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Décisions

CA Paris, 1re ch. A, 26 mars 1990, n° 89-5087

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Planiol, Degrelle

Défendeur :

INC

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hannoun

Conseillers :

MM. Canivet, Bergougnan

Avoués :

SCP Fisselier Chiloux Boulay, Me Valdelievre

Avocats :

Mes Champetier de Ribes, Landry.

TGI Paris, 1re ch., 1re sect., du 11 jan…

11 janvier 1989

Le Journal " 50 millions de consommateurs " édité par l'INC a publié dans son numéro du mois de mars 1988 un article consacré à l'essai comparatif des tests de grossesse.

Au mois d'avril suivant, le mensuel " Parents " a fait paraître sous le titre " Test de grossesse, deux faux bancs d'essai ".. une " interview " par Madame Françoise Planiol de M. Hervé Degrelle Professeur à la Faculté de médecine de Paris qui donnait son opinion sur les tests auxquels il avait été ainsi procédé et leurs résultats.

Estimant que le contenu de cet article, diffamatoire à son égard, constitue en outre un abus caractérisé du droit de critique, par acte extrajudiciaires de 19 et 26 mai 1988, l'INC a assigné Messieurs Degrelle et Tenot, ce dernier pris en sa qualité de directeur de publication du magazine " Parents ", ainsi que Mme Planiol, pour le faire constater, obtenir le paiement de 100 000 F de dommages-intérêts, et faire ordonner les mesures de publication habituelles en cette matière.

Par jugement du 11 janvier 1989, le Tribunal de Grande Instance de Paris a mis Monsieur Tenot hors de cause, et, estimant que la véhémence des expressions utilisées dans l'article litigieux et les insinuations sur la moralité du but recherché qu'elles contenaient, tendaient à jeter le discrédit sur l'honnêteté de la revue " 50 millions de consommateurs ", il a ordonné la mesure de publication sollicitée et condamné in solidum M. Degrelle et Mme Planiol au paiement de 50 000 F de dommages-intérêts.

Monsieur Degrelle et Mme Planiol ont tous deux interjeté appel de cette décision.

Le premier maintient que le contenu du texte litigieux qui n'excède pas les limites du libre droit de critique ne constitue pas un dénigrement fautif et il explique la véhémence des termes qui y sont utilisés par l'indignation qu'a suscitée en lui la procédure expérimentale " scandaleusement aberrante " qui était décrite dans l'article publié en mars 1988 par " 50 millions de consommateurs ". Il sollicite la paiement de 100 000 F de dommages-intérêts et celui de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Madame Planiol qui réclame le paiement d'une somme identique pour les frais irrépétibles qu'elle a été dans l'obligation d'exposer du fait de la présente instance, conclut également à l'infirmation de la décision entreprise.

Elle soutient que l'INC qui n'était pas directement mis en cause dans l'article qui a été publié par la revue " 50 millions de consommateurs " est irrecevable en ses demandes.

Rappelant que la polémique qui s'est instaurée entre M. Degrelle et le journal de l'INC touche à un sujet purement scientifique, elle explique le contenu de l'interview auquel elle a procédé et les termes qui y sont utilisés par l'indignation " réelle et légitime " qui a été ressentie par M. Degrelle à la lecture de l'article qui avait été publié dans " 50 millions de consommateurs ".

Elle soutient également que la demande formée par l'INC a pour fondement les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 et rappelle que la prescription de trois mois prévue en cette matière est acquise depuis longtemps.

L'INC qui affirme au contraire avoir été directement mis en cause dans le texte publié par " Parents " déclare être de ce fait recevable à agir. Il estime que contrairement à ce que soutiennent les appelants, les termes de l'interview de M. Degrelle excédant notablement les limites du libre droit de critique, il y a lieu de confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel et il sollicite le paiement de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 NCPC.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il est référé au jugement entrepris et aux écritures d'appel.

