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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 14 mai 1990, n° 88-15773

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Fred (SA)

Défendeur :

Vikim Diffusion (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosnel

Conseillers :

M. Poullain, Mme Mandel

Avoués :

SCP Regnier-Sevestre-Regnier, SCP Gaultier-Kistner-Gaultier

Avocats :

Mes Chauchat, Devaux.

T. com. Paris, 1re ch., du 13 juin 1988

13 juin 1988

LA COUR : - Statuant sur l'appel formé par la Société Fred d'un jugement du Tribunal de Commerce de Paris (1re Chambre) la déboutant de sa demande tendant à la réparation du préjudice résultant pour elle de faits de contrefaçon de modèle et de concurrence déloyale reprochés à la Société Vikim Diffusion, ensemble sur l'appel incident de cette dernière.

Faits et procédure :

A - La Société Fred qui exerce son activité traditionnelle d'horloger bijoutier commercialise depuis 1978, outre divers modèles de bijoux, quelques autres articles sous la marque Force 10 caractérisés par le fait que, d'inspiration maritime, ils associent deux éléments :

- un ou deux câbles torsadés imités des filins de marine en acier,

- et des motifs en or.

Cette collection Force 10 ayant dès son lancement connu un succès non contesté, Fred l'a étendue des bijoux à des articles utilitaires tels que porte-clés, briquets de table, articles de toilette (rasoirs, brosses à dents), de bureau (coupe-papier, loupes) notamment.

Apprenant par une publicité parue dans le n° 506 du Magasine VSD daté du 14 mai au 20 mai 1987 qu'une Société Vikim Diffusion offrait une " gamme complète de couverts, verres, dessous de plats " associant du câble d'acier torsadé et du métal doré, association qui est l'originalité essentielle de ses créations de la ligne Force 10, Fred, faisant également grief à cette société d'agissements parasitaires, faisait assigner le 22 juin 1987 Vikim Diffusion devant le Tribunal de Commerce de Paris aux fins de cessation immédiate sous astreinte des agissements dénoncés, saisie, confiscation et destruction des objets et documents publicitaires litigieux, condamnation à une indemnité provisionnelle de 500.000 F, expertise sur l'évaluation de son préjudice, publication du jugement et allocation de 20.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, le tout avec exécution provisoire.

Le Tribunal dans son jugement du 13 juin 1988 a retenu :

- d'une part, que Fred n'apporte pas la preuve d'une quelconque antériorité dans la fabrication d'articles relevant de l'art de la table réalisés à partir de câble d'acier inoxydable associé à ou serti de métal or ;

- d'autre part, que les circuits de distribution des deux fabriquants sont totalement étrangers l'un à l'autre ;

- en outre que Fred ne saurait sans abus de droit se plaindre d'agissements parasitaires qui consisteraient à profiter de son travail et de son aura afin d'exploiter une clientèle distincte ;

- enfin qu'elle n'apporte pas la preuve du préjudice allégué.

Il a, en conséquence, rejeté comme mal fondées les demandes de Fred et l'a condamné à payer à Vikim Diffusion une somme de 10.000 F pour ses frais non récupérables de défense, déboutant la défenderesse de sa demande reconventionnelle en 500.000 F de dommages-intérêts provisionnels et expertise sur le préjudice résultant de la procédure dirigée contre elle.

B - Appelante suivant déclaration du 5 juillet 1988 Fred demande à la Cour, par réformation intégrale du jugement, de :

- juger que les agissements de Vikim Diffusion, au travers de la fabrication et du lancement de la collection d'articles de table dénommée Drakkar, sont constitutifs de contrefaçon et de concurrence déloyale ;

- ordonner la cessation immédiate, sous astreinte de 5.000 F par infraction constatée, de toute commercialisation par Vikim Diffusion des articles composant la collection du service de table Drakkar ;

- ordonner la saisie et la confiscation de tous les éléments, objets et publicité des modèles de ce service de table ;

- désigner un expert aux fins de se faire communiquer tous éléments comptables et commerciaux lui permettant de déterminer l'importance des ventes et de la promotion publicitaire afférentes à la collection Drakkar Vikim Diffusion et d'évaluer ainsi le préjudice subi par Fred SA ;

- condamner Vikim Diffusion à payer à Fred SA :

1° la somme de 300.000 F à titre de provision à valoir sur la réparation de son préjudice,

2° celle de 10.000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

- ordonner la Société Vikim Diffusion aux entiers dépens tant de première instance que d'appel.

