CA Grenoble, 1re ch. civ., 20 février 1990, n° 81-1871
GRENOBLE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Rhin et Moselle Assurances Françaises (SA)
Défendeur :
Birke, Vernevault
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bezombes
Conseillers :
MM. Fournier, Baumet
Avocats :
Mes Rontchevsky, Abecassis-Steck.
Se référant à l'arrêt rendu le 5 Juillet 1983 par la première chambre de la Cour d'Appel de Grenoble lequel, recevant l'appel de la Compagnie Rhin et Moselle limité au débouté de sa demande en indemnisation pour concurrence déloyale, a réformé le jugement entrepris, a dit que les agissements de M. Jean-Pierre Birke et de Mlle Françoise Vernevault étaient constitutifs d'acte de concurrence déloyale engageant leur responsabilité, a dit que M. Birke ne pouvait, en conséquences, prétendre à l'indemnité compensatrice à laquelle il pouvait prétendre en sa qualité d'agent général d'assurances et, avant plus amplement dire droit, a ordonné une expertise, a commis à cet effet M. Jacob, avec, en substance, la mission de rechercher les éléments des préjudices subis par l'assureur,
Se référant aux conclusions du rapport d'expertise de M. Jacob déposé le 7 Juin 1989,
Se référant aux conclusions par lesquelles les parties ont respectivement demandé de
- La Compagnie Rhin & Moselle, SA, appelante,
- lui donner acte de ce qu'elle ne reprend pas la procédure à l'encontre des intérêts de M. Birke,
- condamner Mlle Vernevault à lui payer la somme de 140.000 F, à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du 4 Décembre 1979, les intérêts de la somme de 10.000 F du 4 Décembre 1979 au 15 Avril 1985, la somme de 60.000 F à titre de dommages et intérêts, avec intérêts de droit du jour de l'arrêt à intervenir, et celle de 20.000 F au titre de l'article 700 NCPC,
- condamner Mlle Vernevault aux dépens de 1re instance et d'appel, y compris les frais d'expertise, avec droit de recouvrement direct au profit de son avoué,
- Mademoiselle Françoise Vernevault, intimée,
- constater que la Compagnie Rhin & Moselle ne justifie pas d'un préjudice financier et moral et qu'en l'état de la rétention de l'indemnité de cession de 160.000 F, l'assureur ne saurait exiger quoi que ce soit,
- réduire à un niveau équitable et justifié les prétentions excessives de l'assureur,
- condamner l'assureur aux entiers dépens avec droit de recouvrement direct au profit de son avoué,
Discussion:
Sur le principe de la réparation:
La privation de l'indemnité compensatrice, d'un montant de 160.000 F, subie par M. Birke du fait de ses propres agissements ne saurait constituer, pour Mlle Vernevault, un titre lui permettant de se soustraire, en tout ou partie, à l'obligation de réparer l'entier préjudice qu'elle-même a causé à l'assureur,
En effet, si le fait, pour un ancien agent général, de se rétablir dans le périmètre de son agence vaut renonciation à l'indemnité compensatrice, il ne l'autorise pas, pour autant, à commettre des actes de concurrence déloyale à l'endroit de l'assureur,
De ce fait, privation d'indemnité compensatrice et indemnisation pour concurrence déloyale, dont les fondements juridiques sont distincts, peuvent se cumuler, Mlle Vernevault devant répondre des actes qu'elle a commis ou dont elle a profité,
Sur le montant de la réparation:
a) Mlle Bernevault ne peut être suivie dans ses critiques du rapport d'expertise judiciaire pour faire juger que seules devraient être retenues à son encontre les résiliations faisant suite à des correspondances où son écriture pourrait être reconnue,
En effet, les actes de concurrence déloyale ne se sont pas toujours nécessairement matérialisés par des correspondances expédiées par elle aux clients de M. Birke,
A juste titre, l'expert a procédé à une évaluation à partir de 2 modes de calcul, le premier fondé sur la liste détaillée des polices résiliées en 1978 (pages 36 et suivantes), le second fondé sur les états statistiques de la compagnie d'assurance (page 39 et suivantes),
