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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 21 juin 1990, n° 88-017802

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Paris Prestations de Services (SARL)

Défendeur :

JPSI (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bonnefont

Conseillers :

MM. Gouge, Audouard

Avoués :

SCP Gaultier-Kistner, Me Lecharny

Avocats :

Mes Marchand, Sberro.

T. Com. Paris, 1re ch., du 2 mai 1988.

2 mai 1988

La Société Paris Prestations de Services "PPS" est une SARL, créée en 1975, dont l'activité est la location de personnel, et de main-d'œuvre temporaire, travail temporaire et intérimaire située à Paris 215 bis Boulevard Voltaire. 11e. Elle a employé pendant dix ans, une Directrice commerciale, Madame Juliette Pasquier, Bensadoun. Il n'est pas contesté que Madame Juliette Bensadoun a présenté le 2 mars 1987 sa démission et que dans un document cosigné par les parties le 23 avril 1987, la société PPS et Madame Bensadoun ont décidé de mettre fin à leurs relations de travail ;

Le 2 mars 1987, par acte sous seing privé était constituée une SARL dénommée "JPSI", au capital de 100.000 F, avec siège social 96, rue de Montreuil à Paris 11e entre Albert Bensadoun, Esther Bensadoun et Gérard Schlanger. Cette société avait pour objet la location du personnel, le travail temporaire et intérimaire. Le Gérant de cette société était Albert Bensadoun ; les statuts de cette société ont été déposés au greffe du Tribunal de commerce de Paris, le 1er avril 1987 et le même jour, cette société a été immatriculée au registre du commerce sous le n° B. 340.745 280 (87 BO 3918) ;

Madame Bensadoun, a occupé les fonctions de directrice commerciale de cette société JPSI, à compter du 4 mai 1987 ;

Deux actions ont alors été intentées par la société PPS :

- l'une, contre Mme Juliette Pasquier-Bensadoun, devant le conseil des Prud'hommes de Paris en " démission abusive et en remboursement de salariés " ; cette procédure vient de faire l'objet, après un jugement contradictoire du 14 octobre 1988 d'un arrêt de la 21e chambre de la Cour d'Appel de Paris du 21 décembre 1989 qui a condamné Juliette Bensadoun à payer à la SARL "PPS" la somme de 100.000 F de dommages et intérêts, pour manquement à l'obligation de fidélité et au remboursement d'un trop perçu et a condamné la PPS à payer à Madame Juliette Bensadoun la somme de 59.400 F à titre de congés payés ; un pourvoi aurait été interjeté contre cet arrêt ;

- l'autre, contre la société " JPSI" devant le Tribunal de commerce de Paris, en concurrence déloyale, pour débauchage de personnel et prospection commerciale avec des données et des méthodes de la société PPS ; il était réclamé 500.000 F de dommages et intérêts ;

Le Tribunal de commerce, par décision du 2 mai 1988, a débouté la société Paris Prestations de Services de ses demandes ;

C'est cette décision qui fait l'objet de la présente instance d'appel,

La Société PPS a en effet relevé appel de cette décision, par déclaration du 5 septembre 1988, et a saisi la Cour le 4 octobre 1988 ;

Dans ses écritures d'appel, elle a soutenu que si les faits de la cause étaient identiques à ceux évoqués lors de l'instance engagée contre Madame Bensadoun, en revanche les moyens de droit et les demandes étaient différents ; elle a précisé que par ses opérations de débauchage du personnel permanent et intérimaire et par le détournement de sa clientèle la société JPSI avait commis des actes de concurrence déloyale et qu'il lui était dû :

- 62.835 F pour augmentation des charges salariales,

- 416.000 F au titre de la perte de marge bénéficiaire brute par suite du détournement de personnel intérimaire,

- 158.924, 87 F, au titre de la perte de marge bénéficiaire brute par suite du détournement du client Jean Lefebvre ;

Subsidiairement, elle a sollicité la désignation d'un huissier pour vérifier les conditions d'exploitation de la société JPSI. Elle a réclamé en outre 30.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Dans ses écritures en réponse, la société JPSI a dans un premier temps sollicité la confirmation de la décision entreprise, 25.000 F de dommages et intérêts et 5.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile; puis à la suite de l'arrêt du 21 décembre 1989 ci-dessus, elle a estimé que la société PPS avait été remplie de ses droits nés de l'activité commerciale concurrentielle et qu'elle n'était pas recevable à solliciter la moindre somme complémentaire.

Sur ce, LA COUR,

I- Sur la co-existence des deux actions :

Considérant que l'action intentée par la société PPS contre Madame Pasquier a pour origine, la violation d'une obligation de non-concurrence, constitutive d'une faute contractuelle dont la sanction est assurée dans le cadre de la responsabilité contractuelle;

Considérant que l'action intentée par la société PPS, contre la société JPSI et qui fait l'objet de la présente instance, a pour fondement une faute délictuelle ou quasi-délictuelle dans les termes des articles 1382 et 1383 du Code Civil;

Que ces deux actions ont donc des parties différentes, des fondements différents et par conséquent des objets différents; qu'elles peuvent parfaitement co-exister.

