CA Aix-en-Provence, 2e ch. civ., 8 mars 1990, n° 88-1350
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Pin Ups and Co (SARL)
Défendeur :
Parfums Loris Azzaro (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mistral
Conseillers :
MM. Degrandi, Chalumeau
Avoués :
SCP Martelly, SCP Sider
Avocats :
Mes Threard, Lombard, Bizet.
Par lettres des 21 juin et 15 juillet 1982, la société Pin Ups and Co, en cours de formation, a demandé à la SA Parfums Loris Azzaro de l'agréer pour la distribution des parfums Loris Azzaro ;
Cette dernière a transmis le 13 septembre 1982, un formulaire de candidature et a fait visiter le fonds le 4 janvier 1983 par son représentant selon ce qu'elle précise :
Au vu du rapport de celui-ci, elle a notifié le 22 février 1983 un refus fondé sur la non conformité des installations et du commerce à ses critères de distribution ;
Dûment autorisée, elle a fait constater le 31 mars 1987, la vente de produits Azzaro par la société Pin Ups ;
Le 12 juin 1987, elle a assigné cette dernière devant le président du Tribunal de Commerce de Marseille qui, par ordonnance du 10 juillet 1987, s'est déclaré incompétent ;
Le 18 août 1987, elle a cité l'intéressée devant le Tribunal de Commerce de cette ville qui, par jugement contradictoire du 10 décembre 1987 a :
- interdit à la société Pin Ups la vente de tous produits Loris Azzaro sous astreinte de 1.000 F par produit mis à la vente ;
- désigné un huissier aux fins de saisir le stock détenu par celle-ci ;
- condamné cette dernière à payer à la demanderesse 5.000 F à titre de dommages intérêts et 5.000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
- renvoyé la SA Azzaro à mieux se pourvoir en ce qui concerne la saisie conservatoire de produits Azzaro ;
- désigné M. Bensoussan pour déterminer si la société Pin Ups répondait aux critères de distribution de la marque Loris Azzaro ;
- condamné la défenderesse aux dépens exposés jusqu'alors et réservé ceux à venir.
La société Pin Ups a interjeté appel ; par conclusions avant et après clôture de la mise en état, ces dernières recevables pour les raisons ci-après exposées, elle sollicite la réformation, l'annulation des clauses d'exclusivité du contrat de distribution Azzaro en application de l'article 85-2 du Traité de la CEE et de l'article 9 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, l'exclusion des débats du rapport de M. Bensoussan en date du 23 juin 1988, le rejet des prétentions de l'intimée et sa condamnation à restituer les fonds déjà reçus avec intérêts au taux légal, ainsi qu'à payer 20.000 F à titre de dommages-intérêts, outre 20.000 F en application de l'article 700 du code précité.
Elle soutient à l'appui de ses prétentions :
- qu'il appartient à celui qui refuse la vente d'établir de ses conventions, la proposition qu'il a faite sur la base des critères définis et le refus du candidat de s'y soumettre ;
- que c'est seulement à l'occasion de la procédure de référé qu'Azzaro a fait connaître la non conformité des installations et a communiqué ses contrats de distribution et ses conditions générales de vente ;
- que le contrat produit lors de l'instance en référé est beaucoup moins contraignant que celui transmis à l'expert, aucun d'entre eux n'ayant de toutes façons été remis en 1983 puisque le représentant Azzaro n'a jamais rencontré le gérant de la société Pin Ups ;
- que les pièces versées aux débats, dont plusieurs exploits d'huissier décrivant les installations de distributeurs agréés Azzaro, démontrent que la société Pin Ups répond aux critères de sélection concernés et est victime d'une discrimination contrairement à l'appréciation subjective de l'expert dont le rapport ne permet aucun débat contradictoire et doit en conséquence être écarté.
La SA Loris Azzaro souhaite, par des écritures également avant et après clôture, les secondes recevables en raison de la révocation de l'ordonnance de clôture ci-après motivée, la confirmation de l'interdiction de la vente des produits Azzaro, de l'astreinte et de la saisie du stock par l'intermédiaire de l'huissier, la réévaluation du dommage et sa fixation à 100.000 F, 20.000 F pour appel abusif, outre 25.000 F pour frais irrépétibles (5.000 F supplémentaires pour la procédure devant le Tribunal et 20.000 F pour l'instance d'appel), ainsi que la désignation d'un huissier pour obtenir toutes informations sur les sources d'approvisionnement de la société Pin Ups, la confirmation de la saisie conservatoire et la remise des produits saisis à Azzaro.
