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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 8 mars 1990, n° 88-9616

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Laurent Lachkar, Rosatex Select Diffusion (Sté), Sunset (Sté), Beaumel (ès qual.)

Défendeur :

Chanel (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bonnefont

Conseillers :

MM. Gouge, Audouard

Avoués :

SCP Narrat-Peytavi, SCP Parmentier-Hardouin

Avocats :

Mes Chantecaille, Le Tarnec.

TGI Paris, du 3 mars 1988

3 mars 1988

LA COUR : - Faits et procédure de première instance :

Titulaire de la marque dénominative Chanel 1.223.099 et de la marque figurative 1.330.490 constituée de deux C majuscules entrecroisés en sens contraires, toutes deux désignant en particulier les vêtements et tous articles d'habillement (classe 25), la Société Chanel faisait opérer deux saisies-contrefaçons l'une le 29 juillet 1987 au magasin " Mannequins " à la Rochelle, l'autre le 30 juillet à La Baule au magasin " Tansat " de la Société Sunset.

Ces saisies permettraient de constater la présence de tee-shirts portant l'inscription Chanel et le double C entrecroisé dans les deux magasins susvisés. De plus, dans le magasin Mannequins, l'huissier remarquait diverses affichettes et en vitrine un panneau publicitaire utilisant le terme Chanel, certaines affichettes mettant en évidence le " prix Mannequins : 119 francs ", l'une d'elles indiquant " 119 francs, du Chanel, à ce prix-là j'achète ".

Il apparaissait qu'en réalité les articles en question avaient été fournis par la Société Rosatex-Select Diffusion.

C'est dans ces conditions que les 4 et 13 août 1987, la Société Chanel assignait les Sociétés Rosatex-Select Diffusion, Mannequins et Sunset en contrefaçon, la seconde se voyant en outre imputer des actes de concurrence déloyale. Les mesures habituelles de réparation et de protection étaient sollicitées.

Concluant au débouté, Lachkar, exerçant le commerce sous l'enseigne Mannequins, réclamait des dommages-intérêts à la Société Rosatex pour atteinte à sa réputation.

Les Sociétés Sunset et Rosatex étaient non comparantes.

LE JUGEMENT CRITIQUE :

Par son jugement du 3 mars 1988, le Tribunal de Grande Instance de Paris a entre autres dispositions :

- donné acte à Lachkar de son intervention volontaire au lieu et place de " Mannequins ",

- dit que la Société Rosatex, Lachkar et la Société Sunset en détenant, offrant en vente et en vendant des tee-shirts comportant la marque Chanel et la marque composée de deux C entrecroisés en sens contraires ont commis des actes de contrefaçon des marques dont est titulaire la Société Chanel,

- dit que Lachkar en utilisant une publicité créée pour la Société Chanel et en s'en servant pour faire croire qu'il vendait d'authentiques tee-shirts Chanel a commis des actes de concurrence déloyale,

- interdit aux défendeurs l'usage desdites marques à compter de la signification du jugement et passé ce délai sous astreinte définitive de 500 francs par infraction constatée,

- condamné in solidum Lachkar et la Société Rosatex à payer à la Société Chanel 200.000 francs de dommages-intérêts pour atteinte à ses marques,

- condamné Lachkar à payer à la Société Chanel 100.000 francs de dommages-intérêts pour le préjudice né de la concurrence déloyale,

- condamné in solidum les Sociétés Sunset et Rosatex à payer à la Société Chanel 200.000 francs de dommages-intérêts,

- autorisé la Société Chanel à faire publier le dispositif du jugement dans quatre journaux ou revues de son choix, dont deux aux frais in solidum des Sociétés Rosatex et Sunset, le coût global des insertions ne pouvant excéder à leurs charges la somme HT de 20.000 francs pour les deux premiers et de 20.000 francs pour les deux seconds,

- condamné in solidum Lachkar et la Société Rosatex à payer à la Société Chanel 5.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et in solidum les Sociétés Rosatex et Sunset à payer en vertu de ce texte 5.000 francs à la Société Chanel.

L'APPEL :

Appelant du jugement par déclaration du 13 avril 1988, Lachkar conclut à son infirmation au motif qu'il a cru commercialiser de vrais produits Chanel. Subsidiairement il prie la Cour de réduire notablement le montant des condamnations et de dire qu'en toute hypothèse la Société Rosatex lui doit garantie.