En raison d'une perte moyenne de 12,5 % des polices provoquée par le départ d'un agent général, des commissions perçues par l'agent sur les primes perçues (15 %), du rapport sinistres/primes pour 1 année 1978 (78,46 % du montant des encaissements), le préjudice de l'assureur s'élève à 37.745 F, selon le premier mode de calcul (page 39) à 38.594 F selon le second (page 40),
Ces résultats très proches montrent la fiabilité de l'approche retenue par l'expert,
La composition du portefeuille permettant de retenir une durée moyenne des polices de 2 ans et demi, le préjudice peut ainsi être fixé à 95.000 F pour la seule année 1978,
b) L'assureur sollicite, en outre, la réparation de son préjudice pour l'année antérieure et l'année suivante, tout en reconnaissant qu'il n'a pas fourni un nombre significatif de lettres de résiliation, en raison de l'archivage des dossiers résiliés,
Le pourcentage de résiliation, en 1977, n'est que de 13,7 % et en 1979, de 18,4 %, pour une moyenne habituelle de 12,5 %,
Si l'on ajoute que la Compagnie a déplacé ses bureaux, après le départ de M. Birke, ce qui a contribué à la perte d'une partie de la clientèle de proximité, et a, dans un premier temps, confié la gestion des inspecteurs, qui ne peuvent obtenir les mêmes résultats qu'un agent indépendant, la réparation du préjudice afférente à ces deux années sera assurée par l'octroi d'une indemnité de 10.000 F,
c) Au titre de la perte de contrats nouveaux, l'assureur sollicite une indemnité complémentaire,
L'expert a retenu, pour un taux de 25 %, cette perte qui résulterait des contrats qui n'ont pas été apportés du fait des proches des assurés ayant résilié leur police,
La résiliation provoquerait ainsi une perte,
Cette perte n'est pas certaine, toutefois,
Le fait qu'une personne connaisse un assuré ne l'invite pas nécessairement, même en moyenne une fois sur quatre, à résilier sa propre police ou à prendre une première assurance,
Globalement, ce raisonnement aboutirait à ce que chaque année, le nombre de police souscrit doit croître de 25 %, ce qui est contraire à la réalité, du moins pour les polices courantes présentes dans le portefeuille de M. Birke,
Ce raisonnement ne pourrait être admis que pour un marché nouveau, en développement, où des souscriptions par proximité familiale ou de relations sont fréquentes. Il ne peut être adopté pour des polices ordinaires au sujet desquelles l'assureur n'avance aucune caractéristique attractive originale,
d) L'assureur a subi incontestablement un préjudice moral et commercial du fait de la concurrence déloyale dont il fut victime et qui le conduisit à mettre en œuvre une procédure de surveillance pour en mesurer l'importance,
Une indemnité de 20.000 F réparera ce préjudice,
e) A titre d'indemnisation complémentaire, les intérêts au taux légal sur les sommes de (95.000 + 10.000) 105.000 F seront comptés à partir du 5 Juillet 1981 date de l'arrêt ayant affirmé l'existence de la concurrence déloyale et le principe d'une légitime réparation,
f) Enfin, pour n'en pas supporter la charge inéquitable, l'assureur recevra une indemnité de 15.000 F, en compensation de ses débours exposés pour obtenir condamnation, à la charge de Mlle Vernevault laquelle, succombant dans son argumentation, supportera les dépens de 1re instance et d'appel, incluant notamment les frais d'expertise,
Par ces motifs, LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, donne acte à la Compagnie Rhin et Moselle de ce qu'elle n'a pas repris l'instance à l'encontre des héritiers de M. Jean-Pierre Birke, décédé le 8 Septembre 1988, condamne Mlle Françoise Vernevault à payer à la Compagnie Rhin & Moselle une indemnité de 105.000 F. en deniers ou quittance, avec intérêts au taux légal à compter du 5 Juillet 1983, une autre de 20.000 F avec intérêts à compter du présent arrêt, et une autre de 15.000 F sur le fondement de l'article 700 NCPC, déboute la Compagnie Rhin et Moselle du surplus de sa demande, condamne Mlle Françoise Vernevault aux dépens de 1re instance et d'appel avec, pour ces derniers, droit de recouvrement direct au profit de la Société d'Avoués Manhes et de Fourcroy.