CA Paris, 4e ch. A, 2 mai 1990, n° 90-000729
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Gid (Sté), Ifker
Défendeur :
Ifker Denco (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rosnel
Conseillers :
M. Poullain, Mme Mandel
Avoués :
SCP Fanet, SCP Narrat, Peytavi
Avocats :
Mes Diedler, Ieltsch.
LA COUR,
Statuant sur l'appel interjeté par la société Gid, Gérard Ifker Distribution et Monsieur Gérard Ifker du jugement rendu le 17 novembre 1989 par le Tribunal de Commerce de Paris (18e Chambre) dans le litige les opposant à la société Ifker Denco, ensemble sur l'appel incident et les demandes additionnelles des parties.
Faits et procédure
Le 23 juin 1953 a été constituée entre Marcus Ifker et Berthe Hoch une SARL dénommée M. Ifker ayant pour objet social : le commerce, l'importation, l'exportation de toutes fournitures dentaires et toutes pièces se rapportant à ces fournitures.
Cette société connaissant de graves difficultés financières, Marcus Ifker, Président Directeur Général de la société et Gérard Ifker, son fils, cédèrent le 22 mai 1987 à la société Alan Patri Cof et Cie 4875 actions de la société M. Ifker au pris de 1 F l'action.
La situation financière ne s'étant cependant pas rétablie, la société M. Ifker fit l'objet d'une procédure de redressement judiciaire et par jugement en date du 6 mars 1989 le Tribunal de Commerce arrêtait un plan de cession.
Le 25 avril 1989, la cession du fonds de commerce se trouvait concrétisée au profit de la société Ifker Denco. Il était précisé à l'acte que les éléments incorporels cédés comprenaient plus particulièrement la marque Ifker déposée sous le n° 101 660 à l'Institut National de la Propriété Intellectuelle le 10 janvier 1989 par la société M. Ifker et le nom commercial M. Ifker.
Gérard Ifker, qui avait été maintenu dans ses fonctions d'administrateur de la société et était rémunéré en qualité de Directeur Technique, notifiait sa démission avec effet immédiat par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 28 octobre 1987.
Après avoir été employé par la société Healthoc France il constituait le 1er février 1989 avec son père Marcus Ifker, son épouse Chantal Ifker et deux autres personnes, la société Gérard Ifker Distribution, sigle GID, dont l'objet social est plus particulièrement le négoce de produits et matériels médicaux et paramédicaux et notamment dentaires.
Cette société était immatriculée le 23 février 1989 au registre du commerce.
La société Ifker Denco, estimant que la constitution de la société Gérard Ifker Distribution, qui aurait été précédée de diverses publications et accompagnée de débauchage de personnel et de détournement de clientèle, était constitutive de concurrence déloyale, a assigné la société Gérard Ifker Distribution, Gérard Ifker, Chantal Ifker et Marcus Ifker devant le Tribunal de Commerce pour :
- voir dire que les agissements des défendeurs étaient constitutifs de concurrence déloyale,
- faire interdiction à la société Gid et aux trois autres défendeurs d'utiliser la dénomination Ifker dans tous les documents administratifs et publicitaires sous astreinte définitive et solidaire de 2 000 F par infraction constatée,
- condamner la société Gérard Ifker Distribution à rectifier sa dénomination commerciale et son sigle GID pour faire disparaître du registre du commerce et de son papier à entête la dénomination Ifker et ce sous astreinte de 2 000 F par jour de retard,
- condamner solidairement les défendeurs au paiement de 200 000 à titre de dommages et intérêts ainsi que 15 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Les défendeurs soulevaient une exception d'incompétence au profit du Tribunal de Grande Instance de Paris, subsidiairement concluaient à ce que la société Ifker Denco soit déboutée de toutes ses demandes et reconventionnellement sollicitaient qu'il soit fait interdiction à la société Ifker Denco d'utiliser le nom patronymique Ifker sous quelque forme que ce soit sous astreinte définitive de 2 000 F par infraction constatée, que soit prononcée la nullité du dépôt de la marque Ifker.
Enfin ils réclamaient chacun paiement de la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
La demanderesse ultérieurement s'est désistée à l'encontre de Chantal Ifker et Marcus Ifker et a sollicité la publication du jugement.
