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Décisions

CA Paris, 1re ch. A, 9 mai 1990, n° 88-21166

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Syndicat des Producteurs de Programmes Audio Visuels, Syndicat National de la Vidéo Communication, Union Syndicale des producteurs de programmes audio visuels

Défendeur :

FR3 (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vengeon

Conseillers :

Mme Hannoun, M. Canivet

Avoués :

SCP Garboy-d'Auriac-Guizard, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, Me Olivier

Avocats :

Mes Amar, Cathala, de Bouchony.

TGI Paris, 1re ch., 1re sect., du 26 oct…

26 octobre 1988

Le Syndicat des producteurs de programmes audio visuels, le Syndicat national de la Vidéo Communication et l'Union Syndicale des Producteurs de Programmes Audio Visuels sont appelants du jugement rendu par le Tribunal de Grande instance de Paris le 26 octobre 1988 qui a :

- rejeté leurs demandes tendant à sanctionner la violation par la société FR3 des articles 44 de la loi du 30 septembre 1986, 49 de son cahier des charges et du principe de la spécialité du service public en mettant à la disposition des tiers des moyens de production qui ne devaient servir qu'à elle-même,

- dit que la société FR3 ne s'est pas livrée à un dénigrement collectif de la profession des producteurs de programmes audiovisuels dans un film publicitaire,

- avant dire droit sur le surplus des demandes, désigné M. René Thevenet en qualité d'expert avec mission de déterminer les tarifs proposés et effectivement pratiqués en 1987 et 1988 par la Société FR3 d'une part, et les prestataires privés adhérents de l'un ou l'autre des syndicats demandeurs ou intervenants d'autre part, pour la réalisation de documents de court métrage et de déterminer pour des prestations identiques la différence existant entre ces tarifs.

Les premiers juges ayant résumé les faits de la cause et exposé les prétentions des parties, il suffit, référence étant faite pour un exposé plus complet à la décision précitée, de rappeler les éléments suivants :

Dans le courant de l'année 1987, les stations " Méditerranée " et " Rhône-Alpes " de la Société Nationale de Programme France Régions 3, dénommée FR3, ont entrepris une campagne de publicité destinée à offrir leurs services pour la réalisation de documents audiovisuels.

Cette campagne mettant en valeur les moyens humains et techniques dont dispose FR3 a pris la forme d'un document imprimé et d'un film de court métrage reproduit sur cassette qui ont fait l'objet d'une distribution à des clients potentiels.

Après avoir rappelé qu'il avait qualité à agir, le SPPA, soutenu par le SNVC et l'USPA poursuivent l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a rejeté leurs demandes tendant à sanctionner le dénigrement dont ils estiment avoir été victimes de la part de FR3 à la suite de la diffusion de la cassette litigieuse et à dire que cette société a violé les dispositions de l'article 44 de la loi du 30 septembre 1986 sur la liberté de communication et le principe de spécialité du service public.

Ils sollicitent en conséquence la réparation de leur préjudice professionnel collectif en demandant :

- la SNVC, l'allocation d'une somme de 200 000 F de dommages-intérêts, la publication de l'arrêt à intervenir dans cinq journaux professionnels et une indemnité de 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

- l'USPA, 50 000 F de dommages-intérêts, la publication de la décision dans les mêmes conditions et 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC ;

- la SPPA, une somme de 200 000 F de dommages-intérêts, la publication de l'arrêt, une indemnité de 25 000 F au titre de l'article 700 du NCPC, et l'interdiction faite à FR3 sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée, de produire ou d'offrir des prestations de services en vue de produire des œuvres ou des documents audiovisuels pour le compte de tiers.

Invoquant le dépôt du rapport de l'expert Thevenet, désigné par le jugement avant dire droit du 26 octobre 1988, le SNVC et l'USPA prient la Cour, afin de donner à l'affaire une solution définitive, d'évoquer les points non jugés et de dire qu'en produisant pour des tiers des œuvres et documents audiovisuels et en fournissant des prestations de services afférentes à une telle production, FR3 bénéficiant de certains privilèges, a abusé d'une position dominante, et porté atteinte au principe de la liberté du commerce et de l'industrie en faussant la concurrence.

