Leducq à payer à la Société Campanile une indemnité de 30 000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;
- condamner Monsieur Leducq aux entiers dépens.
Elle fait valoir que si ses marques ne désignent pas les boissons, elles doivent néanmoins être protégées pour des objets similaires à ceux mentionnés aux dépôts, à savoir services d'hôtellerie et produits alimentaires, la similarité s'entendant d'une possibilité d'attribution à une même origine par les acheteurs et devant être appréciée de façon extensive lorsque la marque est notoire.
Elle critique le jugement entrepris en ce qu'il a retenu que ses marques n'avaient pas de notoriété dans le domaine des produits alimentaires, perdant de vue qu'elles visent aussi les services de restauration, lesquels impliquent la fourniture de boissons, le consommateur pouvant croire que le Champagne Campanile est fabriqué ou commercialisé par la Société Campanile, et en ce qu'il a omis de statuer sur l'usurpation de dénomination sociale et de nom commercial, alléguant qu'elle commercialise elle-même des vins.
Sur la concurrence parasitaire, elle soutient que Didier Leducq a voulu tirer parti de son exploitation antérieur et de sa notoriété.
Didier Leducq conclut en demandant de :
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la Société Campanile de son action en contrefaçon de marque, en l'absence de similitude entre les produits et services commercialisés respectivement par les parties litigantes, et en l'absence de renommée notoire des marques de la Société Campanile à l'époque du dépôt de celle du concluant ;
- dire et juger pour les mêmes raisons et notamment pour absence de notoriété, qu'il n'y a eu de sa part aucune usurpation de dénomination sociale ou de nom commercial préexistant au dépôt de sa propre marque ;
- le recevoir en son appel incident et y faisant droit,
- infirmer le jugement entrepris dans la mesure utile, et notamment en ce qu'il l'a condamné au paiement d'une somme de 10 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation d'une prétendue concurrence parasitaire ;
Statuant à nouveau de ce chef,
- constater l'inexistence de toute intention chez Monsieur Leducq de profiter du prétendu renom de la Société Campanile, lequel n'avait aucune notoriété locale lors des faits litigieux ;
- constater l'inexistence et en tout cas l'absence de preuve d'un quelconque préjudice qu'aurait subi la Société Campanile en raison de la " concurrence parasitaire " alléguée ;
- débouter en conséquence celle-ci de toutes ses demandes tant principales qu'accessoires ;
- condamner la Société Campanile au paiement de la somme de 8 000 F en vertu de l'article 700 du NCPC ;
- condamner la Société Campanile aux entiers dépens.
Il relève que la société appelante ne rapporte aucune preuve d'une similarité de ses services ou de ses produits avec le champagne portant sa marque et conteste la notoriété de celles de l'appelante, enregistrées en 1975 et 1976, sa capacité hôtelière n'étant au jour de l'assignation que de 3 % du parc hôtelier français en catégorie deux étoiles, dont seulement deux hôtels dans les départements de l'Aube et de la Marne.
Sur l'usurpation, il allègue également l'absence de notoriété de la marque, surtout au plan local et sur la concurrence parasitaire, conteste qu'il ait voulu tirer profit du prétendu renom de la Société Campanile, alors qu'il ne s'est jamais adressé aux clients de cette Société, mais à ses propres exploitants, lesquels ont profité de l'avantage qui leur était proposé, aucun préjudice n'étant dès lors constitué.
La Société Campanile répond en faisant état, pour justifier de sa notoriété, de la centaine d'hôtels qu'elle exploite en France, du nombre des nuitées et repas servis en 1984, soit 950 000 et 2 000 000 ainsi que de l'abondance des articles de presse consacrés à son activité.
Elle soutient que la bonne foi alléguée est inopérante en matière d'usurpation de marque et que la protection de la dénomination sociale ne dépend pas de la notoriété et sur la concurrence parasitaire, que Didier Leducq a cherché une diffusion de masse de son produit en jouant de la notoriété de la marque Campanile.
Didier Leducq réplique en demandant de :
- constater que la Société Campanile, par ses établissements secondaires lui ayant passé commande, s'est elle-même fait l'agent de la prétendue confusion qu'elle invoque au soutien de son action en contrefaçon de marque ;
- dire et juger également qu'il ne peut y avoir parasitisme dans de telles conditions ;
- dire et juger qu'il n'y a ni concurrence, ni caractère illicite à l'activité du concluant, dès lors que la Société Campanile a elle-même commandé pour le revendre à ses clients le champagne commercialisé sous la marque Le Campanile ;
- déclarer la Société Campanile irrecevable en son action diligentée contre Monsieur Leducq, tant sur le fondement de la contrefaçon de marque que sur celui de la concurrence parasitaire ;
- subsidiairement, et pour notamment l'absence de similitude, de notoriété et de justification d'un quelconque préjudice indemnisable, débouter la Société Campanile de toutes ses prétentions, fins et conclusions.