Le Tribunal, par jugement déféré du 17 novembre 1989, déclarait bien fondée l'exception d'incompétence pour ce qui a trait à la marque Ifker, mais la rejetait pour le surplus. Il déclarait la société Gérard Ifker Distribution coupable de concurrence déloyale, lui interdisait ainsi qu'à Gérard Ifker d'utiliser la dénomination Ifker dans tous documents administratifs et publicitaires sous astreinte de 2 000 F par jour de retard à compter de la signification de la décision, condamnait la société Gérard Ifker Distribution à rectifier sa dénomination commerciale et son sigle Gid, pour faire disparaître du registre du commerce et des sociétés ainsi que de son papier à entête la dénomination Ifker sous astreinte définitive de 2 000 F par jour de retard à compter de la signification de la décision, condamnait in solidum la société Gérard Ifker Distribution et Gérard Ifker à payer à la société Ifker Denco la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 8 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, ordonnait diverses mesures de publication et l'exécution provisoire pour l'interdiction et la rectification.
Appelants par déclaration en date du 12 décembre 1989 et autorisés par ordonnance en date du 20 décembre 1989 à assigner la société Ifker Denco à comparaître à jour fixe, Gérard Ifker Distribution (GID) et Gérard Ifker sollicitent l'infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et la condamnation de la société Ifker Denco à leur payer à chacun la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Ifker Denco conclut à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts.
Elle sollicite la condamnation de la société Gérard Ifker Distribution et de Gérard Ifker à lui payer par provision la somme de 500 000 F à valoir sur son préjudice à déterminer à dire d'expert, la liquidation à titre provisoire des astreintes prononcées par les premiers juges à la somme de 222 000 F chacune, l'augmentation de l'astreinte de 4 000 F par jour de retard faute pour les défendeurs d'avoir modifié leurs documents administratifs et publicitaires, enfin paiement de la somme de 20 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Gérard Ifker et la société Gérard Ifker Distribution ont conclu à ce que la demande de liquidation d'astreinte soit déclarée irrecevable, en tout cas mal fondée.
Discussion
I Sur l'utilisation du nom Ifker :
Considérant que Gérard Ifker et la société Gérard Ifker Distribution font valoir que Gérard Ifker n'ayant jamais ni cédé tout ou partie des droits patrimoniaux attachés à son nom patronymique ni renoncé à s'en prévaloir à l'encontre de quiconque ne saurait être privé du droit d'utiliser son patronyme en tant que nom commercial, fût-ce pour désigner une entreprise concurrente de Ifker Denco aux droits de la SA M. Ifker ; qu'ils soutiennent qu'au surplus la société Ifker Denco ne justifie pas avoir l'antériorité de l'usage du nom commercial composé "Ifker Denco" par rapport aux premières manifestations publiques de l'usage de son nom par la société Gérard Ifker Distribution ;
Considérant qu'Ifker argue a contrario qu'elle a acquis légitimement le droit d'utiliser le nom Ifker et bénéficie d'une antériorité d'usage, le fonds de commerce par elle acquis ayant été créé en 1953 ;
Considérant qu'il est constant que Marcus Ifker a fondé en juin 1953 une société ayant pour objet le commerce de fournitures dentaires avec son nom patronymique Ifker comme nom commercial ; qu'en raison de son insertion dans les statuts de la société signés par Marcus Ifker, ce patronyme est devenu un signe distinctif qui s'est détaché de la personne physique qui le porte pour s'appliquer à la personne morale qu'il distingue et devenir ainsi objet de propriété incorporelle ; que ce nom patronymique qui a pris le caractère d'un nom commercial était donc cessible comme élément incorporel du fonds de commerce M. Ifker ;
Considérant dès lors que Ifker Denco, cessionnaire du fonds de commerce, est devenu en ce que ne conteste d'ailleurs pas Gérard Ifker Distribution, titulaire du nom commercial Ifker ;
Considérant, par ailleurs, qu'Ifker Denco est en droit, contrairement à ce que soutient Gérard Ifker Distribution, de faire remonter l'usage de ce nom commercial à 1953, étant subrogée en qualité de cessionnaire du fonds dans tous les droits de son cédant ;
Que Gérard Ifker Distribution ne démontre pas qu'il y ait eu interruption dans l'usage du nom Ifker soit du fait de la société M. Ifker soit de celui de Ifker Denco ;
Mais considérant sur l'usage à titre commercial du nom patronymique Ifker que Gérard Ifker Distribution n'a pas été créée par Marcus Ifker mais par son fils Gérard Ifker ;
Considérant que Gérard Ifker, âgé de 7 ans à la date de création SARL M. Ifker, n'a pas signé les statuts de cette société ;