C - Vikim Diffusion conclut à la confirmation du jugement sauf en ce qu'il l'a déclarée partiellement mal fondée en ses demandes reconventionnelles et elle réitère ses demandes de 500.000 F de provision et d'expertise. Enfin, elle forme sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, une demande de 20.000 F.

Discussion :

I - Sur la contrefaçon :

Considérant que la ligne Drakkar commercialisée par Vikim Diffusion se compose de verres, couteaux, couverts et porte-couteaux ainsi que le montre un dépliant publicitaire mis aux débats ; que les divers articles représentés allient tous un câble torsadé en acier inoxydable serti de métal or ; qu'il est indiqué que la collection est " complétée d'un porte-plat à six branches-câble " ;

Considérant que s'il n'est nullement prétendu que Fred ait dans sa ligne Force 10 ou même d'une façon plus générale fabriqué des services de table, il convient de rappeler que l'originalité des objets de cette ligne consiste en l'association non de deux métaux acier et métal doré qui serait un genre non protégeable - et au demeurant antériorisé par certains des exemples (épées ou poignées de sabre) invoqués par Vikim - mais l'association de câbles d'acier inspirés des filins de marine avec des pièces ornementales en or en constituant généralement les terminaisons ;

Qu'il est à noter qu'est inopérant le procédé de réalisation qui est sans incidence sur la protection accordée par la Loi de 1957 qui s'applique à la création esthétique et non à l'invention technique ;

Que dans les termes de cette loi, il n'est pas question de protéger une idée mais sa réalisation formelle et qu'il apparaît que Fred revendique des caractéristiques protégeables par la Loi de 1957 dans la forme esthétique qu'elles revêtent, protection qui ne saurait être limitée au seul domaine des bijoux dès lors qu'il est établi que l'appelante les a également appliqués à d'autres objets ;

Considérant que les manches des couverts Drakkar reproduisent de façon servile les manches d'articles créés par Fred et figurant à son catalogue tels brosse à dents et rasoir, au point qu'ainsi que le relève l'appelante ils pourraient très aisément être substitués les uns aux autres ;

Que c'est à cet élément de ces divers articles que peut s'appliquer l'originalité créatrice, bien davantage que sur leur partie essentiellement fonctionnelle ;

Que la constatation d'une contrefaçon sur le fondement de la Loi de 1957 ne postule pas que les œuvres doivent se ressembler et encore moins se confondre, la possibilité de confusion constituant une circonstance aggravante de la contrefaçon et non point un de ses éléments constitutifs ; qu'il suffit pour retenir le grief de contrefaçon qu'il y ait reproduction ou imitation illicite de telle ou telle partie originale ;

Que tel est bien le cas en l'espèce où il y a eu simplement une modification dans la destination de l'œuvre reproduite à l'identique dans les manches de couverts du service Drakkar ;

Que la contrefaçon de modèle est établie sur ce point ;

II - Sur la concurrence déloyale :

Considérant qu'il ressort des pièces mises aux débats que depuis 1978 pour les bijoux et depuis 1981 pour d'autres articles utilitaires de luxe, Fred a fait connaître la ligne Force 10 par une commercialisation soutenue par une importante publicité ;

Qu'elle a ainsi largement fait connaître ses créations au public et que Vikim Diffusion, société désireuse de s'introduire dans le secteur du commerce de luxe, ne peut prétendre les avoir ignorées ;

