Livv
Décisions

CA Versailles, 13e ch., 12 février 1990, n° 1340-90

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Henkel France (SA)

Défendeur :

Rhône Poulenc Chimie (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Doze

Conseillers :

M. Jauffret, Mme Monteils

Avoués :

SCP Lissarrague-Dupuis, Me Bommart

Avocats :

Mes Combeau, Brun, Normand-Bodard.

T. com. Nanterre, prés., du 1er févr. 19…

1 février 1990

LA COUR : - La société Rhône Poulenc Chimie produit des phosphates à usage ménager. La société Henkel France exploite, sous la marque Le Chat, une lessive sans phosphates.

La société Henkel France a assigné en référé Rhône Poulenc Chimie pour obtenir cessation immédiate de diffusion de ses messages publicitaires, au motif qu'ils dénigraient les lessives sans phosphates.

A titre reconventionnel, Rhône Poulenc demande cessation de la diffusion des messages de Henkel, comme dénigrant les phosphates dans les lessives.

Par ordonnance de référé du 1er février 1990, le Président du Tribunal de Commerce de Nanterre, après avoir énoncé qu'il n'existait pas de certitude scientifique en faveur de l'une ou l'autre des thèses en présence, a retenu que les deux parties n'étaient pas des concurrents directs, et que la campagne de Rhône Poulenc pouvait être considérée comme ayant entraîné un trouble manifestement illicite pour Henkel, par rapport à ses concurrents.

Il a donc débouté les sociétés de leurs demandes et laissé les dépens à la charge de Henkel.

Henkel, appelante, conclut ainsi qu'il suit :

Elle fait partie du groupe Henkel, comme Rhône Poulenc Chimie fait partie du groupe Rhône Poulenc.

Elle fabrique des produits ménagers et notamment des lessives, tandis que Rhône Poulenc Chimie est le deuxième producteur européen de phosphates.

Il existe un débat déjà ancien sur les effets des rejets de phosphates, accusés de produire un effet d'eutrophisation accélérant le développement des algues, lesquelles consomment l'oxygène au détriment de l'équilibre dans le milieu aquatique.

Il existe une réglementation de l'usage des phosphates dans les lessives dans de nombreux pays.

Elle-même exploite la marque " Le Chat ", lessive n'ayant jamais contenu de phosphates. Elle a relancé ce produit en décembre 1988, à base de zéolite A, ne contenant pas de phosphates et contribuant ainsi à un meilleur environnement.

L'accueil des consommateurs a été excellent.

Au lieu de vanter les mérites des phosphates Rhône Poulenc a axé son effort sur le dénigrement des lessives sans phosphates, en lançant en particulier le 29 mai 1989 une campagne " Faut pas prendre les verts pour des bleus ", visant expressément " Le Chat " et sa propre campagne.

Sur assignation d'elle-même, le Président du Tribunal de Commerce de Nanterre par ordonnance de référé du 13 juin 1989 a estimé que les conditions de la concurrence déloyale n'étaient pas réunies et a débouté les deux parties.

Rhône Poulenc a sollicité ensuite retrait de visa de son film publicitaire, auprès de la Commission Supérieure de l'Audiovisuel, a fait état d'actions judiciaires introduites dans la presse.

Le Ministre chargé de l'environnement a, à cette époque, nommé le professeur Carbiener, pour étude de l'impact des lessives et de leurs composés sur le milieu naturel, dont le rapport est attendu début 1990.

En raison d'un article de " La Croix " du 21 décembre 1989 laissant entendre que le rapport serait défavorable aux phosphates, Rhône Poulenc a, dans un communiqué de presse du 17 janvier 1990, affirmé que les lessives sans phosphates étaient plus dangereuses que les autres ; elle a produit un film publicitaire les dénigrant, mais le droit de diffusion en a été refusé par le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel.

