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Décisions

CA Lyon, 1re et 2e ch. réunies, 25 juin 1990, n° 2779-89

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Établissements Goguet (SA), Société d'importation pétrolière Edouard Leclerc, Société coopérative Groupement d'achats des centres Leclerc

Défendeur :

Parfums Rochas (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Karsenty

Conseillers :

Mme Bailly Maître, M. Missol Legoux

Avoués :

Mes Brondel, Trudela, Junillon, Wicky

Avocats :

Mes Jousset, Buisson.

CA Lyon n° 2779-89

25 juin 1990

EXPOSÉ DU LITIGE :

La société anonyme Etablissements Goguet, qui exploite, avenue Victor Hugo à Valence (Drôme), un magasin de vente de vêtements et d'articles de sport portant l'enseigne " Centre distributeur E. Leclerc ", a créé, au début de l'année 1984, un rayon parfumerie destiné à distribuer des produits de grandes marques.

Par jugement du 20 février 1985, le Tribunal de commerce de Romans, à la suite de l'assignation délivrée le 11 mai 1989 par la société anonyme Parfums Rochas contre la société Goguet, la société GALEC (société coopérative Groupements d'achats des centres Leclerc) et la société SIPLEC (société d'importation pétrolière Leclerc), a statué dans les termes suivants :

" Condamne la société JL Goguet à payer à la société Parfums Rochas : cinquante mille francs (50 000 F) de dommages-intérêts en indemnisation du préjudice causé à celle-ci par les ventes de ces produits en dehors du circuit commercial de ses revendeurs agréés.

Fait interdiction à la société Goguet de mettre en vente des produits de la société Parfums Rochas jusqu'à ce qu'elle ait obtenu l'agrément de cette société ce sous peine d'une astreinte de mille francs (1 000 F) par infraction constatée.

Ordonne la mise sous séquestre de tous les produits des marques de la société Parfums Rochas détenus par la société Goguet et commet pour appréhender et conserver en qualité de séquestre ces produits Maître Philibert huissier à Valence.

Ordonne la publication du dispositif du présent jugement dans deux journaux du choix de la demanderesse sans que le coût de cette publicité ne dépasse quinze mille francs (15 000 F).

Ordonne à titre de mesure d'instruction la production de tous documents commerciaux relatifs aux achats ou approvisionnement de la société Goguet en produits Parfums Rochas et commet pour requérir cette production et examiner ces documents Maître Philibert huissier à Valence qui aura mission de relever les noms et adresses des fournisseurs de ces produits, les dates et détails de chaque commande et livraison et disons que la société Goguet devra fournir ces documents sous astreinte de mille francs (1 000 F) par jour de retard à compter du troisième jour suivant la signification du présent jugement.

Condamne la société Goguet à payer à la société Parfums Rochas une indemnisation de quinze mille francs (15 000 F) en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Met les sociétés SIPLEC et GALEC hors de cause en l'état et sous réserve de tous faits nouveaux pouvant les impliquer dans le litige entre la société Parfums Rochas et la société Goguet.

Condamne la société Goguet à payer les entiers dépens de l'instance. "

Sur l'appel interjeté par la société Goguet, la Cour d'appel de Grenoble, par arrêt du 12 mai 1987, a statué en ces termes :

" Dit recevable mais mal fondé l'appel principal interjeté par la société Goguet à l'encontre du jugement rendu le 20 février 1985 par le Tribunal de commerce de Romans.

Confirme la décision attaquée en ce qu'elle a retenu la responsabilité de la société Goguet dans l'opération de vente illicite des parfums " Marcel Rochas " conduite à Valence au cours de l'année 1984, a fait interdiction sous astreinte à la société Goguet de mettre en vente les produits de cette marque sans agrément de la société " Rochas ", a ordonné la mise sous séquestre des produits de la même marque encore détenus par la société Goguet, a ordonné la publication du dispositif du jugement dans deux journaux au choix de la société Rochas sans que le coût de cette publication dépasse quinze mille francs (15 000 F) sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile en sus des dépens.

L'infirme pour le surplus sur l'appel principal et incident de la société Rochas.

Condamne les sociétés Goguet, SIPLEC et GALEC in solidum à payer à la société Rochas la somme de cent mille francs (100 000 F) à titre de dommages-intérêts.

Dit les sociétés SIPLEC et GALEC tenues in solidum des autres condamnations pécuniaires prononcées à l'encontre de la société Goguet par le jugement attaqué expressément confirmé de ce chef comme précisé ci-dessus.

