CA Chambéry, ch. soc., 8 novembre 1988, n° 239-87
CHAMBÉRY
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Decta (SA)
Défendeur :
Borca
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Fidric
Conseillers :
MM. Salati, Fayen
Avocats :
Mes Cochet, Mermet.
Par jugement du 28 avril 1987, rectifié par un jugement du 24 juin 1987, le Conseil de Prud'hommes d'Annemasse a condamné la société Decta à payer à M. Roger Borca les sommes suivantes :
- 284 206,00 F au titre de rappel de salaires,
- 36 978,00 F au titre des congés payés,
- 67 500,00 F au titre de l'indemnité de préavis,
- 234 000,00 F au titre de l'indemnité de licenciement,
- 270 000,00 F pour licenciement abusif,
et ordonné l'exécution provisoire pour une somme de 135 000,00 F.
La société Decta a relevé appel de cette décision demande à la Cour, par réformation, de dire que M. Borca a commis une faute lourde justifiant son licenciement, et de condamner ce dernier à lui rembourser une somme de 128 389,00 F qu'il aurait indûment perçue au titre des heures supplémentaires et de la prime d'ancienneté. Elle sollicite en outre la condamnation de M. Borca pour concurrence déloyale, à lui payer une somme de 200 000,00 F à titre provisionnel, in solidum avec M. Neuvecelle et la société STRM, et conclut à une expertise pour évaluer le préjudice subi.
M. Borca conclut à la confirmation de la décision attaquée et formant appel incident sollicite que la réparation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse soit portée à 700 000,00 F.
Sur quoi, LA COUR :
Attendu que M. Borca a été embauché par la société Decta le 1er septembre 1964 en qualité de chef comptable, qu'à partir du 31 décembre 1978 il a exercé les fonctions de Directeur-Administratif ;
Attendu que le 19 mai 1986, M. Stalder, Président Directeur Général de la société Decta lui notifiait une mise à pieds pour finalement le licencier pour faute lourde le 30 mai 1986 ;
Sur le licenciement et la concurrence déloyale :
Attendu que la société Decta a une activité de fabrication et vente de tous outillages et de toutes pièces se rapportant à l'horlogerie ; qu'à compter de 1979 et grâce aux qualités techniques de son chef de fabrication, M. Neuvecelle, elle a procédé à la révision et à la vente de certaines de ses propres machines ; qu'il résulte des pièces versées aux débats, que tout en restant marginale, cette activité n'a cessé d'augmenter depuis 1979, pour parvenir, en 1986 à un chiffre d'affaires de 383 831,00 F ;
Attendu qu'à l'insu du Président Directeur Général de Decta, M. Borca et M. Neuvecelle, ont créé, le 1er mars 1986, une SARL STR dont ils détenaient chacun 50 % des parts. M. Borca étant nommé gérant ; que cette SARL avait pour objet la révision, la transformation, la reconstruction de tous matériels machines et outillages ; que la société pouvait en outre se livrer à toutes opérations industrielles et commerciales se rattachant indirectement et pour partie à son objet social ou à tous autres objets similaires ou connexes ;
Attendu qu'en décembre 1985, M. Scemama, client de la société Decta, prenait contact avec M. Borca en vue de faire réviser deux machines " Wahli " ; que ce dernier renvoyait M. Scemama à M. Neuvecelle qui expliquait que par manque de temps le travail ne pouvait être réalisé par la société Decta ;
Attendu qu'au cours d'un nouveau contact, début 1986, M. Neuvecelle indiquait à M. Scemama qu'il pouvait réaliser lui-même, à son domicile le travail demandé, effectuant quelques opérations dans les ateliers de Decta avec l'accord de son Président Directeur Général ; qu'au mois de février 1986, en présence de M. Neuvecelle, M. Borca révélait à M. Scemama qu'il avait l'intention de créer une société de révision de machines, mais que ni lui ni M. Neuvecelle n'avait l'intention de quitter Decta, affirmant que M. Stalder était au courant de ses projets ;
Attendu que fin mars 1986, M. Borca apprenait à M. Scemama que la société était constituée et que début avril 1986, ce dernier confiait la révision des deux machines à la société STRM, nouvellement créée ;
Attendu que M. Borca, qui occupait un poste de responsabilité dans Decta n'ignorait pas que le développement de l'activité de révision de machines en vue de leur revente était intéressante à développer pour la société Decta qui connaissait des difficultés ; qu'il importe peu que l'objet social des sociétés Decta et STRM tels que définis par leur statut soit différent ;
Attendu en effet qu'il importe de considérer l'activité réellement exercée et qu'il ne peut être soutenu que la révision de machines effectuée par la société Decta serait conjoncturelle puisque entreprise en 1979, elle s'est poursuivie, avec une progression constante jusqu'en 1986 ;