Le 23 janvier, après une conférence de presse, a été lancée par Rhône Poulenc une campagne d'affiches qui a suscité de la part d'elle-même notification le jour même d'une protestation et assignation en référé, et au fond, laquelle est fixée à l'audience du Tribunal de Commerce du 13 février.

Elle fonde sa demande sur l'article 873 du NCPC.

Le lien de concurrence existe. Il n'est pas nécessaire, pour que l'article 1381 soit applicable, que la publicité dénigrante émane d'un concurrent direct. Rhône Poulenc ne cherche pas autre chose que la paralysie de la vente des lessives sans phosphate.

La campagne ne tend pas à la valorisation des phosphates, mais au dénigrement des produits sans phosphates, associés à une catastrophe écologique, à la dégradation irréversible de l'eau par la présentation de poissons morts à la surface d'un plan d'eau avec une légende explicative.

Les affiches comportent un numéro de téléphone vert permettant aux consommateurs d'obtenir une plaquette gratuite dont les titres sont dénigrant et contiennent des contre vérités.

Il s'agit d'une pression déloyale sur l'opinion publique qu'elle-même a intérêt à faire cesser.

Le lien entre la campagne menée et la lessive en poudre " Le Chat " sans phosphates est évident. Il a été ressenti par la presse, et cette lessive est nommément désignée dans une plaquette de Rhône Poulenc du 25 mai 1989.

Il y a péril, et urgence à faire cesser de tels procédés immédiatement, et à éviter le prolongement d'une pareille campagne.

Elle conclut à infirmation de l'ordonnance, à ce que soit ordonné le retrait de toutes les affiches apposées, la cessation de tous messages sur les mêmes thèmes dans la presse écrite, radio ou télévisée, sous astreinte définitive de 250.000 Francs par infraction constatée, la résiliation de l'abonnement téléphonique 47 31 70 00 " numéro vert " appel gratuit et la destruction de l'ensemble des documents dénigrants destinés aux consommateurs, la condamnation au paiement de 150.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Elle conclut à ce que la Cour conserve l'exécution de l'arrêt à intervenir.

La Société Rhône Poulenc Chimie répond ceci :

Le phosphate présent dans l'eau ne vient que pour 20 % des rejets d'eaux de lessive, le surplus relevant des rejets naturels, industriels et agricoles.

L'absence de substituts véritables du phosphate conduit à incorporer aux lessives qui n'en contiennent pas des produits non biodégradables, d'autres mobilisant les métaux lourds, ou augmentant l'écotoxicité, ou la quantité des matières en suspension ou le risque de cancer.

L'extrême complexité du débat n'a pas empêché une approche simpliste liant l'absence de phosphates à la protection de l'environnement.

Elle-même poursuit des études sur ce sujet.

Il existait, avant qu'Henkel en produise, des lessives sans phosphates sur le marché, essentiellement liquides, mais même en poudre. Un organisme destiné à l'étude de ce problème a été créé auprès du ministre de l'environnement.

Une enquête de l'union fédérale des consommateurs, traduite dans un article de la revue " Que Choisir " de début 1989, a conclu à la nocivité de phosphates sur l'environnement, ce qui est à la fois hâtif et erroné.

C'est à cette époque que Henkel a lancé sa publicité. Elle-même sur le fondement de travaux de divers laboratoires instituts et fondations, a lancé une campagne d'information.

Ces premières passes d'armes n'ont pas eu de conséquences judiciaires, puisque Henkel a été déboutée en juin par le magistrat des référés, n'a pas fait appel et n'a pas assigné au fond. Persistant a considérer le message publicitaire de la société " Le Chat Machine " comme dénigrant à son égard, elle-même a saisi le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel, qui a rejeté sa demande de retrait de visa, puis la Direction de la concurrence et de la consommation, démarche procédurale correspondant à ce qu'elle avait annoncé par voie de presse.

