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Décisions

CA Paris, 1re ch. A, 22 mai 1990, n° 89-15883

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Cometur (SARL)

Défendeur :

Médiamétrie (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vengeon

Conseillers :

MM. Canivet, Guerin

Avoués :

SCP Regnier, SCP Taze-Bernard-Broquet

Avocats :

Mes Boyer, Bertail.

TGI Paris, prés., du 4 juill. 1988

4 juillet 1988

La Société Médiamétrie procède, selon une méthode statistique qu'elle a conçue, à des enquêtes de mesures d'audience des stations radiophoniques et des chaînes télévisées dont elle établit des rapports pour le compte de souscripteurs, à qui elle réserve contractuellement l'exclusivité de ses travaux, tout en publiant, avec l'accord de ceux-ci, des résultats partiels et de synthèse dans des bulletins d'information mensuels.

Elle reproche à la Société Cometur, éditrice de la publication intitulée " la Lettre de l'Audiovisuel ", d'une part, d'avoir dans ses numéros de janvier à avril 1988, reproduit, sans son autorisation et en dépit de ses protestations, systématiquement et par larges extraits, le contenu de ses rapports confidentiels d'enquête et d'avoir même, dans certains cas, commis des erreurs de transcription, d'autre part, d'avoir servilement repris dans sa parution datée du 6 juin 1988, sans même en citer l'origine, un article paru dans son propre bulletin d'information du mois d'avril précédent.

Sur l'assignation en référé de la Société Médiamétrie, le Président du Tribunal de Grande Instance de Paris a, par ordonnance du 4 juillet 1988, enjoint, sous astreinte, à la Société Cometur de s'abstenir de toute publication de données chiffres et résultats des enquêtes effectuées par la Société Médiamétrie n'ayant pas été directement rendus publics par cette dernière et de mentionner clairement la source de ceux qu'elle aurait volontairement divulgués.

Ensuite saisi du fond du litige, le Tribunal de Grande Instance de Paris a, par jugement du 8 juin 1989, repris la même injonction et condamné la Société Cometur à payer à la Société Médiamétrie une somme de 30.000 F à titre de dommages et intérêts.

Appelante de cette décision, la Société Cometur soutient pour en demander l'infirmation :

- qu'elle ignorait le caractère confidentiel de résultats d'enquêtes qu'elle a publiés,

- que ces éléments statistiques lui ont été fournis par les abonnés de la Société Médiamétrie qui semblaient en avoir la libre disposition,

- qu'en raison de l'effet relatif des contrats, il ne peut lui être reproché une violation du caractère confidentiel des documents litigieux résultant de conventions liant la Société Médiamétrie à ses abonnés,

- qu'en tant qu'organe de presse, elle était fondée à publier et à commenter des informations régulièrement obtenues,

- qu'elle n'a omis de citer ses sources que dans sa parution du 6 juin 1988 et que sa responsabilité ne peut être engagée par cette inadvertance isolée et non dommageable,

- enfin que la diffusion restreinte de la " Lettre de l'Audiovisuel ", dans un milieu strictement professionnel, n'a causé à la société adverse qu'un préjudice très modéré.

Reprenant les moyens soutenus en première instance, la Société Médiamétrie demande la confirmation du jugement entrepris et, sur son appel incident, sollicite que le montant des dommages et intérêts qui lui ont été alloués soit porté à la somme de 100.000 Francs et qu'il soit fait droit à sa demande de publication judiciaire.

Il est référé au jugement dont appel pour un exposé complet des faits et de la procédure de première instance et aux écritures échangées en cause d'appel pour l'énoncé détaillé des moyens et prétentions des parties, étant précisé que chacune d'elles demande l'application à son bénéfice des dispositions de l'article 700 du NCPC.

Sur quoi LA COUR :

Considérant qu'il est établi, par la production des exemplaires litigieux, que dans ses numéros des 8 et 13 janvier, 8, 17, 22 et 29 février, 10, 14 et 28 mars, 11, 13 et 18 avril 1988, la " Lettre de l'Audiovisuel ", éditée par la Société Cometur, a fait paraître, sous la forme de " suppléments sondages ", des tableaux de mesure d'audience des diverses stations de radio et chaînes de télévision, intégralement tirés des rapports établis par la Société Médiamétrie à l'usage de ses souscripteurs et que, notamment dans l'un de ces numéros, les chiffres cités sont erronés ;

Qu'il est également constant que la " Lettre de l'Audiovisuel " a littéralement reproduit dans son numéro 940 du 9 juin 1988, sous le titre : " Samedi midi : à la carte " et sans aucune référence à sa provenance, un article tiré du bulletin mensuel de Médiamétrie d'avril précédent ;

