CA Bordeaux, 2e ch., 28 mars 1990, n° 5096-88
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Miroiterie Atlantique (SARL)
Défendeur :
Miroiterie Broquart (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gaubert
Conseillers :
MM. Martin, Courbin
Avoués :
Mes La Barazer, Fournier
Avocats :
Mes Bouffard, Lacroix.
Vu le jugement rendu le 9 août 1988 par le Tribunal de Commerce de Bordeaux, dont la Société Miroiterie Atlantique a relevé appel par acte du 4 octobre 1988 dans des conditions de régularité non contestées,
Vu les conclusions déposées le 25 avril 1989 pour l'appelante, les 18 janvier 1989 et 8 décembre 1989 pour la SA Miroiterie Broquart ;
Attendu que la Cour se réfère pour l'exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties au jugement déféré et aux conclusions déposées ; qu'il n'y a pas lieu d'ordonner la jonction de cette instance avec l'appel de l'ordonnance de référé du 12 novembre 1987 qui fait l'objet d'une décision de ce jour ;
Qu'il y a lieu de rappeler que la totalité des actions de la Miroiterie Broquart a été cédée en mars 1979 par la Veuve de Charles Broquart et son fils Pierre Broquart lequel avait créé une autre entreprise la Miroiterie d'Aquitaine puis a fondé le 7 novembre 1980 la Miroiterie Atlantique ; que le litige a pour origine l'utilisation dans ses documents commerciaux ou publicitaires du nom de Pierre Broquart son gérant depuis 1983, la Société Miroiterie Broquart soutenant que la Miroiterie Atlantique, qui a une activité concurrente de la sienne, ne peut prétendre au droit d'utiliser le nom patronymique de Broquart lequel constitue un élément essentiel de la Société Miroiterie Broquart ;
Attendu que la Société Miroiterie Atlantique critique la décision déférée qui a fait droit à la demande de la Miroiterie Broquart au motif qu'elle peut utiliser le nom patronymique de son gérant et que cette utilisation est antérieure à la cession intervenue de la Société Miroiterie Broquart et n'a donc pas modifié les rapports économiques et commerciaux sur le marché de la miroiterie à Bordeaux ;
Attendu que l'action en concurrence déloyale sanctionne un usage excessif de la liberté du commerce qui n'est pas absolue, la recherche de la clientèle ne devant pas être placée sous le signe de la déloyauté ; que tout procédé déloyal employé dans la lutte concurrentielle constitue une faute qui engage sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil la responsabilité de son auteur, ce dernier étant tenu de réparer les conséquences dommageables de son acte ; que l'usage d'un nom peut constituer un tel procédé, car si une personne exerçant un commerce possède le libre usage commercial de son nom patronymique, elle ne doit pas s'en servir de façon à créer une confusion avec des concurrents portant le même nom et en faisant eux-mêmes usage ;
Attendu qu'en l'espèce, Pierre Broquart et sa mère ont cédé la totalité des actions de la Société Miroiterie Broquart, dont la raison sociale comprend le nom " Broquart " ainsi qu'en atteste le Registre du Commerce, ce nom constituant sans nul doute possible un élément caractéristique et essentiel, alors qu'il ne figure pas dans la raison sociale de la Miroiterie Atlantique;
Attendu cependant que cette société a fait apparaître le nom Broquart dans ses annexes publicitaires, sur son bâtiment et ses véhicules ;
Qu'elle ne saurait invoquer un accord avec la Société Miroiterie Broquart avant sa cession, accord non établi, car sur le papier commercial de Miroiterie Aquitaine apparaît certes le nom de Pierre Broquart alors son dirigeant, mis en dessous du sigle et de la raison sociale de la Société, comme les autres renseignements donnés habituellement sur le papier commercial d'une société ; qu'il résulte de la correspondance versée aux débats par la Miroiterie Broquart que celle-ci, rapidement après sa cession en Mars 1979, a demandé le 12 décembre 1980 à la Société Miroiterie D'Aquitaine de ne pas faire paraître la référence Pierre Broquart dans les documents de la Société laquelle, représentée par ses nouveaux dirigeants, a fait le nécessaire immédiatement ;
Que c'est seulement sur les pages jaunes de l'annuaire des PTT paru en 1983 que figure une annonce de la Miroiterie Atlantique faisant apparaître le nom de Pierre Broquart, en caractère d'imprimerie aussi gros que ceux du nom de la Société, avant le nom de celle-ci et encadré, le nom de Pierre Broquart attirant ainsi le regard avant celui de la Société Atlantique ;
Qu'aussitôt la Miroiterie Broquart s'est opposée à cette publicité par une mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 septembre 1983 puis une sommation interpellative du 3 décembre 1983 diligentée par Maître Drouhaut, Huissier à Bordeaux, dont Pierre Broquart n'a tenu aucun compte ; que chaque année cette annonce est parue ;
Que l'annuaire PTT édition Juin 1987 dans la rubrique " Miroiterie " figure " Broquart Pierre (voir annonce même page) ", et ce, juste au dessus de " Broquart & Cie Miroiterie ", annonce présentant toujours les mêmes caractéristiques figurant à la lettre M ;
Qu'une telle publicité en utilisant le nom de Broquart qui fait partie de la raison sociale de la Société " Miroiterie Broquart ", société concurrente car les deux sociétés offrent des produits et des services pour le moins analogues et s'adressent à la même clientèle dans la région bordelaise, est de nature à créer dans l'esprit de la clientèle une confusion, les différences existantes entre les deux annonces n'évitant pas cette confusion ; qu'elle constitue donc un acte de concurrence déloyale ;
Qu'il en est de même de l'apposition du nom de Pierre Broquart sur le local de la Miroiterie Atlantique ;
Que la persistance de celle-ci à maintenir le nom malgré les mises en demeure de la Miroiterie Broquart démontre à elle seule sa volonté de détourner à son profit une partie de la clientèle de son concurrent ;
Que la Société Broquart produit 4 lettres de personnes s'étant adressées à l'une des deux sociétés croyant s'adresser à l'autre, ayant été induites en erreur par les agissements de la Miroiterie Atlantique ;
Attendu dès lors que la décision des premiers juges doit être confirmée en toutes ses dispositions si ce n'est l'évaluation du préjudice subi par la Miroiterie Broquart fixé à 20 000 F et que la Cour estime à 60 000 F, compte tenu de la persistance de l'appelante à utiliser le nom de Broquart ;
Attendu que la Société Miroiterie Atlantique qui succombe doit supporter les entiers dépens ; que par l'exercice de cette voie de recours elle a contraint la Miroiterie Broquart à exposer des frais irrépétibles de procédure qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge et que la Cour évalue à 3 000 F ;
Par ces motifs : LA COUR Déclare la Société Miroiterie Atlantique recevable mais non fondée en son appel, Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle a fixé les dommages intérêts alloués à la Société Miroiterie Broquart à 2 000 F, et statuant à nouveau, fixe à 60 000 F cette indemnité ; Y ajoutant, condamne la Miroiterie Atlantique à payer 3 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile à la Miroiterie Broquart, La condamne aux entiers dépens, application étant faite des dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile au profit de Maître Fournier, Avoué à la Cour.