C'est dans ce contexte et bien avant la parution de l'article " La Croix " qu'elle a décidé, dans un cadre de libre critique et libre expression, sur le fondement de travaux scientifiques solides, d'une campagne qui a débuté par la diffusion d'un dossier de presse, et continué par des affiches et des messages radio diffusés, avec mise en service d'un numéro d' " information consommateur " et d'un dossier d'information, à la demande.

La campagne radio est terminée depuis le 27 janvier et celle d'affiches doit prendre fin le dimanche 11 février au soir.

Il n'y a preuve d'aucun dommage imminent, dont Henkel ne fait pas même état, dommage qui ne pourrait plus être prévenu par voie de référé, eu égard à la fin de la campagne.

Il n'y a preuve d'aucun trouble manifestement illicite.

Il n'y a pas de situation de concurrence.

Il n'y a pas de clientèle commune, pas de concurrence directe.

De plus Henkel n'est pas en concurrence avec les producteurs de lessive avec phosphates, dont elle produit elle-même toute une gamme.

D'autre part, il faut que le concurrent ou le produit qu'il fabrique soit ou désigné ou aisément identifiable.

Or, la campagne publicitaire incriminée ne vise ni explicitement ni implicitement Le Chat Machine ou Henkel France.

Elle portait au printemps sur le thème de l'environnement. Nul ne pouvant abusivement prétendre se l'approprier privativement.

L'argumentation de Henkel, fondée sur le fait qu'elle serait seule en France à utiliser un message publicitaire sur ce thème, et qu'elle-même l'aurait reconnu, est inopérante et inexacte. Les lessives sans phosphates existent depuis longtemps. Il en existe, aussi bien en poudre qu'en liquide, de nombreuses. Procter et Gamble déclare commercialiser les deux tiers des lessives sans phosphates.

De nombreuses marques se réfèrent à la protection de l'environnement.

Prétendre que " Le Chat Machine " est aisément identifiable est donc inconcevable.

Henkel ne peut faire état d'une circulaire à usage interne du 25 mai 1989 où " Le Chat " était nommé, qui n'a jamais été publié ou diffusé. De toutes façons, elle était liée à la première campagne publicitaire qui est terminée, et qui a donné lieu à une ordonnance de référé négative. Elle est sans rapport avec la nouvelle campagne, objet du présent débat.

D'autre part, aucun grief d'inexactitude ne peut être formulé contre elle-même, qui s'appuie sur des travaux scientifiques contemporains de haut niveau.

Aucune preuve contraire n'est rapportée.

Il n'y a donc aucune démonstration d'une faute de sa part, et de trouble manifestement illicite.

Le Chat Machine a d'ailleurs modifié sa publicité en modérant ses affirmations et en faisant disparaître sur ses emballages la formule " limite les effets indésirables sur l'environnement ". Elle paraît dorénavant renoncer à cette référence, ce qui établit la justesse de critiques dirigées contre elle.

A propos de sa demande reconventionnelle, il convient de retenir que Henkel dénigre expressément le tripolyphosphate, dont l'absence constitue " un progrès décisif " en permettant " d'allier la propreté éclatante du linge au respect de l'environnement ".

Il y a donc accusation de pollution, appuyée sur l'indication du développement excessif des algues, et la disparition corrélative d'oxygène.

Henkel se fonde sur l'absence de phosphates au lieu de vanter le fait que son produit comporte de la zéolite.

Ce comportement est beaucoup plus fautif dès lors que Henkel vend des lessives avec phosphates.

Il est d'autant plus fautif et de mauvaise foi que Henkel persiste, malgré de nouvelles informations scientifiques en sens contraire.

Elle est donc fondée en sa demande reconventionnelle.

Elle conclut au déboutement de Henkel, à ce que soit ordonnée la cessation de la diffusion de tout message publicitaire dénigrant les phosphates comportant la mention " sans phosphates " dans la presse écrite audiovisuelle radio-diffusée ainsi que par affiches et sur les emballages de la lessive " Le Chat Machine ", sous astreinte de 250.000 Francs par infraction constatée.