A l'appui de leurs prétentions, ils invoquent essentiellement :

- que la diffusion par FR3 d'une cassette tournant en dérision le secteur concurrent de la production constitue un dénigrement collectif de la profession des producteurs et des prestataires de services en matière audiovisuelle ;

- qu'en faisant ainsi de la publicité pour proposer ses services pour des productions autres que celles concernant ses émissions de télévision, FR3 a violé les dispositions de l'article 44 de la loi du 30 septembre 1986 sur la liberté de communication et celles de l'article 49 de son cahier des charges ;

- qu'en proposant des tarifs inférieurs de près de deux tiers aux tarifs normaux pratiqués sur le marché de la production audiovisuelle, la société intimée a également violé l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence et commis une faute au sens de l'article 1382 du Code Civil.

Pour s'opposer à ces prétentions, la société FR3, concluant la réformation du jugement sur ce point, soulève l'irrecevabilité de la demande formée par ces syndicats professionnels au motif :

- que le président de l'USPA n'a pas été régulièrement habilité à intervenir dans la présente instance engagée par le SNVC,

- que les syndicats concernés n'établissent pas que les faits incriminés ont porté atteinte aux intérêts collectifs de la profession qu'ils représentent.

A titre subsidiaire, elle conclut à la confirmation du jugement en faisant observer :

- que l'activité critiquée par les syndicats appelants n'a pas pour objet de développer sa mission et ses attributions mais tend à utiliser les moyens dont elle bénéficie en les mettant à la disposition temporaire de la personne intéressée ; que les documents audiovisuels ainsi réalisés n'ont jamais été diffusés sur l'antenne de la troisième chaîne et que dans ces conditions la faculté de proposer à des clients éventuels ses moyens de production ne peut, en l'absence de tout texte, subir aucune entrave ; que pas davantage l'activité critiquée par les appelants ne porte atteinte au principe de spécialité du service public ;

- que la cassette publicitaire litigieuse traitée sur un mode caricatural ne peut constituer une détournement de clientèle ni un dénigrement ;

- que les syndicats ne démontrent pas davantage qu'elle occupe sur le marché de la production audiovisuelle une position dominante au sens de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et que les conclusions de l'expert Thevenet, qui n'a effectué aucune investigation pour déterminer les prix effectivement pratiqués, n'établissent la faute invoquée ;

Elle soutient enfin qu'elle ne bénéficie d'aucune prérogative de service public et n'est soumise à aucune contrainte ou exigence de nature à le caractériser ; elle souligne qu'en tout état de cause, cette qualification relève de la seule appréciation de la juridiction administrative et demande à titre subsidiaire de surseoir à statuer dans l'attente de la décision de cette juridiction qui est seule compétente pour connaître de la légalité du décret portant cahier des charges de FR3 comme du décret relatif à la modification de son objet statutaire.

Ceci étant exposé, LA COUR,

Considérant qu'eu égard au lien qui les unit, il y a lieu d'ordonner la jonction des deux appels formés par le Syndicat des Producteurs de Programmes Audiovisuels dit SPPA et l'Union Générale des Producteurs de Programmes Audiovisuels dit USPPA.

Sur la recevabilité de l'action des appelants :

Considérant que le SPPA, le SNCV et l'USPA, en leur qualité de syndicats professionnels régis par la loi du 23 février 1927 et les articles L. 410-1 et suivants du code du travail ont pour objet la défense des intérêts professionnels économiques matériels et moraux de leurs adhérents et tiennent de la loi le droit d'agir en justice sans que ce droit soit subordonné à la preuve d'une représentativité particulière ;

Considérant que le SPPA a pour objet, aux termes de ses statuts, d'assurer la défense de la profession des producteurs de court métrage et est représenté en justice tant en demande qu'en défense par son Président dont aucune disposition ne restreint à cet égard la liberté d'exercice.

