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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 23 novembre 1989, n° 87-007578

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Intérim Nation (SA)

Défendeur :

Orly Dahan, SOGEPEX (SA), Inter Work (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bonnefont

Conseillers :

Mme Beteille, M. Gouge

Avoués :

SCP Varin-Petit, SCP Gauzere-Lagourgue, Me Huygue

Avocats :

Mes Petreski, Conti, Grosbart.

T. com. Paris, du 28 nov. 1986

28 novembre 1986

LA COUR :

Exposé des faits :

Orly Dahan, engagée comme secrétaire dactylographe aide comptable le 21 juin 1973 par la société Intérim Nation, société de travail temporaire a été affectée par cette dernière en 1975 à son agence boulevard Montparnasse.

Le 9 janvier 1985 elle a donné sa démission à compter du 10 janvier 1985. Elle est partie effectivement le 6 février 1985 date à laquelle a été établi par son employeur son solde de tout compte.

Elle a, es qualité de caution et de future gérante de la SARL en formation Inter Work en cours de formation, conclu le 28 janvier 1985, avec la société Immobilière Delcasse, un bail commercial relatif à un local situé 42 boulevard Montparnasse à Paris.

Elle a cédé ce local à la société anonyme Sogepex, autre société de personnels intérimaires qui l'a recrutée à la même époque, en qualité de salariée, en l'affectant au nouveau bureau ainsi créé.

Dame Allouche, qui travaillait également à l'agence Montparnasse de la société Intérim Nation a, par ailleurs, donné sa démission à son employeur en février 1985. Elle a été au service de la société Sogepex à l'agence Montparnasse en mars et avril 1985.

Le 21 avril 1986 la société Sogepex a décidé de modifier sa dénomination sociale et de s'appeler désormais Inter Work.

Procédure de première instance :

Le 23 octobre 1985, la société Intérim Nation a assigné devant le Tribunal de Commerce de Paris Orly Dahan et la société Sogepex en concurrence déloyale aux fins d'entendre condamner celles-ci in solidum à lui verser la somme de 870.000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 30.000 F en application de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile. Elle a sollicité, subsidiairement, la désignation d'un expert ayant mission de rechercher les éléments de nature à déterminer le montant du préjudice qu'elle a subi de ces faits.

Elle a, par ailleurs, invoqué l'article 634 du nouveau code de Procédure Civile et la jurisprudence de la Cour de Cassation pour tenter de justifier la saisine du Tribunal de commerce à l'encontre de dame Dahan et en fin de procédure a déclaré reprendre toutes ses écritures à l'encontre de la société Inter Work anciennement Sogepex.

Orly Dahan a conclu à l'incompétence du Tribunal de commerce à son encontre et a demandé que la société Intérim Nation soit condamnée à lui verser la somme de 3.000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 5.000 F en application de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile.

La société Sogepex a conclu à sa mise hors de cause, demandant acte de ce qu'elle réserve ses droits à l'encontre de ces salariés ou ancien salarié dans l'hypothèse où les faits allégués par la société Intérim Nation contre Orly Dahan et dame Allouche seraient reconnus exacts.

Après avoir enjoint le 16 mai 1986 à dame Dahan de conclure au fond, le Tribunal (10e chambre) a, le 28 novembre 1986 :

- donné acte aux parties du changement de dénomination sociale de la société Sogepex devenue Inter Work,

- dit dame Dahan irrecevable en son exception d'incompétence,

- dit n'y avoir lieu à expertise,

- débouté la société Intérim Nation de ses demandes et condamné celle-ci à verser à Orly Dahan la somme de 3.000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 3.500 F en application de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile.

Procédure d'appel :

La société Intérim Nation a fait appel de cette décision le 30 avril 1987 contre Orly Dahan et la société Sogepex. Elle a le 24 juin 1987 réitéré cet appel contre la société Inter Work anciennement Sogepex.

Elle conclut à l'infirmation du jugement entrepris et forme devant la Cour les mêmes demandes que devant le Tribunal, en élevant toutefois de 30.000 à 50.000 F le montant de la somme réclamée au titre de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile.

En voie contraire, par conclusions distinctes, Orly Dahan et la société Inter Work concluent à la confirmation de la décision entreprise en ce que celle-ci a débouté la société Intérim Nation de ses demandes et a condamné celle-ci aux dépens.

Orly Dahan demande, en outre, que le montant des condamnations prononcées à son profit soit augmenté et que la société Intérim Nation soit condamnée à lui verser la somme de 30.000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 15.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile.