Que pas davantage n'est-il prouvé qu'il ait signé les statuts de la SA M. Ifker (ceux-ci n'étant pas versés aux débats) au moment de la transformation de la SARL en SA ou ait fait ultérieurement apport de son nom patronymique à titre de nom commercial à la SA M. Ifker ; qu'il ne peut être déduit, du fait que Gérard Ifker ait occupé des fonctions d'administrateur et de Directeur Général adjoint au sein de la société M. Ifker et ait été porteur d'actions, qu'il ait fait apport de son nom à la société M. Ifker ;
Considérant dans ces conditions que Gérard Ifker était en droit d'apporter son nom à la société qu'il dirige aujourd'hui ;
II Sur le risque de confusion :
Considérant que Gérard Ifker exerçant réellement des fonctions de direction au sein de la société Gérard Ifker Distribution, l'apport de son patronyme à la société qu'il anime, n'est pas frauduleux ;
Considérant qu'il est constant et non contesté que Gérard Ifker Distribution, seconde en date, exerce des activités directement concurrentes de celles d'Ifker Denco, les deux sociétés ayant principalement pour objet la commercialisation d'appareils et matériels dentaires ;
Considérant que si, comme il a été démontré ci-dessus, Gérard Ifker était en droit d'apporter son nom patronymique à la société appelante, il échet de rechercher si par l'utilisation qu'elle fait de son nom commercial, Gérard Ifker Distribution cherche à créer une confusion dans l'esprit de la clientèle avec Ifker Denco;
Considérant que si M. Ifker, à laquelle a succédé Ifker Denco, bénéficie en raison de son ancienneté d'un certain renom dans le milieu professionnel des dentistes, son nom commercial ne constitue pas pour autant un nom commercial notoire ;
Considérant qu'il résulte des pièces versées aux débats que depuis sa création Gérard Ifker Distribution n'a pas cherché à tirer profit de son homonymie avec Ifker Denco ;
Que Gérard Ifker Distribution a toujours pris soin, dans le cadre de ses activités commerciales, de faire précéder le nom Ifker du prénom Gérard et d'y adjoindre le sigle Gid; qu'elle s'est fait connaître en tant que Gérard Ifker Distribution et non comme apparentée ou rattachée à Ifker Denco par un quelconque lien ;
Considérant qu'il apparaît que seuls quelques fournisseurs ont fait une confusion entre les deux sociétés et que s'agissant plus particulièrement de la société Bayer, c'est une de ses déléguées qui, lors de la prise de commande, a réalisé une erreur de saisie informatique ;
Considérant en ce qui concerne la clientèle que la preuve d'une seule méprise est rapportée, celle de l'Assistance Publique pour une commande, et au profit d'ailleurs d'Ifker Denco ;
Considérant en conséquence que ces seuls éléments sont insuffisants pour caractériser un détournement des commandes et de la clientèle ;
Que dès lors tout risque de confusion peut être évité par l'adjonction au nom Ifker du prénom Gérard et du mot "distribution" sous réserve que pour leurs activités professionnelles et commerciales Gérard Ifker et la société Gérard Ifker Distribution utilisent les mots "Gérard" et "Distribution", d'une part dans les mêmes caractères et dimensions et sans qu'aucun d'entre eux ne soit privilégié par rapport à l'autre par un quelconque artifice, d'autre part en les accompagnant du sigle GID ;
Qu'il convient de réglementer ainsi l'usage du nom commercial de l'appelante ;
Considérant que le jugement entrepris doit donc être infirmé en ce qu'il a fait interdiction à Gérard Ifker et à la société Gérard Ifker Distribution d'utiliser la dénomination Ifker ;
III Sur le débauchage de personnel :
Considérant qu'Ifker Denco fait également grief à Gérard Ifker Distribution d'avoir débauché du personnel ;
Mais considérant que pour des motifs pertinents que la Cour adopte, les premiers juges ont relevé qu'Ifker Denco ne rapportait pas la preuve que Messieurs Henry, Figard, Fargeaud, Barrier, Amirault, Marie, Mesdames Jouno et Lebot, étaient toujours salariés de la société M. Ifker au moment de la cession à Ifker Denco ; qu'au surplus le plan de cession arrêté par le Tribunal de Commerce le 6 mars 1989 ne prévoyait pas la reprise de l'intégralité du personnel par Ifker Denco ;
IV Sur la liquidation de l'astreinte ;
Considérant qu'Ifker Denco étant déboutée de sa demande en interdiction d'usage de la dénomination Ifker, cette demande est sans objet ;
V Sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile :
Considérant que l'équité ne commande pas qu'il soit fait application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile à l'une quelconque des parties ;
Par ces motifs : Infirme le jugement entrepris, et statuant à nouveau : Déboute la société Ifker Denco de sa demande en concurrence déloyale ; Dit que Gérard Ifker et la société GID, anciennement dénommée Gérard Ifker Distribution, sont en droit d'utiliser le nom Ifker dans les conditions énoncées dans les motifs ; Déboute les parties du surplus de leurs demandes ; Condamne la société Ifker Denco aux entiers dépens de première instance et d'appel ; Admet la Société Civile Professionnelle Fanet, titulaire d'un office d'avoué, au recouvrement direct prévu par l'article 699 du nouveau code de procédure civile.