Considérant, ainsi que l'ont estimé les premiers juges par des motifs pertinents que la Cour fait siens, que la divulgation d'éléments d'enquêtes effectués par Médiamétrie pour le compte exclusif de son réseau d'abonnés constitue une faute engageant la responsabilité de la Société Cometur;

Considérant, en effet, que même si elles ne sont pas protégées par un droit privatif spécifique, de telles études sont le fruit d'un savoir faire dans la conception des méthodes de sondages, d'importantes prestations de service pour l'exécution de ceux-ci et d'un travail intellectuel pour leur exploitation;

Qu'en publiant de telles données dans son propre organe de presse, sans la moindre contrepartie, la Société Cometur s'est approprié ce qui n'a pu être obtenu que par l'œuvre d'autrui et a commis un acte de concurrence parasitaire dont elle doit réparation;

Considérant que l'appelante ne saurait invoquer, pour échapper à sa responsabilité, qu'elle ignorait le caractère confidentiel des éléments statistiques litigieux dès lors, que spécialiste des questions audiovisuelles, elle ne pouvait méconnaître les modalités de réalisation de ces sondages, leurs coûts et les conditions d'accès à ceux-ci ; qu'au surplus, en tête desdits rapports, figure un avertissement rappelant l'usage réservé qui doit en être fait et que notamment par une lettre du 29 février 1988, la Société Médiamétrie lui a clairement rappelé la diffusion exclusive auxquels ils étaient soumis ;

Considérant que s'agissant de tableaux comparatifs d'indices d'écoutes portant sur l'ensemble des stations de radio et de chaînes de télévision, il est sans incidence que certains des destinataires lui aient communiqué lesdits rapports d'enquête dès lors que pour les raisons sus-indiquées elle n'ignorait pas la protection donc ces travaux bénéficiaient et qu'au surplus elle ne s'est pas limitée à publier les résultats de l'un ou l'autre de ses prétendus correspondants mais a livré l'intégralité des chiffres et pourcentages calculés pour l'ensemble du secteur audiovisuel ;

Considérant qu'il n'est pas reproché à la société appelante d'avoir violé les obligations contractuelles existantes entre la société limitée et ses abonnés mais d'avoir commis une faute quasi-délictuelle en se livrant au pillage et à l'exploitation systématique de données provenant du travail d'autrui ; qu'il s'ensuit que le moyen tiré de l'effet relatif des contrats doit être rejeté ;

Considérant que de tels actes ne sont pas justifiés par le droit à l'information, lequel ne saurait autoriser la publication de travaux, études ou données chiffrées en fraude aux droits des tiers ;

Considérant que les premiers juges étaient encore fondés à retenir que la reproduction intégrale et sans autorisation dans la " Lettre de l'Audiovisuel ", d'un article de la revue mensuelle Médiamétrie est une atteinte au droit d'auteur dont est investi cette société par application de l'article 13 de la loi du 11 mars 1957 ;

Considérant que le préjudice souffert par la société intimée est tout à la fois constitué par l'emprunt fautif susvisé, l'atteinte portée à sa réputation commerciale auprès de ses cocontractants qui ont pu croire qu'elle livrait à des organes de presse des informations dont elle s'était engagée à leur réserver l'exclusivité et du discrédit qui s'attache à la présentation de données et de commentaires inexacts ;

Considérant que l'appelante ne peut tirer argument du faible tirage de sa publication pour minimiser l'incidence de ses agissements fautifs puisque celle-ci est dédiée aux professionnels qui constituent spécifiquement la clientèle de la Société Médiamétrie ;

Considérant que l'importance du dommage ainsi subi par ladite société, justifie que le montant des dommages et intérêts qui lui ont été initialement accordés soit porté à 60.000 F ;

Considérant que l'injonction prescrite par le Tribunal doit être maintenue mais qu'en raison de l'ancienneté des faits, la publication sollicitée ne peut plus être regardée comme une mesure de réparation appropriée ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la Société Médiamétrie les frais, non compris dans les dépens, exposés en cause d'appel.

Par ces motifs : Amendant le jugement entrepris, fixe à la somme de 60.000 F le montant des dommages et intérêts alloués à la Société Médiamétrie ; Le confirme pour le surplus ; Y ajoutant condamne la Société Cometur à payer à la Société Médiamétrie une somme de 8.000 F par application de l'article 700 du NCPC. Rejette toutes les autres demandes. Condamne la Société Cometur aux dépens d'appel et admet sur la demande, la SCP Taze-Bernard-Broquet, titulaire d'un office d'Avoué à la Cour, au bénéfice de l'article 699 du NCPC.