Intimée, Chanel conclut à la confirmation de la décision attaquée dans son principe en demandant toutefois à la Cour de condamner Lachkar et les Sociétés Rosatex et Sunset à lui payer 200.000 francs de dommages-intérêts pour chacune des atteintes portées à ses deux marques, une provision de 500.000 francs avant expertise en vue de déterminer son préjudice commercial. Elle réclame de plus 200.000 francs à Lachkar pour les actes d'usurpation de marque et de concurrence déloyale qu'il a personnellement commis, l'élévation à 20.000 francs par insertion du coût des publications mises à la charge des condamnés. Elle sollicite 30.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La Société Rosatex, intimée, prise en la personne de Quitton, liquidateur amiable, a été assignée et réassignée à la requête de Chanel. Un procès-verbal de signification a été dressé les 29 mai et 30 novembre 1989. L'huissier n'a pas trouvé Quitton à la dernière adresse connue de la société 26 rue Xervois à Paris. Quitton a disparu depuis quatre ans.

De son côté, Lachkar a fait assigner Rosatex à l'adresse précitée le 12 décembre 1989. Elle y est inconnue.

Le 29 décembre 1989, une assignation en intervention forcée a été délivrée à la requête de Lachkar à Brunet Beaumel, pris en qualité de mandataire liquidateur de la Société Sunset. Brunet Beaumel n'a pas constitué avoué.

SUR CE LA COUR :

Qui pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties se réfère au jugement critiqué et aux écritures d'appel.

Considérant qu'il échet de constater que Chanel, outre qu'elle n'a pas assigné le mandataire liquidateur de la Société Sunset n'a pas en ce qui concerne cette dernière établi ses conclusions en tenant compte de la procédure collective et de plus ne justifie pas la déclaration de créance prévue à l'article 50 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Qu'il apparaît conforme à une bonne administration de la justice de disjoindre le cas de Sunset et d'ordonner que l'affaire sera radiée par application des articles 381 et 383 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Considérant que la procédure est régulière à l'égard de Rosatex ; que l'arrêt sera réputé contradictoire à son égard ;

Considérant que les conclusions de l'appelant ne proposent aucun moyen propre à invalider les motifs ayant conduit les premiers juges à retenir à sa charge une contrefaçon de marques et des actes de concurrence déloyale ;

Qu'il suffira ici de rappeler que devant les juridictions civiles la bonne foi est inopérante en matière d'atteintes à la marque, étant observé que la référence faite par Lachkar aux lois de 1844 et de 1968 qui traitent des brevets est dans le présent débat dénuée de pertinence ; qu'au demeurant, force est de relever qu'aucune pièce n'a été mise aux débats pour donner quelque crédibilité à ses protestations de bonne foi, spécialement en ce qui touche des actes de concurrence déloyale de nature à aggraver notablement l'avilissement des marques et des produits Chanel dont cette maison au prestige mondial est bien fondée à se plaindre;

Considérant que l'appel de Lachkar, mal fondé, sera rejeté ; que pour les raisons sus-exposées, le préjudice subi par Chanel présente du fait des actes de concurrence déloyale un caractère de particulière gravité ;

Qu'il apparaît équitable d'élever comme il sera dit au dispositif le montant de l'indemnité mise à la charge de Lachkar personnellement et le coût des insertions que devront supporter Rosatex et Lachkar, les autres dispositions étant confirmées sous réserve de la disjonction ;

Considérant que Lachkar n'est pas fondé à être garanti par la Société Rosatex des conséquences de la contrefaçon retenue contre lui ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Chanel les frais non compris dans les dépens exposés pour la défense de ses légitimes intérêts ; que pour l'ensemble de la procédure, Rosatex et Lachkar seront condamnés à lui payer le montant indiqué ci-dessous ;

Par ces motifs : Et ceux non contraires des premiers juges, Ordonne la disjonction du cas de la Société Sunset en liquidation judiciaire ; Dit que l'affaire, pour ce qui reste à juger, sera radiée et pourra être remise au rôle sur simple demande écrite ; Dit l'arrêt réputé contradictoire à l'égard de la Société Rosatex et Select Diffusion ; Disant Lachkar mal fondé en son appel et en toutes ses prétentions ; l'en déboute et sur l'appel incident de la Société Chanel, élève à 150.000 francs le montant de l'indemnité que Lachkar devra payer au titre de la concurrence déloyale ; Dit que le coût des publications mis à la charge in solidum de la Société Rosatex et de Lachkar sera de 25.000 francs HT, ces publications devant faire mention de l'arrêt ; Confirme sur les autres mesures et condamnations en tant qu'elles s'appliquent à Lachkar et à la Société Rosatex en élevant toutefois à 15.000 francs la somme allouée à la Société Chanel au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Dit que Lachkar et la Société Rosatex supporteront les dépens de première instance et d'appel ; Admet la SCP Parmentier-Hardouin, avoué, au bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.