Attendu que M. Borca, en compagnie de M. Neuvecelle et alors qu'ils étaient liés par un contrat de travail de la société Decta ont créé une structure juridique pour exercer une activité industrielle directement concurrente d'une activité exercée par l'employeur; qu'au surplus, M. Borca a utilisé la connaissance qu'il avait des partenaires économiques de Decta pour dévoyer une partie du chiffre d'affaires de cette dernière acceptant en outre d'être le dirigeant de STRM; que la direction d'une entreprise concurrente de celle de son employeur va bien au-delà de la simple participation financière;
Attendu que M. Borca, a ainsi commis des actes de concurrence déloyale constituant une faute lourde justifiant son licenciement immédiat et ayant pour conséquence de le priver des droits à indemnité de préavis et de congés payés;
Attendu que la société Decta sollicite la condamnation sur le fondement de la concurrence déloyale, de M. Borca, M. Neuvecelle et de la société STRM ;
Attendu que ces deux derniers ne sont pas partie à l'instance et que la demande à leur encontre sera rejetée ;
Attendu que la Cour a les éléments d'appréciation suffisants pour fixer à 1,00 F le préjudice subi par la société Decta du fait des agissements de M. Borca ; qu'il convient de condamner ce dernier à payer cette somme à la société Decta ;
Sur la demande de complément de salaires :
Attendu que M. Borca demande son reclassement dans la position repère III C définie par l'article 21 de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie ; que cet article justifie l'existence d'un tel poste notamment " par la valeur technique exigée par la nature de l'entreprise, par l'importance de l'établissement " et dispose que " la place hiérarchique d'un cadre de cette position lui donne le commandement sur un ou plusieurs ingénieurs ou cadres des positions " III A ou III B ;
Attendu que s'il n'est pas contesté que le poste occupé par M. Borca exigeait la plus large autonomie de jugement et d'initiative, aucune des pièces versées aux débats ne démontrent qu'il était substitué au Président Directeur Général dans les fonctions de directions de ce dernier ; qu'il est constant qu'il n'avait pouvoir de commandement sur aucun cadre des positions III A ou III B, la taille de la société Decta ne nécessitant pas l'existence de tels salariés ;
Attendu en conséquence que la demande de M. Borca de ce chef sera rejetée ;
Sur le remboursement des heures supplémentaires et de la prime d'ancienneté :
Attendu que la société Decta demande la condamnation de M. Borca à lui rembourser une somme de 128 389,00 F perçue au titre des heures supplémentaires et de la prime d'ancienneté ;
Attendu qu'il résulte des pièces versés aux débats que si les fiches de paie et le calcul de salaires étaient établis sur les directives de M. Borca, ces opérations étaient obligatoirement effectuées sous le contrôle de M. Stalder, qui revendique dans ses écritures l'exercice de son pouvoir de direction ; que l'employeur n'a jamais protesté ni opéré de rectifications sur ces points ; que la demande de remboursement devra être rejetée ;
Sur le remboursement des sommes versées au titre de l'exécution provisoire :
Attendu que la société Decta sollicite la condamnation de M. Borca à lui rembourser la somme de 132 575,00 F versée au titre de l'exécution provisoire ordonnée par les premiers juges avec intérêts au taux légal à compter du 24 juillet 1987 ;
Attendu que la Cour réformant la décision attaquée, il y a lieu d'ordonner le remboursement des sommes perçues au titre de l'exécution provisoire ; que les intérêts au taux légal ne devront cependant courir qu'à compter du jour de la date des conclusions de la société Decta valant mise en demeure de restituer ; M. Borca qui détenait lesdites sommes en vertu d'un titre exécutoire selon les principes énoncés à l'article 1153 alinéa 3 du Code civil ;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Decta ; les frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il convient de lui allouer une somme de 2 500,00 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Par ces motifs : La Cour, statuant publiquement et contradictoirement ; Après audition à l'audience publique du 11 octobre 1998 des avocats des parties en leurs plaidoiries et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Réforme la décision entreprise ; Dit que le licenciement de M. Borca est justifié par une faute lourde ; Déboute M. Borca de l'ensemble de ses demandes ; Déboute la société Decta de ses demandes à l'encontre de M. Neuvecelle et de la SARL STRM ; Déboute la société Decta de sa demande de remboursement des sommes perçues au titre des heures supplémentaires et de la prime d'ancienneté par M. Borca ; Condamne M. Borca à payer à la société Decta : - 1,00 F à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale ; - 257 600,00 F en remboursement des sommes perçues au titre de l'exécution provisoire, avec intérêts au taux légal à compter du 11 octobre 1988 ; - 2 500,00 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne M. Borca aux dépens.