Elle demande acte de ce qu'elle se réserve de réclamer à Henkel France l'indemnisation du préjudice subi de son fait, et sollicite allocation de 100.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Par conclusions responsives, Henkel conclut à l'irrecevabilité de la demande reconventionnelle, qui [ne] se rattache pas à la demande principale par un lien suffisant.

Subsidiairement, cette demande n'étant pas autonome de la demande principale, ne pourra être examinée que dans la mesure où il sera fait droit à celle-ci.

Les films publicitaires d'elle-même ont été diffusés pendant une année, après autorisation sans que Rhône Poulenc les tienne pour dénigrant.

La validité des visas accordés est une question préjudicielle d'ordre administratif.

Il est inexact que l'instance au fond et l'instance en référé tendent au même objet.

Discussion

Considérant que l'initiative prise par Henkel d'assigner en référé en même temps qu'elle assignait au fond, pour tenter d'obtenir cessation immédiate d'une campagne publicitaire, est à l'évidence recevable ;

Considérant, sur l'existence d'une concurrence, niée par le premier juge, que Rhône Poulenc, producteur de phosphates, et Henkel, qui met au point et commercialise des lessives, ne se situent pas au même stade de l'activité commerciale ; qu'il n'y a donc pas de rapport direct de concurrence;

Considérant néanmoins que le terrain sur lequel les deux parties se sont placées a engendré entre elles un affrontement direct, avec des conséquences immédiates ; que chacune s'est introduite, par le canal de la publicité, sur le marché de l'autre ; qu'il est indéniable que si la publicité incriminée de Rhône Poulenc était prise au pied de la lettre par les consommateurs, le marché des lessives sans phosphates subirait un coup fatal ; qu'inversement si la publicité d'Henkel aboutissait à une parfaite réussite, la vente des phosphates se contracterait de manière notable ; que les deux parties sont en situation de concurrence, dans le présent litige, en fait, sur le thème des lessives avec phosphates contre lessives sans phosphates, ce qui rend recevable aussi bien la demande principale que la reconventionnelle ; que cette querelle recouvre en fait une concurrence directe entre deux groupes de caractère international ;

Considérantsur la désignation suffisante de Henkel, condition d'exercice de l'action, déniée par la société intimée, qu'il est de fait que celle-ci a lancé une campagne générique, et qu'il importe peu qu'une circulaire interne ait pu désigner l'adversaire principal, ceci d'ailleurs en mai 1989 ;

Considérant toutefois que Henkel a été la première puissante société à mettre sur le marché, avec un luxe de publicité important, en décembre 1988, une lessive sans phosphates, en poudre " Le Chat " ; que ce lancement a pratiquement coïncidé avec la sortie du numéro de " Que Choisir " de janvier 1989 recommandant les lessives sans phosphates pour des motifs écologiques ; que Rhône Poulenc est passé au printemps 1989 à la contre offensive, à la fois pour contrecarrer ces initiatives, et pour éviter que les autres gros producteurs de lessive ne proposent à leur tour un tel produit ;

Considérant que c'est Henkel qui la première, et de manière importante et prolongée, a mis l'accent sur l'argument écologique ; qu'elle a fait passer à de nombreuses reprises deux films publicitaires télévisées, qui ont été présentés à l'audience, où un homme tenant un emballage de lessive " Le Chat " vante l'efficacité du produit, aussi bien sur le blanc que sur la couleur et relève la " contribution à un meilleur environnement " en se tournant vers de belles frondaisons en arrière plan, formulation qui se retrouve sur l'actuel emballage proposé à la vente ; que cette société fait état du remarquable impact de sa campagne et d'une croissance spectaculaire de ses ventes de poudre sans phosphates, l'absence de phosphates étant soulignée aussi bien dans la publicité télévisuelle que sur les emballages, dont le fond est d'une couleur verte, à valeur écologique ; que la vigueur de cette campagne s'explique par la volonté de Henkel d'exploiter son avance dans ce domaine, et de reprendre des parts de marché à ses plus gros concurrents ;