Sur quoi, LA COUR,

Qui se réfère pour un plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties au jugement entrepris et aux écritures d'appel ;

I. Sur les demandes de la société Intérim nation contre Dame Dahan :

1 - Considérant que les parties, développant à nouveau en cause d'appel les mêmes arguments que devant les premiers juges, la société Intérim Nation reproche à dame Dahan :

1) d'avoir au mépris d'une clause de non-concurrence usuellement inséréé dans les contrats de travail usé de procédés déloyaux pour pouvoir prospecter et détourner la clientèle Intérim Nation et détourner le personnel intérimaire de cette société,

2) d'avoir à cette fin dérobé le fichier clients 1984 et le fichier personnels,

3) d'avoir prospecté les clients Intérim Nation en dénigrant cette dernière société ou en se présentant comme faisant toujours partie de ladite société ,

4) d'avoir débauché dame Allouche, détourné du personnel intérimaire et avoir ainsi fait diminuer le chiffre d'affaires de son ancien employeur de 870.000 F ;

2 - Considérant qu'ainsi que le souligne à juste titre dame Dahan, et l'ont retenu à bon droit les premiers juges par des motifs que la Cour adopte, tout salarié qui n'est pas lié à son ancien employeur par une clause de non-concurrence est fondé, par application des principes de liberté du travail et de libre concurrence, à exercer à l'expiration de son contrat de travail la même activité pour son compte ou pour celui d'un nouvel employeur et de démarcher les clients de son ancien employeur, à la seule condition de respecter les usages loyaux du commerce;

3 - Considérant que dame Dahan soutient à juste titre :

1) qu'aucune clause de non-concurrence ne peut lui être valablement opposée puisqu'une telle clause n'existe pas dans le contrat de travail l'ayant lié à la société Intérim Nation en son temps et qu'il résulte des documents versés aux débats par cette dernière que le Syndicat des Professionnels du Travail temporaire Promatt s'il indique qu'une telle clause est insérée usuellement dans les contrats de travail, note seulement que le nouveau texte de convention collective précisera en ce cas les limites de durée et d'espace à ne pas dépasser dans la rédaction de ces clauses sous peine de nullité de celles-ci ;

2) que son adversaire n'établit ni qu'elle ait effectué fautivement pendant ces heures de travail avant la date de cessation de ses fonctions (6 février 1985) les démarches relatives à la constitution de la société qu'elle voulait créer ni que postérieurement à la date effective de sa démission elle ait utilisé de procédés déloyaux pour se faire embaucher par son nouvel employeur ;

4 - Considérant, en effet, qu'il n'y a ni procédé déloyal ni contradiction d'aucune sorte dans le fait, d'une part, d'effectuer des démarches, en vue de constituer une société, en dehors de ses heures de travail et entre autres, de louer à cette fin le 28 janvier 1985 un local 42 boulevard du Montparnasse à Paris, d'autre part de renoncer au projet ainsi formé, et ce, en raison des frais déjà exposé s'élevant à une cinquantaine de mille francs, des frais plus importants à exposer au titre de la garantie à fournir par toute entreprise de travail temporaire, et des difficultés financières insurmontables en résultant, enfin, de céder le bail commercial ainsi conclu à la société Sogepex et de devenir une salariée de cette société, en donnant suite tant aux annonces d'offres d'emplois de ladite société parues fin décembre 1984 dans la presse, qu'aux bons offices d'une de ses amies damoiselle Azerard à l'époque employée par la société Sogepex, observation faite que contrairement aux allégations de la société Intérim Nation la société Sogepex ne subordonnait absolument pas dans ses petites annonces ses offres d'emplois à un apport de clientèle mais promettait seulement, en ce cas, une prime complémentaire unique au nouveau salarié, et que l'ancienneté professionnel de dame Dahan suffit à justifier son recrutement par son nouvel employeur ;

5 - Considérant que la société Intérim Nation ne rapporte pas la preuve qu'Orly Dahan ait soustrait le fichier clients de l'année 1984 et le fichier " personnels " de la société et ait donc utilisé ces fichiers dans l'exercice de sa nouvelle activité ;

Qu'il y a lieu d'observer à ce sujet :

1) que la société appelante n'a reproché à Orly Dahan ce fait que le 6 mars 1985 alors que cette dernière avait quitté son ancien employeur le 6 février 1985 en remettant à celui-ci le dossier prospection ainsi qu'il l'écrit lui-même le 6 mars 1985 à dame Dahan,

2) que la société Intérim Nation n'a pas porté plainte pour vol,

3) que l'attestation de demoiselle Jacob, toujours au service de la société Intérim Nation, n'est pas probante, en raison non seulement de la relation de subordination économique dans laquelle sa rédactrice se trouve par rapport à cette société mais également des contradictions inhérentes aux indications figurant dans le texte de l'attestation relativement d'une part à la constatation dès son arrivée le 6 février 1985 de l'absence totale " du dernier planning employés et des commandes clients antérieures " et ce, en dépit de l'opposition manifestée par dame Allouche jusqu'au 12 février 1985 (date de l'arrêt de maladie de cette dernière précédant son départ le 28 février 1985) d'autre part, à la disparition " fichiers clients " notée en post scriptum sans la moindre précision.

