Livv
Décisions

CA Riom, 3e ch. civ. et com., 6 juin 1990, n° 527-90

RIOM

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Le Disque Bleu (SA)

Défendeur :

Confédération Nationale de la Boulangerie et Boulangerie-Pâtisserie Française, Syndicat des Patrons Boulangers du Cantal

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bendadou

Conseillers :

M. Despierres, Mme Millon

Avoués :

SCP Lecocq Mottet, SCP Goutet

Avocats :

Me Mezard, SCP Fourgoux.

T. com. Aurillac, du 4 avr. 1989

4 avril 1989

Exposé du litige

1. La SA " Le Disque Bleu " qui exerce le commerce sous l'enseigne " Euromarché " a fait paraître, le 4 juin 1988, dans le journal régional " La Montagne " une annonce indiquant qu'elle distribuerait ce jour là, dans son magasin d'Aurillac, 5 000 baguettes (de pain) gratuites, dans la limite d'une par personne et sans obligation d'achat.

2. Le 13 août 1988, la Confédération Nationale de la Boulangerie et de la Boulangerie Pâtisserie Française (La Confédération) et le Syndicat des Patrons Boulangers du Cantal (Le Syndicat) ont fait citer la SA " Le Disque Bleu " (la Société) devant le Tribunal de commerce d'Aurillac, soutenant que cette publicité constituait un acte de concurrence déloyale et une faute leur causant préjudice ;

Qu'en effet, elle visait un procédé " anormal de vente à perte " et qu'elle était mensongère son but étant de désorganiser le marché et de leur prendre leur clientèle, en éliminant la concurrence ;

Qu'en effet, elle était illicite, par la pratique interdite du prix d'appel et de la vente avec prime.

Et les demandeurs ont réclamé paiement, pour chacun, des sommes de 25 000 F à titre de dommages-intérêts, et de 5 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et aussi la publication du jugement dans les journaux " La Montagne ", la " Dépêche d'Auvergne " et " L'Union Agricole et Rurale " aux frais de la Société, le tout, assorti de l'exécution provisoire.

La Société a contesté tant la concurrence déloyale alléguée, que les infractions visées dans la citation.

Le Tribunal, par jugement du 4 avril 1989, a retenu les faits reprochés (désorganisation du marché par la distribution gratuite de 5 000 baguettes, et par la publicité litigieuse, et publicité illicite au terme de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973, ayant pour but d'attirer les clients vers d'autres achats).

Et le Tribunal a fait droit aux condamnations demandées limitant à 15 000 F celles relatives aux dommages-intérêts et n'accordant pas l'exécution provisoire sollicitée.

3. La SA " Disque Bleu " a fait appel par déclaration du 12 avril 1989, et elle a saisi la Cour le 9 mai 1989. Elle demande la réformation du jugement, en soutenant qu'elle n'a pas commis les fautes qui lui sont reprochées. Qu'il n'y a pas eu procédé déloyal de vente, car le cadeau n'est plus interdit depuis l'ordonnance du 1er décembre 1986, et que cette distribution unique n'a pu désorganiser le marché, l'acheteur " traditionnel " de pain n'étant pas " détourné " de son fournisseur habituel.

Et la Société a demandé paiement d'une somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

4. La Confédération et le Syndicat ont demandé la confirmation du jugement reprenant les moyens invoqués dans la citation, (publicité à caractère déloyal d'une vente à perte perturbant le marché et détournant leur clientèle, publicité illicite par la pratique du prix d'appel, son caractère mensonger, le but étant non de distribuer du pain de mie mais d'attirer le client pour qu'il achète autre chose, et vente avec prime prohibée, le tout punissable par l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 et l'article 29 de l'ordonnance du 1er décembre 1986).

Et ils ont fait appel incident demandant que la condamnation prononcée au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile soit portée à 10 000 F et enfin, ils ont demandé l'exécution provisoire de l'arrêt.

Discussion :

Sur la concurrence :

1. Attendu en droit que la liberté du commerce est de principe en France ce qui est constamment rappelé par le législateur depuis la loi des 2-17 mars 1791 dite Loi Le Chapelier.

Attendu que cette liberté permet aux commerçants toutes les pratiques loyales tendant à attirer à eux la clientèle, mais que par contre, les procédés déloyaux ne sont pas autorisés,

Que certains procédés déloyaux sont réprimés par la loi pénale.

Attendu que le commerçant qui s'estime lésé par la pratique d'un concurrent peut demander à la juridiction pénale si les procédés visés peuvent être réprimés par un texte répressif, ou bien à la juridiction civile si les procédés visés peuvent être considérés comme fautifs, au sens de l'article 1382 du Code Civil, qu'ils soient visés ou non par la loi pénale :

- réparation du préjudice causé par l'allocation de dommages-intérêts

- interdiction de la poursuite de la pratique critiquée.