Considérant que, dans ce contexte, la campagne incriminée de Rhône Poulenc à dater du 17 janvier 1990 a eu manifestement pour objet essentiel de combattre les effets, pernicieux pour les lessives avec phosphates, des initiatives de Henkel ; qu'il importe peu que celle-ci produise aussi des lessives de ce type, majoritaires actuellement sur le marché, cette circonstance étant sans aucune incidence sur le présent débat ; que d'autre part, le fait que la dite campagne atteigne collectivement les quelques producteurs de lessives sans phosphates n'est pas de nature à interdire à l'un d'entre eux d'agir ;

Considérant que Henkel est ainsi fondée à assigner l'auteur d'une publicité, qui menace immédiatement une position commerciale chèrement acquise, où elle se trouve si bien impliquée que c'est ainsi que l'a entendu la presse, et que peuvent le percevoir les consommateurs ;

Considérant, sur le caractère déloyal de la concurrence en cause, que les trois affiches grand format répandues nationalement à partir du 23 janvier, et jusqu'au 11 février, selon Rhône Poulenc, comportent trois légendes différentes, qui sont les suivantes :

" Vous a t'on prouvé que les lessives sans phosphates ne polluaient pas ? Non car on a prouvé le contraire "

" Qui dit que les lessives sans phosphates sont sans risque pour l'environnement ? Certainement pas les études scientifiques "

" Quels produits remplacent les phosphates dans les lessives ? des produits qui menacent la vie aquatique "

Que les trois affiches représentent des salmonidés crevés flattant à la surface d'eaux glauques ; qu'elles lient ainsi la suppression des phosphates dans les lessives à un désastre écologique, avec une exemplaire brutalité ;

Considérant qu'il est incontestable qu'il y a actuellement un abus de l'argument écologique, utilisé à tort et à travers, et qu'Henkel n'est pas exempte de reproche à cet égard ; que toutefois, il ne s'agit pas en la cause de recherches des certitudes scientifiques qui ne sont pas encore atteintes, et qui sont en dehors du débat soumis au magistrat des référés ;

Considérant qu'il y a lieu seulement de déterminer si les règles du jeu de la publicité ont été respectées par les adversaires, qu'il ne saurait être reproché l'usage de formules outrageusement simplificatrices, qui sont une loi du genre, comme l'excès, et le mépris de toute objectivité, mais que les affiches de Rhône Poulenc, qui posent de pertinentes questions, sont pour le surplus exclusivement dénigrantes ; qu'elles affirment de manière péremptoire que les lessives sans phosphates empoisonnent les rivières, et ne visent donc qu'à ruiner dans l'esprit du consommateur ce produit ; qu'elles dépassent le droit d'informer et sont à l'état pur discréditoires ; que le préjudice qu'elles causent à la société appelante est manifeste et immédiat, ce qui justifie le recours aux notions d'urgence et de péril, afin que cesse un trouble illicite;

Considérant qu'en liant sur ses emballages " Sans phosphates " à " une contribution à un meilleur environnement ", Le Chat ne se livre pas à un dénigrement direct, mais suggère un progrès en matière d'écologie ; que cette prétention, aussi aventurée soit elle, constitue un procédé publicitaire assez banal actuellement, lié à une forme de critique insidieuse, mais suffisamment détournée pour être tolérable ;

Considérant ainsi que la demande d'Henkel est fondée, en ce qu'elle tend à la suppression des trois affiches en cause, ce qui n'est pas le cas de la demande reconventionnelle ;