Elle fait valoir à l'appui de ses prétentions :
- que l'absence de réclamation pendant les années postérieures au refus d'agrément corrobore ses affirmations selon lesquelles son représentant a remis le contrat Azzaro et les conditions générales de vente ;
- que la distribution sélective est conforme tant au droit communautaire qu'interne ;
- que les installations de la société Pin Ups ne répondent pas à ses critères objectifs de sélection comme le révèlent le rapport d'expertise et les constats qu'elle produit, qui font apparaître des différences notables entre les points de vente décrits et le sien ;
- que les agissements de l'intimée et leur persistance pendant plusieurs années justifient le montant des dommages-intérêts sollicités.
Motifs de la décision :
Sur la recevabilité des conclusions après clôture
Attendu que la SA Azzaro a signifié le 9 août 1988, des conclusions évoquant, pour la première fois en cours de procédure, le rapport d'expertise de M. Bensoussan ;
Attendu que l'ordonnance de clôture a été rendue le 1er septembre 1988 ; que la société Pin Ups n'a dans ces conditions pas disposé d'un délai suffisant pour répliquer, une telle démarche étant rendue nécessaire par l'élément nouveau dont se prévalait son adversaire ;
Attendu que la sauvegarde des droits de la défense constitue un motif grave justifiant la révocation de la clôture et l'admission aux débats des écritures postérieures ;
Sur l'évocation
Attendu qu'en l'état du dépôt du rapport d'expertise et de sa discussion contradictoire en cause d'appel, il est de bonne administration de la justice d'évoquer l'entier litige ;
Sur la licéité du réseau de distribution sélective Loris Azzaro
Attendu que, comme le soutient la société Pin Ups, il appartient à la société Azzaro de prouver la licéité de son réseau de distribution sélective ;
Attendu que cette dernière souligne à juste titre que le principe même de distribution sélective est conforme au droit communautaire et à la législation interne ; que des restrictions qualitatives liées à des critères objectifs concernant la qualification du personnel et les installations sont en effet admises sous certaines conditions tandis que des restrictions quantitatives peuvent être justifiées dans certaines circonstances, notamment lorsque la nature du produit exige des relations étroites entre le producteur et le revendeur, ce qui est le cas des parfums, produits de luxe dont le dépérissement nécessite une rotation rapide des stocks susceptible d'être compromise par un nombre trop important de distributeurs sur un même secteur;
Attendu que la société Azzaro diffuse des produits de cette nature ;
Attendu qu'elle verse aux débats un exemplaire du contrat de distributeur agréé auquel sont annexées les conditions générales de vente imposant à ses cocontractants une qualification professionnelle en parfumerie résultant de diplômes ou d'une expérience précisés, un emplacement de vente dans un secteur correspondant au prestige de la marque, un service de conseil et de démonstration suffisant ainsi que diverses conditions liées aux locaux et au stockage ; que la convention stipule par ailleurs, la possible ouverture d'autres points de vente sur le même secteur, notamment dans l'intérêt du consommateur, l'interdiction de vendre même à prix réduit, des produits défraîchis ou altérés, la reprise par le fabricant au prix de facturation des marchandises retirées de la vente, l'aide technique et publicitaire de ce dernier ;
Attendu que les obligations réciproques engendrées par l'accord ainsi proposé vise de toute évidence à améliorer la production et la distribution dans l'intérêt de l'utilisateur final et n'a pas pour résultat d'imposer aux entreprises des restrictions qui ne seraient pas indispensables aux objectifs ainsi poursuivis ;
Attendu qu'il s'exècre du rapport de M. Bensoussan qui, quoi qu'en dise l'appelante, témoigne d'un travail minutieux, complet, et constitue un élément d'appréciation satisfaisant, que la société Azzaro applique ces critères de manière à donner à son réseau un caractère cohérent et efficace ;
Attendu dans ces conditions, que la preuve de la licéité de celui-ci, même en l'absence de décret d'exemption statuaire après avis du Conseil de la concurrence, qui ne revêt qu'un caractère facultatif, est rapportée ;
Sur les refus d'agrément et de vente
Attendu que la réception de la lettre du 22 février 1983 par laquelle la société Azzaro a refusé d'agréer la société Pin Ups est corroborée par le fait que cette dernière n'avait pas manqué antérieurement de relancer son interlocuteur lorsqu'il tardait à répondre à ses sollicitations ;
Attendu que la société Pin Ups n'a en tous cas pas ignoré l'existence du réseau de distribution sélective, ni la faute susceptible d'être caractérisée par la vente de produits Azzaro sans l'agrément sollicité ;
Attendu que le débat sur la communication ou non en 1983 du contrat de distributeur agréé est donc indifférent ; qu'il appartenait à la société Pin Ups, si elle n'avait pas eu connaissance de la position de son correspondant, de le mettre en demeure de se prononcer et, en cas d'abstention de ce dernier ou de notification d'un refus, d'engager une procédure pour refus de vente fondée sur la discrimination dont elle se prévaut encore aujourd'hui ;
