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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 7 juin 1990, n° 88-08288

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Hustler Magazine (Inc)

Défendeur :

Les Secrets de la Vie Parisienne (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bonnefont

Conseillers :

M. Gouge, M. Audouard

Avoués :

Me Pamart, SCP Bernabe

Avocats :

Mes Mendras, Langlois.

T. com. Paris, 3e ch., du 30 nov. 1987

30 novembre 1987

Dans des circonstances relatées par les premiers juges la société Hustler Magazine INC, de Los Angeles, avait attrait la société Les Secrets de la Vie Parisienne devant le Tribunal de commerce de Paris pour obtenir la réparation du préjudice résultant d'atteinte au nom commercial et de concurrence déloyale. Par son jugement du 30 septembre 1987 qui a exposé les faits moyens et prétentions des parties antérieures, la 3e chambre de ce tribunal déclarant les demandes d'Hustler recevables mais mal fondées l'a déboutée et condamnée aux dépens. Hustler a relevé appel par déclaration du 8 avril 1988 et saisi la procédure le 9 mai 1988. Elle a conclu l'infirmation du jugement, à ce qu'il soit jugé que SVP s'était rendue coupable de contrefaçon, d'atteinte au nom commercial et de concurrence déloyale, à ce qu'il lui soit fait défense, sous astreinte, de poursuivre ses agissements, à ce qu'elle soit condamnée à lui payer une indemnité provisionnelle de 300.000 francs, une somme de 4.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et les dépens de première instance et d'appel, à ce qu'une expertise soit ordonnée sur le préjudice et à ce que des publications soient autorisées aux frais de SVP.

SVP, après avoir banalement conclu à la nullité, l'irrecevabilité ou au mal fondé de l'appel et à la condamnation de l'appelante à payer une somme de 10.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de la procédure civile et les dépens a développé son argumentation.

Sur ce LA COUR, qui pour un plus ample exposé se réfère au jugement et aux écritures d'appel ;

1. LES DROITS DE PROPRIETE ARTISTIQUE D'HUSTLER ET SUR LA CONTREFAÇON :

Considérant qu'Hustler soutient que le caractère pornographique d'une œuvre de l'esprit n'est pas en soi de nature à exclure l'œuvre de la protection de la loi du 11 mars 1957 et que les photographies, qui ont été reproduites, sont protégeables en raison de leur caractère artistique ou documentaire reconnu par le Tribunal ; que d'autre part elle-même serait titulaire du " copyright " sur ces œuvres ;

Considérant que SVP répond que ces photographies ne traduisent en rien une œuvre originale ni une recherche esthétique et ne visent que " la satisfaction de vils intérêts " ; qu'en outre Hustler ne démontrerait pas avoir acquis les droits ;

Considérant, ceci étant exposé, que le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination d'une œuvre de l'esprit n'étant pas, aux termes mêmes de l'article 2 de la loi du 11 mars 1957, les critères de la protection, il est sans importance qu'une œuvre de l'esprit présente un caractère pornographique, notion au demeurant contingente dans le temps et dans l'espace ;

Considérant qu'Hustler, société de droit américain, produit des certificats de copyright délivrés par le Copyright Office couvrant des numéros entiers du magazine, qu'elle publie et en particulier les numéros d'avril et de juin et septembre 1982 qui établissent qu'elle est titulaire d'une œuvre de Pressel salariée au sens de la loi américaine sur le droit d'auteur ;

Considérant d'autre part que chacun des magazines Hustler d'avril, juin et septembre 1982 porte le petit "c" accompagné du nom d'Hustler ; qu'il s'ensuit que Hustler, ressortissant des Etats-Unis, lesquels sont signataires de la Convention de Genève, est fondée par application de l'article 2 de cette convention à invoquer en France, pays signataire, la même protection qu'un français pour les œuvres dont elle est titulaire ;

Considérant, sur le caractère protégeable des œuvres qu'il convient de les examiner en détail ; que dans le magazine d'avril 1982 (page 19), les deux photographies invoquées présentent un caractère artistique certain en ce que l'une est le détournement d'une publicité pour une marque de chaussures tandis que l'autre a un caractère documentaire au sens de la loi du 11 mars 1957 dans la rédaction applicable à la date de la première publication ; que les quatre photographies de la page 31 (enfants affamés du tiers monde) ont un caractère documentaire incontestable ;

Que dans le magazine de juin 1982, la photographie de le page (mort mis à la taille de son cercueil par section de ses jambes ) présente un caractère artistique par la provocation qu'elle comporte ; que la photographie de la page 22 (New hope for "small men") a un caractère artistique en raison de l'effet comique produit par le photomontage ;

Que dans le magazine de septembre, les photographies "hopital complaint dept" et " Killer pet rock " (pages 48 et 19) comportent chacune une mise en scène comique ou macâbre qui relève de la création artistique ; que la photographie " nose-pik " page 21 présente, sous un aspect humoristique, un caractère documentaire ;