Motifs de la décision
- Sur la contrefaçon :
Attendu que le Tribunal l'a rejetée pour des motifs pertinents que la Cour adopte, le jugement déféré n'ayant aucunement " perdu de vue " que les marques visaient les services de restauration, ni que ceux-ci impliquaient des fournitures de boissons ;
Que le Tribunal a, en effet, estimé à juste titre que la notoriété réelle de la Société Campanile ne concernait que son activité d'hôtellerie restauration et non la vente de produits, laquelle effectuée dans des boutiques internes à ses hôtels, ne constituait pas " un élément remarquable porté à la connaissance du grand public " en l'absence de tout réseau extérieur de distribution ;
Attendu qu'il y a lieu d'ajouter qu'en s'abstenant en ses dépôts de marque de toute mention de boissons, la Société appelante a exclu elle-même toute possibilité de similarité entre ce type de produits et ceux, notamment d'ordre alimentaire, qu'elle entendait voir protéger et qu'elle désignait expressément ;
Que son activité de restauration, même si elle implique la fourniture de boissons et occasionnellement de champagne ne saurait lui permettre d'interdire que celles-ci portent une marque identique à la sienne dans la mesure où cette identité n'est pas susceptible d'entraîner une confusion dans l'esprit de sa clientèle ;
Qu'à cet égard, elle est mal fondée à prétendre que les consommateurs de champagne " Le Campanile " puissent supposer que les établissements " Hôtel Grill Campanile " ou " Campanile " en soient le producteur, le domaine d'activité de l'hôtellerie restauration n'ayant rien de commun avec celui de la viticulture ou de la commercialisation de ses produits ;
- Sur l'usurpation de nom commercial et de dénomination sociale :
Attendu que la Société Campanile ne caractérise pas le fondement de son action, semblant faire de l'usurpation alléguée un élément constitutif de la contrefaçon ;
Attendu que si Didier Leducq ne peut sérieusement alléguer l'absence de notoriété de la marque, même au plan local, la notoriété dont pouvait se prévaloir la Société Campanile en 1986 ne revêtait pas un caractère exceptionnel justifiant une extension de la protection normalement accordée;
Attendu que cette protection ne peut être acquise que pour une activité identique ou au moins similaire, de nature à entraîner une confusion ou à porter atteinte à la sécurité des relations commerciales;
Que les motifs retenus pour le rejet de l'action en contrefaçon trouvent en conséquence le même emploi pour déclarer non fondée la demande appuyée sur une usurpation prétendue ;
Attendu qu'il convient, en outre, de relever qu'aucun fait fautif n'est établi, Didier Leducq ne pouvant se voir reprocher, après avoir fait effectuer une recherche d'antériorité, d'avoir utilisé le Campanile existant sur sa maison pour créer la marque de ses produits et lui donner une image, sans imitation graphique de la marque préexistante, alors que preuve n'est pas rapportée qu'il ait pu chercher à profiter d'une notoriété établie ni qu'une confusion ait été rendue possible dans l'esprit du public, la Société Campanile ne commercialisant du vin que dans des boutiques intérieures à ses établissements hôteliers et sans usage de sa marque, l'utilisation d'une cuvée de Beaujolais à des fins de célébration anniversaire ne constituant pas une telle commercialisation;
- Sur la concurrence parasitaire et sur l'appel incident :
Attendu que les faits allégués et retenus par le Tribunal sont constitués par le démarchage des établissements de la chaine d'hôtels Campanile ;
Qu'il ne saurait lui être reproché d'avoir voulu tirer profit de la notoriété de cette marque auprès de la clientèle, alors qu'il s'adressait non pas à celle-ci, mais aux exploitants de la marque, pensant qu'une commercialisation en leurs établissements pouvait présenter un intérêt réciproque, lequel s'est effectivement manifesté par plusieurs commandes ;
Qu'aucun acte de concurrence ne peut être retenu dans ces conditions, contrairement à l'appréciation du Tribunal dont le jugement, sur ce point, sera infirmé, Didier Leducq étant déclaré bien fondé en son appel incident ;
Et attendu qu'aucune considération d'équité ne justifie l'allocation pour frais irrépétibles ;
Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement ; Reçoit la Société Campanile et Didier Leducq en leurs appels principal et incident ; Y déclare mal fondée la Société Campanile, bien fondé Didier Leducq ; Confirme le jugement du Tribunal de Grande instance de Troyes en date du 2 novembre 1988 en ce qu'il a déclaré la Société Campanile mal fondée en sa demande visant à voir déclarer non valable la marque " Le Campanile " déposée le 7 mars 1986 sous le n° 6360 et l'a déboutée de sa demande de radiation ; Y ajoutant, Déclare ladite Société mal fondée en sa demande de dommages-intérêts pour contrefaçon, usurpation de nom commercial et dénomination sociale ; L'en déboute ainsi que de ses demandes de publication ; L'infirmant pour le surplus et statuant à nouveau ; Déboute la Société Campanile de sa demande de dommages-intérêts pour concurrence parasitaire ; Rejette toute autre demande ; Condamne la Société Campanile aux entiers dépens, autorise pour ceux d'appel la SCP Thomale Runigo, Avoué, à recouvrer ceux d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.