CA Paris, 14e ch. A, 11 octobre 1989, n° 89-6395
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Grands Magasins de la Samaritaine Maisons Ernest Cognacq (SA)
Défendeur :
Bazar de l'hôtel de Ville (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Remuzon
Conseillers :
Mmes Gautier, Edin
Avoués :
Me Olivier, SCP Barrier Monin
Avocats :
SCP Bartfeld & Associés, Me Guelot.
LA COUR :
Statue sur l'appel interjeté le 7 février 1989 par la Société Grands Magasins de la Samaritaine - SA - d'une ordonnance rendue le 11 janvier 1989 par le Président du Tribunal de Commerce de Paris qui :
- lui a interdit ainsi qu'à tout utilisateur de son chef, dès le prononcé de l'ordonnance, d'apposer ou de diffuser des affiches ou documents publicitaires sur le thème " typiquement pas vieux bazar ", le tout sous astreinte de 10 000 F par jour de retard à compter du jour de l'ordonnance,
- lui a interdit également de poursuivre son " mailing " du type " ... qui vous savez ",
- a nommé Maître Daloz, huissier Audiencier, en qualité de mandataire de justice avec mission de :
* déterminer le nombre d'affiches édictées sur le thème précité ainsi que les lieux sur lesquels elles ont été apposées,
* recenser également le nombre de cartes postales reprenant le même thème et déterminer, par référence aux documents d'envoi qui ont été établis dans le cadre de la campagne publicitaire litigieuse, la nature et le nombre de ses destinataires,
- a condamné la Samaritaine à payer au Bazar de l'hôtel de Ville la somme de 5 000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, déboutant pour le surplus, ainsi qu'aux dépens.
Dans le courant du mois d'octobre 1988, les Grands Magasins de la Samaritaine ont, dans le cadre d'une campagne publicitaire destinée à changer leur image commerciale et à promouvoir divers " espaces " comme la mode, le bricolage ou la décoration, fait apposer sur les murs du Métropolitain diverses affiches de 3 x 4 mètres dont l'une représente un jeune homme tenant une perceuse et surmonté du slogan " Typiquement " pas vieux bazar ".
Dans le cadre de cette même campagne, ont été édictées divers modèles de cartes postales dont certaines reproduisant au recto l'affiche du métro ci-dessus décrite et portant au verso deux textes différents dont l'un est le suivant : " Notre Espace 2, c'est " l'anti-bazar " : un " choix clair et facile et de vrais spécialistes qui se mettent à la portée des bricoleurs et bricoleuses, débutants ou chevronnés. De quoi nous ôter tout complexe... surtout contre qui vous savez ! (A suivre...) "
Estimant que cette campagne publicitaire constituait à son égard un trouble manifestement illicite, le Bazar de L'hôtel de Ville a saisi le Juge des Référés Commerciaux qui a rendu la décision déférée à la Cour.
Le 14 juin 1989, Maître Daloz, huissier de Justice commis, a dressé son constat.
A l'appui de son appel, la Société des Grands Magasins de la Samaritaine fait valoir que, devant le premier juge, il n'y a pas eu de débat contradictoire ni d'explications orales à l'audience du 11 janvier 1969 et que ses conclusions contenant demande reconventionnelle, non visée dans l'ordonnance, sont demeurées sans réponse.
Elle demande, en conséquence, à la Cour d'infirmer l'ordonnance pour ces motifs de forme et de procédure, en raison du non respect des dispositions des articles 5, 14 et 16 du Nouveau Code de Procédure Civile.
A titre surabondant, elle soutient que la procédure initiée par le Bazar de l'hôtel de Ville témoigne soit d'un délire de la persécution particulièrement aigu, soit d'une volonté d'entraver la libre marche des affaires d'un grand magasin concurrent ; que l'importante campagne de publicité engagée par elle était destinée à faire évoluer son image de magasin généraliste " où on trouve de tout ", d'où le terme " bazar " vers un magasin de spécialiste qui constitue la nouvelle orientation.