Considérant que les photographies ci-dessus identifiées, qui sont des œuvres de l'esprit, et dont les droits appartiennent à Hustler, ont été reproduites dans le n° 22 de la revue les Secrets de la Vie Parisienne, éditée par SVP sans l'autorisation de Hustler ; qu'il importe peu que SVP les ait acquises dans un "lot" de photographies ; qu'elle n'établit pas sa bonne foi ; qu'il est de même sans intérêt que la revue d'Hustler ait fait l'objet d'un arrêté interdisant la vente aux mineurs cette restriction de la diffusion n'ayant aucun effet sur l'étendue des droits de propriété artistique et sur leur protection, observation étant faite que la couverture des Secrets de la Vie Parisienne, publication de l'intimée, porte la mention " vente interdite aux mineurs " ; que la contrefaçon doit donc être retenue ;

2. L'ATTEINTE AU NOM COMMERCIAL ET LA CONCURRENCE DELOYALE

Considérant qu'Hustler soutient que la reproduction systématique de ses photographies et l'utilisation d'une photographie lui appartenant sur laquelle est visible un numéro de son magazine constitueraient des actes de concurrence déloyale sans que la différence de qualité des revues soit déterminante ; que SVP se serait approprié le travail d'un concurrent ; que la bonne foi " vraisemblable " n'est pas exclusive de la concurrence déloyale ; que le caractère isolé d'un fait ne supprime pas la faute ;

Considérant que SVP répond qu'il n'y a pas eu reproduction systématique ; que la reproduction n'a pu porter atteinte à la diffusion de la revue d'Hustler ; que le clientèle est différente ; que les commentaires sont différents ; qu'elle a remplacé la photographie montrant le magazine avant commercialisation ; qu'elle a agi de bonne foi en achetant des lots de photographies ;

Considérant, ceci étant exposé, que la bonne foi est inopérante la concurrence déloyale recouvrant l'imprudence et la négligence; qu'il appartenait à SVP de s'assurer des droits de ses vendeurs ; que la présentation plus ou moins soignée des revues est sans effet, la clientèle étant dans l'un et l'autre cas celle des personnes qui s'intéressent aux revues pornographiques; qu'un fait, même isolé, peut être fautif ; que la critique ne porte pas sur les commentaires mais sur l'utilisation des photographies ;

Considérant qu'il est établi que SVP reproduit dans son n° 22 page 28 une photographie appartenant à Hustlerreprésentant une personne vêtue d'une combinaison anti-radiations, progressant au milieu d'une installation apparemment détériorée par un incendie et tenant à la main un exemplaire du magazine Hustler avec la légende " à Tchernobyle, ils lisent aussi SVP / C'est ce que démontre cette photo d'un technicien soviétique... " ; que contrairement à ses allégations la photographie a été diffusée dans le commerce puisqu'Hustler a pu se procurer un exemplaire non corrigé qu'elle a mis aux débats ; que de la sorte SVP s'est appropriée le nom et la renommée d'un concurrent, commettant ainsi une faute;

Considérant qu'en revanche les autres reproductions ne constituent pas des fautes distinctes de la contrefaçon commise ;

3. SUR LE PREJUDICE

Considérant que si Hustler fait valoir qu'elle a subi un préjudice important mais dont l'ampleur ne pourrait être apprécié que grâce à une expertise, SVP relève au contraire qu'il n'y a aucune preuve d'un préjudice et qu'une mesure d'instruction serait inutile ; qu'en outre le magazine Hustler ne pourrait être vendu en France ;

Considérant, ceci étant exposé, qu'il a déjà été répondu, sur le dernier point, que l'interdiction de vente ne concerne, selon l'arrêté du 6 septembre 1984, que les mineurs ; qu'il est certain que cette interdiction implique aussi celle d'exposer et de faire des publicités ;

Considérant que la Cour trouve en la cause des éléments pour apprécier, sans expertise, le préjudice subi du fait de la contrefaçon et de l'acte de concurrence déloyale retenu, comme indiqué au dispositif ; que si une interdiction sous astreinte est de nature à renforcer l'efficacité de la décision, il n'y a pas lieu, eu égard aux circonstances particulières à la cause, d'autoriser des publications ; qu'il est équitable que les frais non taxables exposés par Hustler soient mis à la charge de SVP, comme ci-après ;

Considérant qu'en revanche SVP qui succombe conservera ses frais non taxables ;

PAR CES MOTIFS : Infirme le jugement du 30 septembre 1927 sauf en tant qu'il a dit la demande recevable ; Dit que la société Les Secrets de la Vie Parisienne, en reproduisant dans le magazine du même nom (n° 22) les photographies ci-dessus énumérées dont les droits de reproduction appartiennent à la société Hustler Magazine Inc, a commis des actes de contrefaçon d'œuvres de l'esprit ; Dit qu'en reproduisant en outre une photographie incluant un exemplaire du magazine Hustler avec la légende ci-dessus rappelée, la société les Secrets de la Vie Parisienne a commis une faute distincte ; Fait défense à la société Les Secrets de la Vie Parisienne sous astreinte de 10.000 francs par infraction constatée à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la signification, de reproduire les œuvres photographiques appartenant à la société Hustler Magazine Inc ou d'utiliser sous une forme quelconque le titre de ce magazine ; Condamne la société Les Secrets de la Vie Parisienne à payer à la société Hustler Magazine Inc : une indemnité de 60.000 francs, une somme de 10.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, les dépens de première instance et d'appel et admet, pour ceux d'appel, Me Pamart, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau code de procédure civile ; Déboute les parties de leurs autres demandes.