Que le SNVC qui regroupe les entreprises exerçant, dans le domaine de la vidéo-communication, des activités de prestations de production et assure la défense des intérêts de cette profession, est administré, aux termes de l'article II de ses statuts, par un comité directeur qui dispose du pouvoir de décision dans tous les domaines ne relevant pas de la compétence expresse de l'assemblée générale ;

Qu'en l'absence de toute disposition statutaire réservant à cette dernière le droit d'autoriser le Président à agir en justice, cette habilitation a été valablement donnée par le Comité directeur du 10 décembre 1982, ainsi qu'il résulte du procès-verbal de cette réunion versé aux débats ;

Considérant que l'USPA a pour objet de grouper et de représenter les producteurs d'œuvres audiovisuelles destinées à la télévision dans leur sens le plus large et quelle que soit leur spécialité et d'assurer la protection de leurs intérêts professionnels ; que l'action menée pour la défense de ces derniers est confiée à son conseil syndical ; que celui-ci a pris, ainsi qu'il résulte d'un procès-verbal de son assemblée générale du 11 mars 1988, la décision de s'associer à l'action engagée par la SNVC contre FR3;

Qu'ainsi les représentants des trois syndicats professionnels ont été régulièrement habilités à engager cette instance ;

Considérant que la campagne publicitaire critiquée par ces syndicats professionnels comme les faits de concurrence déloyale allégués par ces derniers à l'encontre de FR3 sont de nature à leur causer un trouble susceptible d'être ressenti par chacun de leurs adhérents et à porter atteinte aux intérêts collectifs de la profession que les appelants entendent protéger ; qu'il s'ensuit que leur action est ainsi recevable sans que soit démontrée l'existence d'un dommage matériel ou moral, qui constitue un moyen de fond.

Sur le fond :

Considérant que les syndicats font grief à FR3 de produire des documents audiovisuels pour le compte de tiers et de méconnaître les dispositions de l'article 44 de la loi du 30 septembre 1986 et de l'article 49 de son cahier des charges qui, selon les appelants, limitent d'une part la mission de cette chaîne à la conception et à la programmation des émissions de télévision et autorisant d'autre part l'activité de production pour elle même en limitant le recours à ses moyens de production à 70 % pour les émissions de fiction et à 75 % pour les autres ; qu'ainsi l'activité de cette chaîne qui ne rentre pas dans les cas prévus par la loi et les règlements constitue une violation de ces textes.

Mais considérant que ceux-ci définissent les droits et les obligations de cette chaîne lorsqu'elle agit dans le cadre de sa mission de conception et de programmation d'émissions de télévision mais ne peuvent trouver application lorsque cette société participe à la réalisation des tiers d'œuvres audiovisuelles qui ne sont pas diffusées par ses soins.

Considérant qu'une telle interprétation est confortée par le fait que l'article 49 du cahier des charges de FR3 n'interdit pas à cette société, à la différence de l'article 47 du cahier des charges d'Antenne 2, de " se doter de moyens propres, notamment de moyens lourds de vidéo-mobile et de laboratoires autres que ceux nécessaires à la réalisation de ses émissions " ; qu'il existe, dès lors un lien logique et nécessaire entre la possibilité pour FR3 de disposer des moyens propres de production pouvant excéder ses propres besoins et la faculté de les utiliser en qualité de prestataire de services dans des conditions qui ne sont pas contraires à la loi conformément à son objet social, puisqu'aux termes de ses statuts modifiés et approuvés par décret du 11 avril 1988, dont l'appréciation de la légalité appartient à la seule juridiction administrative, elle peut " produire ou coproduire des œuvres et documents audiovisuels ".

Considérant que le SNVC et l'USPA ne peuvent invoquer par ailleurs qu'à défaut d'autorisation législative expresse, FR3 ne pourrait exercer l'activité litigieuse au motif qu'elle ne peut être regardée comme faisant partie des opérations relevant d'un service public, alors que la loi du 30 septembre 1986 a seulement institué un secteur public de l'audiovisuel à côté d'un secteur privé, dont les entreprises qu'elles appartiennent à l'un ou l'autre secteur, sont concurrentes entre elles.