Elle fait remarquer que l'affiche incriminée a fait suite à un précédent affichage reprenant le thème " Typiquement pas Vielle Samar " et que, par la phrase :
" Typiquement pas vieux bazar ", elle n'a nullement voulu dénigrer le Bazar de l'hôtel de Ville, lequel, depuis quelques années, axe sa communication publicitaire sur ses seules initiales BHV
Enfin, elle précise que la mention incriminée figurant sur les cartes postales destinées à son seul personnel, constitue une stimulation du personnel face à l'ensemble de ses concurrents.
Elle demande à la Cour de dire et juger, à titre surabondant, qu'elle ne s'est livrée à aucun acte de concurrence déloyale, d'infirmer de plus fort l'ordonnance déférée en déboutant Le Bazar de l'hôtel de Ville de l'ensemble de ses demandes, de dire, en tout cas, n'y avoir lieu à référé du chef de la demande ainsi formulée par le BHV et, la recevant en sa demande reconventionnelle et l'y déclarant fondée, de condamner Le Bazar de l'hôtel de Ville à lui payer la somme symbolique de 1 F à titre de dommages intérêts et celle de 20 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
La Société du Bazar de l'hôtel de Ville soutient que la Samaritaine n'a plus d'intérêt à agir, puisque la campagne publicitaire incriminée avait déjà cessé le jour du prononcé de l'ordonnance, et que Maître Daloz a déposé son " rapport " ; qu'ainsi, son appel est irrecevable ou à tout le moins, dépourvu d'objet ; que, subsidiairement, il est mal fondé.
Elle sollicite la confirmation de l'ordonnance et demande, en outre, la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, les entiers dépens étant à la charge de La Samaritaine.
Répondant à l'argumentation de la Samaritaine, elle fait remarquer que le principe du contradictoire a été largement respecté et que le dispositif de l'ordonnance indiquant : " déboutant pour le surplus ", toutes les autres demandes comprenant celles de La Samaritaine, ont été rejetées.
Elle objecte aux explications données par l'appelante que les termes " contre qui vous savez " ne peuvent désigner un ensemble de magasins concurrents et que si l'on rapproche la phrase incriminée du mot " bazar " utilisé à deux reprises, il devient évident que, dans l'esprit du consommateur moyen, c'est Le Bazar de l'hôtel de Ville qui est le " qui l'on sait " ; que c'est donc à bon droit que le Juge des Référés a considéré qu'il était en présence d'un trouble manifestement illicite et a ordonné l'arrêt de la campagne publicitaire et la mesure d'instruction.
La Société Des Grands Magasins de la Samaritaine a répliqué et a demandé à la Cour de rejeter des débats le document produit par le BHV sous forme de photocopie d'une carte postale dont l'identité comme l'adresse du destinataire ont été occultées.
La cour se réfère pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, à l'ordonnance déférée et aux conclusions prises en appel.
Sur ce :
Sur la procédure :
Considérant qu'il ne peut être sérieusement soutenu que La Société des Grands Magasins de la Samaritaine n'a plus d'intérêt à agir devant la Cour, dès lors que la campagne publicitaire incriminée a cessé et que Maître Daloz, Huissier de Justice commis, à déposé son constat ;
Qu'en effet, l'ordonnance déférée ayant prononcé à l'encontre de La Samaritaine des mesures d'interdiction sous astreinte et l'ayant condamnée à verser au Bazar de l'hôtel de Ville la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, en sus des dépens, celle-ci a intérêt à faire modifier la décision, de sorte que son appel sera déclaré recevable ;
Considérant qu'il ressort de l'ordonnance déférée que des renvois successifs ont été ordonnés par le premier Juge à la requête de l'une ou l'autre des parties pour mettre en état la procédure et respecter le principe du contradictoire, étant observé que les débats oraux devant la Juridiction Consulaire saisie en référé ne peuvent qu'être limités ;
Qu'il n'y a donc pas eu violation des articles 14 et 16 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Considérant par ailleurs, que le premier Juge, en faisant droit au moins pour la plus grande part, aux diverses demandes du Bazar de l'hôtel de Ville a nécessairement rejeté les demandes de La Samaritaine, ce qu'il a exprimé, dans le dispositif de l'ordonnance, sous les termes :
" déboutant pour le surplus " ;
qu'il n'y a donc pas eu davantage violation de l'article 5 du Code susvisé ;