Attendu qu'en passant outre l'absence d'agrément sans avoir obtenu une décision de justice constatant et sanctionnant le comportement qu'elle dénonce, elle s'est mise en position de légitimer les refus d'agrément et de vente, ne pouvant plus exciper de sa bonne foi ;
Attendu que c'est donc sans contradiction que le tribunal s'est prononcé sur le mérite de l'action de la société Azzaro, tout en ordonnant une expertise, le résultat de celle-ci n'étant pas de nature à supprimer le caractère reprochable des agissements passés ;
Attendu de surcroît qu'en dépit des constats qu'elle produit et des analyses dont elle se prévaut, il résulte sans ambiguïté possible du rapport d'expertise qu'elle ne remplit pas les conditions nécessaires à l'agrément Azzaro, étant, entre autres, desservie, au regard des critères précités, par la localisation, l'absence de séparation entre le salon de coiffure et la parfumerie, l'absence d'agrément par trois parfumeurs comparables à Azzaro ;
Attendu dans ces conditions que le refus d'agrément et celui consécutif de vente ne sont pas illicites contrairement à ce qu'elle soutient ;
Sur la concurrence déloyale
Attendu que si le fait de commercialiser des produits relevant d'un réseau de distribution sélective ne constitue pas en lui-même un acte fautif, l'achat de marchandises dans des conditions dont l'illicéité ou le caractère frauduleux est révélée par le refus de justifier leur provenance(Réf. réponse à l'huissier missioné pour déterminer celle-ci dans le procès-verbal de constat du 31 mars 1987), l'utilisation de celles-ci avec le conditionnement préalable d'un parfumeur de luxe dispensant assistance et publicité sans être soumis aux contraintes habituelles des distributeurs agréés, le bénéfice de la valeur publicitaire de la marque pour développer sa propre commercialisation tout en pratiquant des prix décalés par rapport à ceux du marché licite(lors du constat du 31 mars 1987, les prix affichés étaient d'anciens prix) permettent de caractériser des agissements de concurrence déloyale (désorganisation du marché, parasitisme);
Sur le préjudice
Attendu que la SA Azzaro a subi du fait de ces agissements un dommage résultant de l'impossibilité de contrôler les conditions de vente de ses produits et de l'atteinte portée à la cohésion de son réseau de distribution ; qu'au vu des éléments d'appréciation soumis, notamment du procès-verbal de constat, des quantités concernées, de la notoriété des produits, il y a lieu de porter à 30.000 francs le montant des dommages-intérêts alloués par les premiers juges, les autres dispositions du jugement, dont l'interdiction sous astreinte et la remise du stock entre les mains de la société Azzaro découlant de la saisie ordonnée par le tribunal, étant purement et simplement confirmées ;
Sur les demandes accessoires
Attendu que l'intimée ne justifie pas d'une saisie conservatoire conforme aux dispositions des articles 48 et suivants de l'ancien code de procédure civile ; que sa demande de validation apparaît donc sans objet ;
Attendu que la recherche de la provenance des produits tend essentiellement à éviter une perpétuation des agissements concurrentiels ; que la mesure d'interdiction sous astreinte permet d'y parvenir ; qu'il n'y a dès lors pas lieu d'étendre la mission de l'huissier comme le souhaite la société Azzaro ;
Attendu que cette dernière se contente de solliciter des dommages-intérêts pour procédure abusive sans autrement caractériser la faute de son adversaire et cerner son préjudice ; qu'il convient de rejeter sa demande ;
Attendu qu'il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de cette dernière les frais irrépétibles exposés en cause d'appel, la somme allouée à ce titre par les premiers juges étant suffisante pour compenser ceux de la procédure devant le tribunal ;
Attendu que la société Pin Ups, qui succombe, doit supporter les dépens, y compris les honoraires de l'expert ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit l'appel ; Révoque l'ordonnance de clôture rendue le 1er septembre 1988 ; Déclare recevables les conclusions de la SARL Pin Ups and Co signifiées le 23 septembre 1988, et celles en réplique de la SA Parfums Loris Azzaro du 27 septembre 1988 ; Prononce la clôture à l'ouverture des débats ; Évoque l'entier litige ; Confirme le jugement entrepris sauf à porter à 30.000 F (trente mille francs) le montant des dommages-intérêts alloués à la SA Parfums Loris Azzaro ; Y ajoutant, Condamne la SARL Pin Ups and Co à payer à la SA Parfums Loris Azzaro, une somme de 10.000 F (dix mille francs) sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Rejette toutes autres prétentions ; Dit que la SARL Pin Ups supportera tous les dépens, y compris les frais d'expertise, ceux d'appel étant distraits au profit de la SCP d'avoués Sider, sur son affirmation d'en avoir fait l'avance.