2. Attendu en l'espèce,

a) concernant la publicité déloyale :

Qu'en réalité, il est reproché à la Société et une publicité déloyale et une pratique déloyale,

Que d'une part, le procédé de vente à perte, par distribution gratuite de pains, allégué, n'est pas établi,

Qu'en effet il ne s'agit pas, en l'espèce, d'une vente à perte, mais d'une distribution gratuite qui ne peut être qualifiée que comme un cadeau destiné à créer un effet favorable à la Société susceptible de lui amener des clients ; que pareil procédé, consistant en un cadeau offert sans qu'il y ait un lien avec une vente,

- n'est pas interdit par la loi, l'article 5. III de la loi du 30 décembre 1985 sur l'amélioration de la concurrence ayant abrogé l'article 40 de la loi du 27 décembre 1973 d'orientation du commerce et de l'artisanat, qui le prohibait antérieurement,

- ne constitue pas une faute en raison de son caractère unique, même si la quantité de pains distribués est importante, la faute c'est-à-dire la désorganisation du marché du pain à Aurillac ne pouvant être constituée que par la répétition de cet acte, qui, alors provoquerait une désorganisation du marché en détournant les clients des boulangers plaignants.

Qu'enfin, le fait que cette distribution a pour but évident d'amener les clients dans le magasin de la Société et par là même à les inciter à acheter l'une des marchandises offertes à leur vue par ce " supermarché " n'est pas réprimé par la loi pénale, et qu'il ne peut constituer une faute civile, ces autres marchandises n'étant pas vendues par les boulangers.

Que d'autre part, la publicité litigieuse ne peut pas être qualifiée de mensongère, dès lors qu'il n'est pas contesté que la Société a bien tenu son engagement c'est-à-dire remettre une baguette de pain à tout client, et ce, gratuitement.

Qu'au surplus, elle n'a pu tromper les clients qui n'étaient pas naïfs au point de croire, que la distribution litigieuse était un geste philanthropique de la Société, et qui, certainement savaient bien qu'il s'agissait de les amener au magasin afin qu'ils soient tentés d'acheter l'une des marchandises offertes à leur vue.

Qu'ainsi, la publicité litigieuse ne peut être réprimée, à ce titre, étant tout à fait différente de celle sanctionnée par l'article 44. I de la loi du 27 décembre 1973 (allégations fausses, de nature à induire en erreur concernant la vente de biens).

Qu'encore, concernant le second grief de publicité illicite, en vertu de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973, qu'il vient d'être répondu à ce moyen qui n'est pas fondé,

Et qu'en ce qui concerne une infraction à l'article 29 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, il y a lieu de noter que ce texte interdit les ventes ou offres de vente avec prime. Qu'en l'espèce, aucun produit n'était offert à la vente, et que le texte invoqué est étranger au cas présent (cadeau de baguettes de pain).

4. Attendu qu'ainsi, il n'est pas établi que l'annonce de la distribution gratuite de baguettes (de pain) pas plus que cette distribution soient constitutifs de procédés déloyaux ;

Qu'il n'est pas établi, non plus, que cette distribution ait désorganisé le marché du pain à Aurillac et que la Société ait, ainsi, détourné à son profit les clients habituels des autres boulangers.

Attendu que le jugement doit donc être réformé, et que l'appel incident de la Confédération et du Syndicat concernant leurs demandes relatives au paiement de sommes sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et à l'exécution provisoire du présent arrêt, doit être déclaré mal fondé.

Sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile :

Attendu en ce qui concerne la demande formulée par la Société qu'il n'est pas inéquitable dans les circonstances qui viennent d'être évoquées, de laisser à sa charge les frais non compris dans les dépens visés par l'article 7 du Nouveau Code de Procédure Civile précité.

Décision :

LA COUR,

Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit la SA " Le Disque Bleu " en son appel dirigé contre le jugement rendu le 4 avril 1989 par le Tribunal de commerce d'Aurillac dans le litige l'opposant à la Confédération Nationale de la Boulangerie et de la Boulangerie Pâtisserie Française, et au Syndicat des Patrons Boulangers du Cantal, Dit et juge cet appel bien fondé et en conséquence, réforme le jugement critiqué en toutes ses dispositions. Et y ajoutant, Déboute la Confédération et le Syndicat de leurs demandes en paiement de sommes en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et en exécution provisoire du présent arrêt. Déboute la SA " Le Disque Bleu " en sa demande en paiement d'une somme au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile précité. Condamne, in solidum, la Confédération et le Syndicat aux dépens tant de première instance que d'appel, et pour ces derniers, autorise la SCP Lecocq Mottet Avoué, à recouvrer ceux dont elle a pu faire l'avance sans avoir reçu provision préalable suffisante.