Considérant que la publicité télévisée de Rhône Poulenc n'a pas à être examinée, dès lors qu'elle n'a pas obtenu le visa de l'autorité de contrôle ; que celle de Henkel appelle les mêmes observations que celle figurant sur les emballages, et ne justifie pas davantage une suppression immédiate ;

Considérant, sur la diffusion, à la demande, de plaquettes, par Rhône Poulenc, à partir notamment d'un numéro de téléphone figurant sur les affiches dénigrantes, qu'il s'agit d'un tout autre problème ; que, sollicitant une certaine attention, et un effort intellectuel du consommateur lecteur, à la différence d'affiches destinées à imposer sans réflexion une conviction, ces plaquettes ont le mérite de mettre sur la place publique un débat sur la nocivité des diverses formules de lessive, qui est important, dont la solution n'est pas acquise à ce jour ; qu'il est permis à Rhône Poulenc de prendre un parti, argumenté, sous cette forme, le lecteur ne pouvant avoir d'illusion sur les motifs de cette initiative ; que Henkel est mal placée pour critiquer cette forme de polémique dès lors qu'elle même écrit en sens contraire mais dans le même style, dans un dépliant publicitaire " Le progrès c'est une formule sans phosphates. Les phosphates sont des agents anticalcaires efficaces mais ils contribuent au développement excessif des algues ce qui entraîne une diminution de la teneur en oxygène des eaux... Cette formule (Zéolite A) est aussi efficace que les formules avec phosphates tout en limitant les effets indésirables sur l'environnement " ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu en conséquence d'ordonner disparition du numéro de téléphone " vert " ;

Considérant sur les émissions radiophoniques de Rhône Poulenc, 95 annonces de 30 secondes du 24 au 27 janvier selon Henkel, que leur texte reprend les questions posées sur les affiches ; que les réponses qui suivent, déplorablement brèves, sont des affirmations que les formules sans phosphates sont moins facilement biodégradables et plus toxiques pour le milieu aquatique, et que personne ne peut affirmer qu'elles soient un progrès pour l'environnement ; que les seuls enrichissements du texte par rapport aux affiches, sont des références à des travaux scientifiques de l'Institut Pasteur de Lyon, l'Institut des sciences de la mer en Allemagne, la Fondation de l'Eau, et aussi à l'effet de la suppression des phosphates en Norvège ;

Considérant qu'il s'agit encore de publicité purement discréditoires, destinées à faire écho, presqu'à l'identique, à la campagne d'affiches, qu'elles doivent donc suivre le sort de celle-ci et disparaître des ondes ; que cette mesure ne saurait par contre atteindre les conversations radiophoniques entre des présentateurs et des responsables de Rhône Poulenc, qui relèvent de la libre discussion, de la libre expression des opinions, et qui sont bien davantage argumentées ;

Considérant qu'il y a lieu de faire droit à la demande d'astreinte présentée de condamner Rhône Poulenc aux dépens et d'allouer 100.000 Francs à Henkel sur le fondement de l'article 700 du NCPC ;

Considérant qu'il n'est pas opportun de donner à l'astreinte un caractère définitif ; que la Cour conservera l'exécution de l'arrêt à intervenir, exécution qu'il convient d'ordonner sur minute.

Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Réforme l'ordonnance attaquée, Ordonne le retrait des trois affiches apposées, décrites dans les motifs ci-dessus, et la cessation des messages radiophoniques reprenant unilatéralement le même thème, également décrits aux motifs, sous astreinte de deux cent cinquante mille francs (250.000 F) par infraction constatée, Déboute les parties du surplus de leurs prétentions, hormis sur l'article 700 du NCPC, Dit que la Cour conservera l'exécution du présent arrêt, Ordonne l'exécution provisoire sur minute, Condamne la société Rhône Poulenc Chimie à verser à la société Henkel France [une] indemnité de Cent mille Francs (100.000 F), Condamne la société Rhône Poulenc Chimie aux entiers dépens et autorise Maitre Bommart, Avoué, à recouvrer ceux d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.