Considérant que les appelants invoquent en second lieu que FR3 disposant d'un financement privilégié grâce à la redevance audiovisuelle, abuse d'une position dominante pour pratiquer des prix très inférieurs à ceux des entreprises privées concurrentes, méconnaissant ainsi les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 comme l'article 1383 du Code civil.

Considérant que l'expert Thevenet ayant déposé son rapport, il convient comme le sollicitent les syndicats appelants, sans opposition de FR3, d'évoquer les points non jugés par le jugement du 26 octobre 1988.

Considérant que les syndicats professionnels, auxquels incombe la charge de la preuve, ne fournissent aucun élément de nature à établir l'existence d'une position dominante de FR3 sur le marché spécifique des productions audiovisuelles destinées à des usages non télévisuels; qu'il n'est fourni notamment aucune indication sur le chiffre d'affaires qu'aurait ainsi réalisé cette société tant au regard de son chiffre d'affaires global que par rapport à celui réalisé par les entreprises privées concurrentes; qu'ainsi la preuve de l'exploitation abusive par cette chaîne d'une position dominante sur le marché n'est pas rapportée.

Considérant que les conclusions de l'expert, qui a procédé à une comparaison des tarifs communiqués par les parties, sans rechercher les prix effectivement pratiqués, soulignent que les prix proposés par FR3 pour toutes les opérations de production se situaient dans la moyenne mais étaient nettement cassés pour certains services de post-production ;

Mais considérant qu'il n'a pas été tenu compte de certaine sujétions imposées par FR3 en raison de la priorité réservée à ses propres travaux ; que par ailleurs l'accomplissement de prestations à des prix inférieurs à ceux habituellement pratiqués ne peut en soi constituer des actes de concurrence déloyale en l'absence d'agissements fautifs accomplis dans le dessin ou avec la conscience de réaliser un détournement de clientèle dont la preuve n'est pas établie en l'espèce.

Considérant enfin que les syndicats allèguent que la cassette mise au point par FR3 pour promouvoir ses services met en parallèle les prestations proposées par cette chaîne avec celles d'une entreprise purement fictive donnant une image totalement désuète et incompétente de la profession, qui de ce fait est l'objet d'un dénigrement collectif.

Mais considérant, comme l'a relevé pertinemment le premier juge, qui l'entreprise concurrente de FR3 est représentée de façon si caricaturale tant dans ses locaux délabrés que dans son personnel grotesque et ses moyens obsolètes qu'elle ne peut être identifiée avec l'un quelconque des adhérents des syndicats appelants, avec lequel aucun rapprochement ne peut être effectué et que le dénigrement faute de pouvoir entraîner un détournement de clientèle par le discrédit jeté sur un concurrent n'est pas constitué.

Considérant que l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du NCPC au bénéfice des appelants.

Par ces motifs : ordonne la jonction des instances inscrites sous les n° 88-21166 et 89-00433, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a dit que l'activité de FR3 ne portait pas atteinte aux dispositions de la loi du 30 septembre 1986 et à l'article 49 de son cahier des charges et qu'elle n'avait pas procédé à un dénigrement collectif de la profession des producteurs de programmes audiovisuels. Évoquant sur les autres points non jugés, Rejette les demandes des Syndicats SNVC et USPA de leurs demandes fondées sur l'abus de position dominante et la pratique de prix anticoncurrentiels et tendant à interdire à ce titre à la société FR3 d'offrir des prestations de services en vue de la production ou de la post-production d'œuvres ou de documents audiovisuels pour le compte de tiers, Rejette toute autre demande, Condamne la SPPA, le SNVC et l'USPA aux dépens de première instance et d'appel, Admet Me Olivier avoué au bénéfice des dispositions de l'article 699 du NCPC.