Sur quoi, LA COUR,

Considérant que l'INC est un établissement public ayant pour mission d'informer les consommateurs ; qu'il doit à cette fin effectuer des études techniques relatives à la qualité des produits, et à leur fiabilité dont le résultat est publié par la revue " 50 millions de consommateurs " ;

Que celle-ci ayant été directement et nommément mise en cause dans l'interview de M. Degrelle par Mme Planiol, qui a été publié par " Parents ", l'INC est donc recevable en sa demande ;

Que les conclusions qui sont développées en cause d'appel par cette partie ne faisant pas référence au délit de diffamation mais précisant sans ambiguïté que les propos tenus par M. Degrelle constituaient un abus manifeste du droit de critique, la fin de non recevoir opposée par Mme Planiol pour faire déclarer l'action de l'INC prescrite, doit être rejetée ;

Considérant que l'introduction du texte litigieux précise que : " La revue 50 millions de consommateurs a publié les résultats d'essais comparatifs sur 12 marques de tests de grossesse, ils mettent gravement en cause leur fiabilité. Le Pr H. Degrelle Professeur à la Faculté de médecine de Paris, médecin biologiste et spécialiste des hormones tient à expliquer dans " Parents " pourquoi le dossier de " 50 millions n'a aucune valeur scientifique " ;

Considérant que l'INC précise par ailleurs dans les conclusions qu'elle a fait signifier le 13 novembre 1989 qu'il convient de " rappeler que ces tests ne prétendent pas être une expertise scientifique mais un essai portant sur une qualité de produits de consommation courante en se situant non pas au niveau de la science, de la Recherche fondamentale ou de l'Université, mais à celui des consommateurs utilisateurs.. " ;

Qu'il est évident, dans ces conditions, que la polémique qui s'est instaurée du fait de la publication des deux articles résulte d'un quiproquo qui tient au fait que, comme le reconnaît lui-même l'INC, le texte de 50 millions de consommateurs n'entendait pas être considéré comme le résultat d'une expertise purement scientifique, ce qui n'a pas été perçu et compris ainsi par M. Degrelle qui s'est au contraire livré sous ce seul aspect au commentaire et à la critique de cet article ;

Que l'INC qui reconnaît lui-même que les tests décrits dans 50 millions de consommateurs ne se situaient pas au niveau de la science, de la recherche fondamentale ou de l'Université, ne peut donc considérer comme fautif et outrepassant le libre droit de critique, le commentaire qui en a été fait par un chercheur et un universitaire qui s'est cantonné aux domaines purement scientifiques et professionnels qui sont les siens.

Que les observations et remarques formulées à cette occasion, si excessives qu'elles puissent paraître, ne sont donc pas constitutives d'une faute;

Considérant en outre que la critique ne peut utilement remplir sa mission s'il ne lui est laissé une large liberté d'opinion et d'expression et que les appréciations mêmes sévères portées dans le cadre d'une polémique de cette nature dès lors qu'elles ne visent pas, comme c'est le cas, directement l'INC et la revue " 50 millions de consommateurs ", n'apparaissent pas abusives, alors surtout que l'indignation ressentie par M. Degrelle est essentiellement subjective (j'ai été indigné, j'ai été horrifié)... et que même précédé de l'adverbe "scandaleusement" l'adjectif aberrant ne peut dans le contexte où il a été utilisé être considéré comme l'expression fautive d'un dénigrement systématique et abusif ;

Qu'enfin et contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, le voeu impersonnel émis par M. Degrelle qui souhaite que soit pratiquée " une expertise par des gens compétents en dehors de toute pression commerciale... " ne constitue pas non plus une insinuation de nature à jeter le discrédit sur la revue " 50 millions de consommateurs " qui n'est même pas citée dans tout ce paragraphe qui constitue les conclusions de l'interview qui a été réalisée par Mme Planiol ;

Qu'il échet en conséquence d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

Que M. Degrelle ne rapportant pas la preuve de l'existence d'un préjudice, il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande en paiement de dommages-intérêts ;

Que l'équité ne commande pas de faire application en la cause des dispositions de l'article 700 NCPC.

Par ces motifs : Infirme en toutes ses dispositions le jugement du 11 janvier 1989. Rejette toutes les autres demandes formées ; Condamne L'Institut National de la Consommation aux dépens de première instance et d'appel ; Dit que ceux qui ont été exposés devant la Cour seront recouvrés dans les conditions prévues à l'article 699 du NCPC par Me Valdelievre et la SCP Fisselier Chiloux Boulay, avoués.