Que la reproduction servile ci-avant retenue pour les couverts n'est pas le fruit du hasard et que la diffusion de toute une gamme de produits associant câble d'acier et métal or, sous des formes certes différentes de celles créées par Fred, sous la marque Drakkar avec des dénominations faisant également essentiellement référence au monde marin traduit une recherche de confusion dans l'esprit du public sur l'origine des produits et un comportement parasitaire, Vikim Diffusion profitant de la notoriété acquise par Fred et des efforts publicitaires de cette dernière ;

Que la demande de Fred est donc également fondée du chef de la concurrence déloyale ;

Que surabondamment Fred rappelle qu'une Société Flora diffusion ayant la même adresse de siège social que Vikim Diffusion et créée entre cinq personnes dont Joris Viart, gérant de Vikim Diffusion, a précédemment été condamnée en 1986 pour des faits de contrefaçon relatifs à des rasoirs et brosses à dents de Marque Joris ; qu'ainsi la mauvaise foi de Vikim Diffusion est de surcroît établie ;

III - Sur la réparation du préjudice :

Considérant que Fred, avertie du lancement du service de table Drakkar par la publicité par voie de presse de mai 1987, a immédiatement adressé une mise en garde à Vikim Diffusion par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 22 mai 1987 et l'a assignée le 12 juin 1987 ;

Que Vikim Diffusion dont les affirmations sur ce point ne sont contredites par aucun des éléments du dossier, a, en raison de l'action ainsi engagée, arrêté la diffusion des articles litigieux, arrêt de commercialisation sur lequel elle fonde sa demande reconventionnelle en d'importants dommages-intérêts, demande qui ne peut qu'être rejetée comme mal fondée ;

Considérant que sans qu'il soit nécessaire de recourir à l'expertise sollicitée par Fred, le préjudice subi par cette société toutes causes confondues sera, eu égard aux éléments de la cause, équitablement réparé par l'allocation d'une indemnité de 300.000 F outre les mesures de confiscation, d'interdiction et de publication précisées au dispositif ;

IV - Sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure :

Considérant que Vikim Diffusion succombant en définitive dans ses prétentions et moyens de défense doit conserver l'entière charge des frais non taxables de procédure par elle exposés ;

Qu'il apparaît équitable d'allouer à Fred une somme de 8.000 F pour ceux par elle exposés.

Par ces motifs : Réforme en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de Commerce de Paris (1re Chambre) du 13 juin 1988 ; Dit que la Société Vikim Diffusion a commis des actes de contrefaçon par la fabrication et la commercialisation sous la dénomination Drakkar de couverts dont les manches reproduisent servilement ceux de manches d'objets créés et commercialisés par Fred sous la dénomination Force 10 lesquels, caractérisés par l'emploi de fils d'acier torsadés et de bagues dorées, sont des œuvres protégeables au sens de la Loi du 11 mars 1957 ; Dit que Vikim Diffusion, par la diffusion dans les conditions ci-avant rappelées de l'ensemble des articles de table de sa collection Drakkar, a en outre commis des agissements parasitaires à l'encontre de la Société Fred caractérisant une concurrence déloyale ; Ordonne la cessation immédiate sous astreinte de 300 F par infraction constatée de toute offre en vente ou vente des articles composant la collection du service de table Drakkar, l'infraction s'entendant de chaque objet offert en vente ou vendu ; Ordonne la saisie et la confiscation de tous les articles composant le service de table Drakkar ainsi que de tous documents publicitaires s'y rapportant se trouvant en la possession de la Société Vikim Diffusion ; Condamne la Société Vikim Diffusion à payer à la Société Fred : 1° une indemnité de 300.000 F, 2° une somme de 8.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Autorise la Société Fred à publier le dispositif du présent arrêt dans trois journaux de son choix aux frais de la Société Vikim Diffusion dans la limite d'une somme globale de 30.000 F ; Condamne la Société Vikim Diffusion aux entiers dépens de première instance et d'appel.