Dit que dans la publication ordonnée par le tribunal, le dispositif du présent arrêt sera substitué à celui du jugement.

Condamne les société Goguet, SIPLEC et GALEC in solidum aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Perret et Pougnaud, avoués, conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile et au paiement envers la société Rochas de la somme de dix mille francs (10 000 F) par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. "

Statuant sur le pourvoi formé par la société Goguet, la Cour de cassation, par arrêt du 13 décembre 1988, a cassé et annulé dans toutes ses dispositions l'arrêt de la Cour d'appel de Grenoble et a renvoyé les parties devant cette Cour.

La Cour de cassation a considéré que, en énonçant que la société Goguet ne rapportait pas la preuve de l'illicéité du réseau de distribution de la société Parfums Rochas et en se bornant à rappeler en partie les critères généraux posés par la jurisprudence pour que soit admise cette licéité, la Cour de Grenoble n'avait pas donné de base légale à sa décision dès lors que la société Parfums Rochas avait la charge de la preuve de la réalisation des conditions qu'implique la licéité du réseau de distribution sélective et que, compte tenu des actions concomitantes de plusieurs parfumeurs, il était nécessaire de rechercher si les contrats de cette société, appréciés dans leur ensemble, tout d'abord au regard du réseau et ensuite au regard des différents parfumeurs cités, remplissaient les conditions mises à cette licéité, indispensable pour démontrer les fautes de la société Goguet.

La Cour de cassation a encore estimé que, en énonçant que le réseau de distribution sélective était opposable à la société Goguet et que celle-ci avait commis des agissements déloyaux par les ventes sans être distributeur agréé, la Cour de Grenoble avait violé par fausse application l'article 1382 du code civil, le seul fait d'avoir commercialisé les produits ne constituant pas un acte de concurrence déloyale dès lors que l'irrégularité n'était pas établie.

La société Goguet, appelante, conclut à l'infirmation du jugement et réclame 20 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Elle soutient que :

- la société Parfums Rochas ne rapporte pas la preuve de la licéité du réseau de distribution sélective dont elle se prévaut ;

- à supposer établie cette licéité, les conventions entre la société Parfums Rochas et ses distributeurs agréés ne sont pas opposables à la société Goguet dont la responsabilité ne pourrait être recherchée que sur le terrain délictuel à la condition que soit faite la démonstration d'un comportement déloyal ayant consisté à aider sciemment un des cocontractants de la société Rochas à enfreindre ses obligations, ce dont il résulterait la preuve, aucunement rapportée en l'espèce, d'un approvisionnement illicite.

La société Parfums Rochas, intimée et appelante incidente, prie la Cour de :

" - Déclarer Goguet mal fondée en son appel et l'en débouter ;

- Déclarer Rochas bien fondé en son appel principal à l'encontre de GALEC et SIPLEC.

- Dire que Goguet, GALEC et SIPLEC se sont rendues coupables d'agissements quasi délictueux constitutifs de concurrence déloyale et relevant en tout état de cause de l'article 1382 du code civil, ainsi que de publicité mensongère en ce qui concerne Goguet et les condamner in solidum à payer à Rochas la somme de 250 000 F à titre de dommages-intérêts.

- Confirmer l'interdiction faite à Goguet d'importer en France et/ou de faire le négoce de produits Rochas et ce, sous astreinte de 1 000 F par flacon importé ou offert à la vente et prononcer, sous la même astreinte, la même interdiction à l'encontre de GALEC et SIPLEC.

- Ordonner la publication du dispositif de l'arrêt à intervenir dans trois journaux périodiques d'audience nationale et trois journaux périodiques d'audience régionale à Valence au choix de la société Parfums Rochas et aux frais de Goguet, SIPLEC et GALEC qui supporteront in solidum le coût de ces publications dans les limites de la somme de 90 000 F hors taxes au total.

- Condamner in solidum Goguet, GALEC et SIPLEC à payer à Rochas au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, la somme de 20 000 F pour les frais irrépétibles engagés par elle en première instance et en appel.