4) Que l'attestation de dame Allouche rédigée le 11 août 1985 est sujette à caution, l'auteur de celle-ci après avoir été accusé le 7 mars 1985 par la société Intérim Nation d'avoir soustrait les documents actuellement en cause, été menacé à cette date de poursuites pénales au même titre que dame Dahan et avoir protesté, comme cette dernière, contre cette accusation, ayant été exclue de la procédure actuelle, introduite postérieurement à la rédaction de cette attestation,

5) Qu'au demeurant, à l'aide de ses seules réminiscences - que tout salarié est en droit d'utiliser au profit de son nouvel employeur - dame Dahan était à même de reconstituer la liste des clients démarchés par elle pour le compte de la société Intérim Nation l'année précédente ;

6 - Considérant que la société appelante n'établit enfin ni qu'Orly Dahan ait été à l'origine du départ de dame Allouche, compte tenu de ce qui a été dit au-dessus sur l'absence de valeur probante de l'attestation que cette dernière a remise à la société Intérim Nation ni que dame Dahan ait failli à son obligation de respecter les usages loyaux du commerce en démarchant entre autres, les anciens clients de son ancien employeur grâce à ses réminiscences.

Considérant, en effet que la circulaire qu'elle a adressée au nom de la société Sogepex département Inter Work le 31 mars 1985 aux clients potentiels de l'agence située 42 boulevard Montparnasse énumère objectivement les prestations offertes par cette entreprise, sans faire la moindre allusion à la société Intérim Nation située 63 boulevard du Montparnasse et donc la moindre comparaison de tarifs ou de qualités entre les deux sociétés ;

Considérant que l'attestation du chef du personnel de la société Ergerco n'a aucune force probante puisque son rédacteur indique lui-même n'avoir pu identifier ni son interlocuteur ni même l'employeur de celui-ci ; qu'il en est de même de l'attestation de Chemala, responsable de la société Sucres et Denrées, qui est seul à faire état des propos pessimistes de dame Dahan sur l'avenir de la société Intérim Nation, en ne précisant pas le contexte dans lequel ces propos ont été tenus, alors qu'à la date des faits relatés par lui il est constant que la société Intérim Nation avait engagé depuis huit mois la procédure actuelle à l'encontre de dame Dahan ;

7 - Considérant enfin que la société Intérim Nation ne rapporte pas la moindre preuve de ce que Mme Dahan ait détourné au profit de la société Sogepex-Inter Work des personnels intérimaires, ceux-ci étant de surcroît, inscrits le plus souvent, auprès de plusieurs entreprises ;

Considérant qu'il y a donc lieu de confirmer la décision des premiers juges de ce chef ;

II. - Sur les demandes de la société Intérim Nation contre la société Inter Work (anciennement dénommée Sogepex) :

Considérant que compte tenu des motifs retenus ci-dessus, qui s'appliquent également au nouvel employeur de dame Dahan, la société Inter Nation ne démontre pas que la société Inter Work (anciennement Sogepex) ait commis la moindre faute à son encontre en recrutant, à la requête de celle-ci, dame Dahan et durant deux mois dame Allouche, non liées l'une et l'autre par une clause de non-concurrence, en prenant la suite du bail commercial conclu par dame Dahan pour un local situé 42 boulevard Montparnasse , en adoptant la dénomination Inter Work choisie par dame Dahan et en laissant toute liberté à celle-ci de démarcher loyalement les clients (connus d'elle) de son ancien employeur ;

Que la décision des premiers juges doit ainsi également de ce chef être confirmée ;

III. - Sur les demandes reconventionnelles de Dame Dahan :

Considérant que la société Intérim Nation a commis une faute à l'encontre de dame Dahan en incitant son nouvel employeur à licencier celle-ci, alors qu'elle même ne pouvait ignorer qu'elle ne pouvait se prévaloir d'aucune clause de non-concurrence à l'encontre de son ancienne salariée ni rapporter la preuve de faits soit disant déloyaux invoqués à l'encontre de cette dernière ;

Considérant que cette faute n'a toutefois causé à dame Dahan qu'un préjudice moral, justement apprécié par les premiers juges ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de dame Dahan la somme justifiée qu'elle a exposée tant en première instance qu'en cause d'appel et qui n'est pas comprise dans les dépens.

Par ces motifs : Joint les dossiers n° 87-7578 et 87-10711 ; Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Ajoutant au jugement ; Condamne, à titre complémentaire, la société Intérim Nation à verser à dame Dahan la somme de 6.000 F en application de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile ; La condamne aux dépens d'appel ; Admet la SCP Varin Petit et la SCP Gauzere Lacourgue, avoués, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau code de Procédure Civile.