II- Sur la responsabilité de la Société JPSI

Considérant qu'en première instance, la société PPS avait invoqué le débauchage par la société JPSI de la Directrice commerciale, Mme Pasquier-Bensadoun, et une prospection commerciale avec ses propres données et ses propres méthodes commerciales pour réclamer 500.000 F de dommages et intérêts ;

Considérant qu'en cause d'appel, la société PPS a invoqué :

- l'utilisation de son fichier du personnel par la société JPSI, et le débauchage de son personnel, M. Dufrenoy, qu'elle a réclamé le remboursement des hausses de salaires qu'elle a été obligée de consentir à un salarié pour s'attacher ses services soit 62.835 F ;

- la perte de salariés intérimaires par l'utilisation frauduleuse de son fichier pour laquelle, elle a sollicité l'allocation de la somme de 416.000 F ;

- le détournement de la clientèle, en particulier, un client M. Lefebvre et pour lequel elle a réclamé 158.924,87 F ; que ces prétentions ont été repoussées par la société JPSI pour l'unique raison qu'elles faisaient double emploi avec l'arrêt du 21 décembre 1989 ;

Considérant que le débauchage de Madame Pasquier Bensadoun ne saurait être reprochés à la société JPSI qu'en effet, Madame Pasquier Bensadoun, libérée définitivement de son contrat de travail la liant à la Sté PPS le 23 avril 1987, a été embauchée le 5 mai 1987 par la société JPSI;

Qu'elle n'était liée par aucune clause de non-concurrence et qu'elle était parfaitement libre de se faire embaucher par une société concurrente de celle qu'elle venait de quitter;

Que les conditions de sa démission ne sont pas clairement précisées : pour Madame Pasquier, c'est en raison des conditions financières et du manque de responsabilité qu'elle aurait démissionné ; la Société PPS invoque au contraire, le manque d'assiduité et de motivation de sa directrice alors qu'elle avait procédé à de très fortes augmentations de salaires et lui avait confié de lourdes et nouvelles responsabilités, ce qui est contradictoire;

Considérant qu'il ne saurait être reproché à la Société JPSI d'avoir installé son siège social à 300 mètres du siège de la société PPS; que ces sociétés sont situées dans des rues différentes (Bd Voltaire pour PPS et 96 rue de Montreuil pour JPS ; que rien ne permet d'indiquer la distance qui sépare ces deux sociétés; qu'au surplus la présence de deux sociétés de personnel intérimaire dans la même rue n'est pas exceptionnelle puisque l'huissier de justice mandaté par la société PPS a relevé lors du constat du 14 avril 1987, qu'à côté de la société JPSI 94 rue de Montreuil se trouvait une société Manutra 96, rue de Montreuil, dont " l'activité est la prestation de travail temporaire "

Considérant que la Société PPS a invoqué l'obligation dans laquelle elle a été contrainte d'augmenter un de ses personnels, M. Dufrenoy pour l'empêcher de démissionner; qu'il est certes exact qu'elle produit la copie de la lettre de démission de M. Dufrenoy ainsi que la preuve d'augmentation postérieure de salaire ;

Que rien n'indique que M. Dufrenoy avait l'intention d'offrir ses services à JPSI; que les augmentations de salaire sont sans doute les seules raisons qui ont amené M. Dufrenoy à renoncer à sa démission et la société PPS ne peut que se féliciter d'avoir pu ainsi conserver son employé; qu'aucune faute ne saurait être imputée à la Société JPSI;

Considérant que la société PPS a encore reproché à la société JPSI d'avoir procédé à des prospections commerciales en utilisant les données et les méthodes qui lui sont propres; qu'elle a ainsi produit un prospectus qui aurait été expédié à un de ses employés (M. Gonzalves) et un télégramme qui aurait été expédié à un autre de ses employés (M. Riveira) ;

Que les méthodes commerciales de deux sociétés concurrentes, dans un domaine bien déterminé, et spécialisé, tel que le travail intérimaire, ne peuvent être que très proches les unes des autres; que l'utilisation d'un imprimé identique pour la rémunération d'un salaire intérimaire n'est pas probant ;

Que les deux employés qui auraient fait l'objet d'une tentative de débauchage, ce qui n'est pas démontré, car le télégramme invoqué n'est pas produit, et le prospectus publicitaire est totalement anonyme, sont encore employés à la société PPS ;

Considérant que le détournement de clientèle reproché à la Société JPSI :

- a déjà été réparé par l'arrêt du 21 décembre 1989 ci-dessus rappelé en ce qui concerne Madame Pasquier-Bensadoun qui a été condamnée personnellement pour le préjudice subi " par la perte de clients au nombre desquels la société Jean Lefebvre " (cf. motifs de l'arrêt) de la 21e chambre) ;

- n'est pas rapporté du fait de la société JPSI; qu'à cet égard la demande de désignation d'huissier de justice se heurte aux dispositions de l'alinéa 2 de l'article 146 du nouveau code de procédure civile; qu'il aurait été possible à la Société PPS d'indiquer le nom des clients disparus depuis le départ de Madame Pasquier Bensadoun et récupérés par la Société JPSI ; qu'aucune précision n'a été fournie à ce sujet ; qu'au contraire la société PPS n'a pas souffert de la concurrence de la société JPSI puisque le 15 septembre 1989, cette société faisait inscrire au répertoire national des entreprises, la création d'un établissement secondaire situé au 146 Bd de Ménilmontant dans le 20e arrondissement de Paris,

Qu'ainsi, mais pour des motifs différents et plus explicites que ceux invoqués par les Premiers Juges, la demande de la société PPS sera rejetée;

III- Sur la demande en dommages et intérêts et l'article 700 du nouveau code de procédure civile :

Considérant que le caractère fautif de la demande et de l'appel n'est pas établi: qu'il convient de rejeter la demande formée par la Société JPSI ;

Considérant en revanche qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la Sté JPSI les frais non taxables;

Que la société PPS sera, par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, condamnée à payer à la société JPSI, le montant justifié indiqué au dispositif.

Par ces motifs, Confirme le jugement rendu par la 1re chambre du Tribunal de Commerce de Paris du 2 mai 1988, Y ajoutant, Condamne la Société PPS à payer à la société JPSI la somme de 5.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et aux dépens qui seront recouvrés par Maître Lecharny, Avoué, conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.