- Condamner en tous les dépens de première instance et d'appel (tant devant la Cour de Grenoble que devant celle de Lyon) Goguet, GALEC et SIPLEC, lesquels pourront être recouvrés par la SCP Junillon et Wicky conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile pour ceux la concernant. "

Elle fait valoir que :

- elle est en mesure d'établir la licéité de son réseau de distribution sélective tant au regard du droit interne français que du droit communautaire ; les obligations réciproques stipulées avec ses distributeurs agréés n'ont d'autre finalité que la valorisation de la marque et la fourniture d'un meilleur service au consommateur ; la liberté des distributeurs de fixer les prix de vente est entière ; les distributeurs sont choisis en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif et sans limitations quantitatives injustifiées ; dans le secteur de la parfumerie de luxe, la concurrence est intense qui oppose un grand nombre d'entreprises dont aucune ne détient une part très forte du marché ;

- la société Goguet s'est approvisionnée de façon illicite en produits Rochas ; au nom de la société GALEC, des annonces ont été publiées dans les journaux étrangers pour offrir l'achat de marchandises, procédé contraire à tous les usages commerciaux et qui avait pour objet d'inciter ouvertement à violer le réseau ; la société SIPLEC a fourni la société Goguet par l'intermédiaire de deux " sociétés coquilles ", la société Becklodge Limited dont le siège est à Londres et la société Continental dont le siège est à Panama ;

- le seul fait qu'un réseau de distribution sélective soit reconnu licite implique qu'il constitue une réalité opposable aux tiers ; dès lors, le distributeur non agréé est nécessairement le tiers complice de la faute du distributeur agréé qui a enfreint les obligations du contrat de distribution sélective ; battre ainsi en brèche ce réseau est de nature à constituer un acte de désorganisation caractéristique de concurrence déloyale ;

- en mettant en vente des produits Rochas dont l'emballage portait la mention " vente exclusive par les distributeurs agréés de Rochas, Paris ", la société Goguet a commis un acte de publicité mensongère.

La société Goguet réplique que :

- les offres d'achat parues dans la presse étrangère ne mentionnent pas la marque Rochas ;

- il n'est pas prouvé que la société Becklodge Limited ait importé des produits Rochas ;

- il n'est pas démontré que les emballages portaient la mention " vente exclusive par des distributeurs agréés de Rochas Paris " et, serait-ce le cas, il n'est établi ni que le consommateur ait pu prendre connaissance de cette mention ni qu'elle ait été un facteur déterminant dans sa démarche.

A cela, la société Rochas rétorque que :

- les offres d'achat ne sont pas limitatives dans l'énumération des marques ;

- comme l'attestent des factures, la société Becklodge Limited a approvisionné les sociétés GALEC et SIPLEC en produits Rochas.

Quant à la société SIPLEC et à la société GALEC, elles soutiennent que leur participation à l'approvisionnement en produits Rochas n'est pas démontrée et concluent à la confirmation du jugement les ayant mises hors de cause.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la licéité des contrats de distribution sélective :

Attendu qu'il incombe à la société Rochas, qui invoque une dérogation au principe de la libre concurrence, de rapporter la preuve de la licéité de son réseau de distribution sélective au regard des dispositions des articles 50 et 51 de l'ordonnance du 30 juin 1945 et 85 du traité de Rome ;

Attendu que l'analyse des pièces contractuelles produites, contrat de distributeur agréé et conditions générales de vente, montre que le contenu des obligations réciproques procède du souci de valoriser la marque et d'assurer un meilleur service au consommateur :

- à la charge du distributeur : obligation de procéder à la vente exclusivement à l'adresse du magasin agréé, interdiction d'y mettre en vente des marchandises susceptibles de déprécier l'image de marque Rochas, obligation de disposer d'un service de conseil et de démonstration suffisant, engagement de ne vendre les parfums Rochas qu'au détail et à des consommateurs directs (sauf incidence de l'exception CEE qui, au travers des frontières, prévoit la possibilité de cession entre distributeurs agréés de la marque), obligation de détenir à tout moment un stock outil correspondant à des critères précis et suffisamment représentatif de chaque gamme de produits (2/3 des références effectivement commercialisées dans chaque gamme), engagement de présenter des produits toujours en parfait état de fraîcheur (les produits défraîchis, périmés ou altérés devant être soit détruits, soit repris par Rochas), obligation d'assurer une rotation des stocks selon des critères précis, engagement de détenir les nouveautés mises sur le marché par Rochas ;

- à la charge de la société Rochas : mise à disposition de tout le matériel et de l'assistance publicitaire sur le lieu de vente (factices, testeurs, échantillons, présentoirs, concours ponctuel d'étalagistes et de démonstratrices Rochas, etc...), engagement de ne livrer que les distributeurs agréés remplissant les conditions requises et de retirer la marque des points de vente qui ne rempliraient plus ces conditions ;