Considérant enfin qu'il est versé aux débats devant la Cour par Le Bazar de l'hôtel de Ville l'original de la carte postale incriminée dont il n'est pas sérieusement contestable que le destinataire est un employé de La Samaritaine qui, à l'évidence, désire garder l'anonymat, ce qui explique l'emploi du Tippex pour occulter son nom et son adresse ;
Que ce document remis au Bazar de l'hôtel de Ville par le destinataire peu scrupuleux, ne peut, pour autant, être considéré comme obtenu frauduleusement et qu'il n'y a donc pas lieu de l'écarter des débats ;
Sur le fond du référé :
Considérant qu'il n'est pas sérieusement discutable que la Samaritaine, à l'occasion de sa rénovation de ses différents magasins et de la promotion d' " Espaces " spécialisés, a, dans le but de faire oublier au public le vieux slogan : " On trouve tout à la Samaritaine ", concentré sa campagne de publicité sur la spécialisation ;
Que c'est ainsi que, dans un premier temps, après l'annonce de la campagne sous le slogan " Scandaleux ! Ils me changent " ma Samaritaine ", sont apparues des affiches et des cartes postales représentant une jeune femme " décontractée " avec pour thème : " Typiquement pas vieille SAMAR... ", afin de promouvoir la Mode ;
Que, dans un second temps, ont été apposées, sur les murs du Métropolitain, les affiches incriminées représentant un jeun homme avec une perceuse surmonté du Slogan :
" Typiquement pas vieux bazar ", afin de promouvoir l'espace décoration et bricolage ;
Que s'il est vrai que Le Bazar de l'hôtel de Ville est connue comme un spécialiste du bricolage et de la décoration, on ne saurait considérer qu'à l'évidence, le mot " bazar " utilisé dans la campagne de La Samaritaine comme un nom commun signifiant : " endroit où l'on vend toute espèce " d'objets ", est de nature à constituer dans l'esprit du public un dénigrement du Bazar de l'hôtel de Ville qui, dans le même temps, s'efforce de se faire connaître sous le sigle " BHV " qui occulte toute référence au terme " bazar ",
Considérant que, par ailleurs, ont été adressées des cartes postales reproduisant au recto l'affiche incriminée avec, au verso, deux textes différents dont un seul est critiqué par le Bazar de l'hôtel de Ville comme énonçant : " de quoi nous ôter tout complexe... surtout contre qui vous savez ! " ;
Qu'il ne peut être discuté que la carte postale sur laquelle figure ce texte était adressée au personnel de La Samaritaine et que, même circulant sans enveloppe, elle n'était pas destinée à l'information du public;
Que, dès lors, la preuve de l'existence d'un trouble manifestement illicite justifiant la saisine du Juge des référés, n'est pas démontrée ;
Qu'il convient, en conséquence, d'infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance déférée et de dire qu'il n'y a lieu à référé sur les demandes du Bazar de l'hôtel de Ville qui a, d'ailleurs, engagé une procédure au fond ;
Considérant que le Juge des référés qui ne statue qu'à titre provisoire n'a pas le pouvoir d'allouer des dommages intérêts pour procédure abusive et qu'il n'apparaît pas inéquitable que La Samaritaine conserve la charge de ses frais non taxables ;
Considérant que Le Bazar de l'hôtel de Ville qui supportera les dépens de première instance et d'appel, ne peut prétendre au bénéfice de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Par ces motifs : Déclare recevable l'appel interjeté par la Société des Grands Magasins de la Samaritaine. Rejette les moyens tirés de la violation des articles 5, 14 et 16 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Dit n'y avoir lieu d'écarter des débats la carte postale produite en original par la Société du Bazar de l'hôtel de Ville. Infirme l'ordonnance de référé rendue le 11 février 1989 par le Président du Tribunal de Commerce de Paris. Statuant à nouveau et y ajoutant : Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes d'interdiction sous astreinte et de constat présentées par le Bazar de l'hôtel de Ville. Dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de dommages intérêts pour procédure abusive formée par La Samaritaine. Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile au profit d'aucune des parties. Condamne La Société du Bazar de l'hôtel de Ville - SA - aux dépens de première instance et d'appel et admet la SCP Barrier Monin, avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code susvisé.