Attendu que l'analyse des mêmes pièces ne révèle aucune stipulation de nature à limiter la liberté des distributeurs de fixer leur prix de revente ; que la société Rochas verse même aux débats des contrats de distribution agréée conclus avec des commerçants connus comme " discounters " pratiquant des remises importantes ;

Attendu que les distributeurs agréés sont choisis en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif : qualification professionnelle du distributeur, aspect extérieur du point de vente, service de conseil et de démonstration, aménagement du magasin ;

Attendu que les critères de limitation quantitative du nombre d'ouvertures de points de vente se justifient tant pour des raisons économiques, tel le potentiel des ventes, que par l'intérêt du consommateur, ces deux aspects étant appréciés dans la zone de chalandise concernée ; que cette sélection quantitative a pour objet d'éviter un éparpillement des points de vente tant en raison du coût élevé de la publicité sur le lieu de vente que pour contrôler, dans l'intérêt du consommateur, la qualité de la distribution ; qu'à ce sujet, la société Rochas verse aux débats tous éléments d'information sur l'état de sa distribution dans le département de la Drôme à l'époque des faits incriminés et en 1990 ; en 1984, le réseau comprenait sept distributeurs pour neuf points de vente alors qu'aujourd'hui il compte huit distributeurs pour onze points de vente ; que la société Rochas fournit aussi la preuve d'une liste d'attente chronologique tenue au niveau de chaque département de façon à éviter toute discrimination injustifiée dans le choix des candidats distributeurs ;

Attendu, par ailleurs, que les renseignements fournis par la société Rochas révèlent que le marché européen de la parfumerie de luxe est soumis à une vive concurrence entre marques qui existent en grand nombre et dont aucune n'a pu s'assurer une part prépondérante du marché ; qu'en 1980, les cinq premières marques de parfumeries réalisaient le tiers des ventes, les neufs premières plus de la moitié et les vingt premières plus des trois quarts ; que, de plus, la comparaison dans le temps du classement des entreprises selon les parts de marché indique une assez grande mobilité, laquelle est le reflet des efforts entrepris par chaque marque pour développer son image et de la vivacité sur ce plan de la concurrence entre les fabricants ;

Attendu, enfin, que la société Rochas verse aux débats la lettre du 26 mars 1976 que lui a adressée la Commission des Communautés Européennes et qu'il importe de reproduire in extenso :

" La SA Parfums Marcel Rochas a organisé en France et dans les autres pays de la CEE un réseau de distribution sélective caractérisé par la présence d'un nombre limité de détaillants agréés.

Cette organisation de vente repose sur le contrat type de concession exclusive conclu par Rochas avec ses agents généraux dans les divers pays de la CEE et sur les contrats de distribution uniformes conclus par ces derniers et par Rochas avec leurs détaillants agréés dans leur territoire respectif.

Le contrat type de concession exclusive de vente ainsi que les contrats de distribution uniformes contenaient des dispositions considérées par la Commission comme incompatibles avec l'article 85 du traité de Rome. Il s'agissait en particulier des dispositions visant à empêcher les détaillants agréés de revendre et d'acheter les produits Rochas à des agents généraux ou à des détaillants agréés des autres pays de la CEE, ainsi que de l'obligation qui leur était faite de respecter les prix imposés, même pour les produits Rochas qu'ils réimportaient ou réexportaient dans le marché commun. C'est pourquoi des griefs ont été communiqués à votre société le 24 juillet 1972 en application de l'article 19 paragraphe 1 du règlement n° 17. A la suite de cette communication, votre société a modifié les contrats qui concrétisent son organisation de vente dans la CEE de telle manière que les détaillants agréés sont désormais libres de revendre et d'acheter les produits Rochas à n'importe quel agent général ou détaillant agréé établi dans la CEE ainsi que de fixer leurs prix de vente lorsqu'il s'agit de produits réimportés ou réexportés en provenance ou à destination des autres pays du marché commun.

J'ai l'honneur de vous informer que, dans ces conditions, étant donné la faible part que votre société détient dans chacun des pays de la CEE sur le marché des produits de parfumerie, de beauté et de toilette et la présence sur ce marché d'un nombre assez élevé d'entreprises concurrentes d'importance comparable, la Commission estime qu'il n'y a plus lieu pour elle, d'intervenir à l'égard des contrats précités en vertu des dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité de Rome. Cette affaire peut, dès lors, être classée.

J'attire toutefois votre attention sur le fait que la Commission veillera attentivement à ce que l'admission de détaillants qualifiés dans votre réseau de distribution sélective ou leur exclusion de celui-ci ne se fasse pas de manière arbitraire et ne constitue pas un moyen détourné de faire échec à la liberté d'échanges entre distributeurs agréés. "

Attendu qu'il découle de tout ce qui précède que la société Rochas rapporte la preuve de la licéité de son réseau de distribution sélective ;

Sur les agissements de concurrence déloyale reprochés à la société Goguet, à la société GALEC et à la société SIPLEC :

Attendu que si, conformément à l'article 1165 du code civil, les conventions entre la société Rochas ne sont pas opposables à la société Goguet, il demeure que le réseau de distribution sélective, reconnu licite, ne doit pas être battu en brèche pas des procédés fautifs ;

Attendu qu'il incombe à la société Rochas de rapporter la preuve des agissements déloyaux qu'elle invoque et notamment du caractère irrégulier de l'acquisition des produits commercialisés ;

Attendu qu'il est versé aux débats trois annonces par voie de presse publiées en janvier et février 1984 dans le quotidien italien Corriere Della Serra, dans l'International Herald Tribune et dans un journal hollandais proposant, à la demande de la société GALEC qui se présente comme le premier groupe français de distribution, d'acquérir des produits de parfumerie de grandes marques ;

Que si le nom de Rochas ne figure pas parmi les treize marques citées, l'offre concerne néanmoins les produits de ce fabricant puisque les noms mentionnés ne le sont qu'à titre indicatif comme en témoigne l'emploi de trois points après le nom de la treizième et dernière marque citée, Jacques Fath ;

Qu'un tel procédé, contraire à tous les usages commerciaux, avait pour objet délibéré d'inciter les distributeurs agréés, auxquels s'adressaient nécessairement les offres d'achat, à violer leurs obligations contractuelles ;

Attendu que les offres émanent de la société GALEC (société coopérative de groupement d'achats des centres Leclerc) et que la société Rochas verse aux débats des factures, concernant des produits de sa marque, émises le 30 janvier 1984 et le 6 février 1984 par la société Becklodge Limited et le 31 mai 1984 par la société Continental au nom de la société SIPLEC (société d'importation pétrolière Leclerc) ; qu'elle produit encore un procès verbal d'audition de M. Jean-Louis Goguet, président directeur général de la société Goguet, qui, entendu par un juge d'instruction le 11 septembre 1985, en qualité de partie civile à la suite de sa plainte pour délit de refus de vente, a déclaré : " Les parfums qu'il a reproché à ma société d'avoir vendu avant d'avoir obtenu un contrat de distribution ont été achetés directement par ma société en Italie ou par l'intermédiaire de la société d'importation SIPLEC dont je vous ferai parvenir les factures " ;

Attendu qu'il est ainsi établi que les produits Rochas commercialisés par la société Goguet, dans son magasin portant l'enseigne " centre distributeur E. Leclerc ", ont été fournis par la société SIPLEC qui les a acquis des sociétés Becklodge Limited et Continental ;

Que des indications figurant sur les factures, il apparaît que la société Becklodge Limited a son siège à Londres mais que son adresse n'est suivie ni d'un numéro de téléphone, ni d'un numéro de télex, et que la société Continental a son siège dans l'état de Panama mais qu'il n'est même pas mentionné une adresse dans ce pays ;

Qu'au reste, les sociétés Goguet, GALEC et SIPLEC ne contredisent pas la société Rochas lorsqu'elle qualifie les deux sociétés étrangères de " sociétés coquilles ", sans réalité économique, créées artificiellement pour masquer l'identité du véritable fournisseur des produits ;

Attendu que le procédé utilisé par la société GALEC pour la recherche des marchandises et les précautions prises par la société SIPLEC pour les acquérir impliquent que l'approvisionnement de la société Goguet s'est fait en violation du réseau de distribution sélective de la société Rochas dont un ou plusieurs revendeurs agréés ont enfreint leurs obligations contractuelles ;

Qu'il s'ensuit que des agissements de concurrence déloyale sont imputables tant à la société Goguet qu'aux société GALEC et SIPLEC ;

Attendu que la société Rochas voit aussi un acte de concurrence déloyale, à la charge de la seule société Goguet, dans le fait d'avoir mis en vente des produits dont le conditionnement portait la mention " vente exclusive par les distributeurs agréées Rochas Paris " ;

Que l'existence de cette mention n'est pas discutable puisqu'elle résulte du constat dressé par Maître Philibert, huissier, le 29 février 1984 ;

Que tout client était en mesure d'en prendre connaissance en examinant la marchandise proposée ;

Que, s'il est vrai que la motivation première d'un client en quête d'un produit Rochas dans un magasin à l'enseigne Leclerc est la recherche d'un prix avantageux, il reste que la mention usurpée par la société Goguet est de nature à favoriser la vente en rassurant entièrement sur l'authenticité et la fraîcheur de la marchandise ;

Attendu, ainsi, que d'autres agissements déloyaux doivent être retenus à la charge de la société Goguet ;

Sur les demandes de la société Parfums Rochas :

Attendu que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a, expressément ou implicitement, admis la licéité du réseau de distribution sélective de la société Rochas et retenu l'existence d'actes de concurrence déloyale commis par la société Goguet ;

Attendu qu'il sera fait droit à l'appel incident de la société Rochas tendant à la reconnaissance de la responsabilité des sociétés GALEC et SIPLEC qui seront condamnées in solidum avec la société Goguet au paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice lié à l'acquisition irrégulière ;

Que l'importance et la durée des agissements frauduleux de concurrence déloyale établis à l'encontre des trois sociétés permettent d'évaluer à 100 000 F le montant des dommages-intérêts ;

Attendu que, faute d'avoir formé une demande distincte d'indemnisation, dirigée contre la société Goguet, pour les faits de concurrence déloyale résultant de l'indication usurpée de vente exclusive par distributeur agréé, la société Rochas ne peut prétendre à dommages-intérêts de ce chef ;

Attendu qu'il sera fait interdiction à la société Goguet de mettre en vente des produits Rochas portant une mention de vente exclusive par distributeur agréé et cela sous astreinte comminatoire de 1 000 F par infraction constatée ;

Que ne peut être édictée l'interdiction de toute importation ou de toute mise en vente, appliquée à des produits autres que ceux proposés à la clientèle en 1984, que dans la mesure où serait établie l'acquisition irrégulière de la marchandise ;

Attendu qu'il y a lieu d'ordonner la publication du dispositif du présent arrêt dans deux journaux au choix de la société Rochas, aux frais des sociétés Goguet, GALEC et SIPLEC, sans que le coût de cette publication puisse excéder 20 000 F hors taxe ;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser supporter à la société Rochas l'intégralité des frais non compris dans les dépens qu'elle a dû exposer en première instance et en cause d'appel ; que les sociétés Goguet, GALEC et SIPLEC seront condamnées in solidum à lui payer 158 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Attendu que les société Goguet, GALEC et SIPLEC, qui succombent, auront la charge des dépens de première instance et d'appel exposés tant devant cette Cour que devant celle de Grenoble ;

Par ces motifs : Confirme le jugement en ce qu'il a admis la licéité du réseau de distribution sélective de la société Parfums Rochas et en ce qu'il a retenu l'existence d'actes de concurrence déloyale commis par la société Etablissements Goguet ; Le réforme pour le surplus ; Dit que la société GALEC et la société SIPLEC ont commis des actes de concurrence déloyale, résultant de l'acquisition irrégulière de produits Rochas, dont elles doivent être déclarées responsables in solidum avec la société Goguet ; Condamne in solidum la société Goguet, la société GALEC et la société SIPLEC à payer à la société Rochas la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts ; Fait interdiction à la société Goguet de mettre en vente des produits Rochas portant une mention de vente exclusive par distributeur agréé et cela sous peine d'astreinte comminatoire de 1 000 F par infraction constatée ; Ordonne la publication du dispositif du présent arrêt dans deux journaux au choix de la société Rochas, aux frais des sociétés Goguet, GALEC et SIPLEC, sans que le coût de cette publication puisse excéder 20 000 F hors taxe ; Déboute la société Rochas de toutes autres demandes principales ; Condamne in solidum la société Goguet, la société GALEC et la société SIPLEC à payer à la société Rochas la somme de 15 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Les condamne aux dépens de première instance ainsi qu'aux dépens d'appel exposés tant devant la Cour de Grenoble que celle de Lyon, avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP d'avoués Junillon Wicky.