CA Amiens, 2e et 3e ch. civ., 18 avril 1988, n° 1813-86
AMIENS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Borowski, Teltronic (SARL), Diagramme (SARL)
Défendeur :
Médial Graphique (SA), Agespar (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Blin
Conseillers :
MM. Daigniez, Leseigneur, Mme Percheron
Avoués :
SCP Le Roy, Congos, SCP Million
Avocats :
Mes Laurique, Benichou
Le Tribunal de commerce de Paris, par jugement du 16 janvier 1984 a dit que Monsieur Borowski et les sociétés Diagramme et Teltronic s'étaient rendus coupables de concurrence déloyale par détournement de clientèle et débauchage de personnel et les a condamnés in solidum à payer à la Société Médial Graphique, 500 000 F de dommages et intérêts et 10 000 F d'indemnité en plus des dépens, la Société Agespar étant en revanche mise hors de cause.
L'arrêt, confirmatif de ce dernier chef et infirmatif pour le surplus, de la Cour d'appel de Paris du 5 juillet 1984 a été cassé pour manque de base légale par arrêt de la Cour de cassation du 6 juin 1986, et l'affaire renvoyée devant la Cour de céans.
Monsieur Borowski et les sociétés Diagramme et Teltronic sollicitent l'infirmation du jugement, avec allocation de 20 000 F d'indemnité de l'article 700 du Code de Procédure Civile, en faisant valoir qu'aucune manœuvre fautive de leur part n'est prouvée, et subsidiairement la limitation des dommages et intérêts.
La Société Médial Graphique conclut à la confirmation du jugement sur le principe de la concurrence déloyale mais à la majoration des condamnations prononcées à 1 795 570 F pour les dommages et intérêts et 20 000 F pour l'indemnité de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
La Société Agespar, visée dans la déclaration de saisine de la Société Médial Graphique et assignée en mairie, n'a pas constitué avoué.
Sur quoi la COUR :
Attendu que doit être confirmée la mise hors de cause de la Société Agespar contre laquelle il n'avait été et n'est encore à présent formé aucune demande ;
Attendu qu'il est constant que Monsieur Borowski, qui avait participé à la création en juin 1975 de la Société Médial Graphique ayant pour objet principal la photocomposition, n'a pas été reconduit le 21 juin 1979 dans son mandat de président directeur général adjoint, son épouse entrant en revanche au Conseil d'administration, à la suite de dissentiment avec le président directeur général à propos du fonctionnement du service administratif dirigé par l'épouse de ce dernier, mais a été nommé directeur technique, sans qu'il soit stipulé de clause de non-concurrence en cas de rupture ;
Qu'ayant démissionné de cet emploi il est devenu gérant de la Société Diagramme, constituée le 1er mars 1980 à l'expiration de son préavis, et a été engagé le 1er avril suivant comme directeur technique de la Société Teltronic dont il avait acheté des parts ; que ces trois sociétés avaient des activités similaires ne comportant pas de secrets ou procédés particuliers de fabrication ;
Attendu qu'il résulte du rapport d'expertise judiciaire que 4 salariés de la Société Médial Graphique sont passés au service de la Société Diagramme en 1980 : le 1er avril, un claviste, qui avait quitté la Société Médial Graphique depuis le 9 novembre 1979, le 14 avril, un préparateur et les 8 et 19 mai, une claviste et son mari, monteur photographe, quelques jours après l'expiration de leur préavis et 3 au service de la Société Teltronic en 1981 : le 5 janvier un correcteur, le 5 mars un monteur et le 9 juin un opérateur, à l'expiration de leur préavis ;
Qu'ils expliquent leur décision, dans les attestations produites par la mauvaise ambiance de travail au sein de l'entreprise et leur inquiétude sur l'avenir de celle-ci face à la conjoncture économique, à l'exclusion de toute offre ou pression de Monsieur Borowski ;
Que le fait qu'ils y étaient employés depuis quelques années et ont été embauchés aussitôt par leur nouvel employeur ne prouve pas, contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, qu'il y ait eu débauchage de personnel par les appelants au détriment de l'intimée, dont, au demeurant, l'entreprise n'a pu être désorganisée, comme elle le prétend, par des départs qui se sont échelonnés sur un an et demi, alors qu'elle reconnaissait déjà en juin 1979, à une réunion du Comité d'entreprise, des difficultés de trésorerie et qu'elle déposait en novembre 1980 des demandes d'autorisation de licenciement et d'indemnisation de chômage partiel concernant ses clavistes, monteurs et opérateurs ;
Attendu que l'expert a par ailleurs constaté que 15 clients de la Société Médial Graphique avaient quitté celle-ci en 1980, 16 en 1981 et 5 en 1982 pour s'adresser à la Société Diagramme ou à la Société Teltronic et que la baisse du chiffre d'affaires de la première s'est accompagnée d'une hausse de celui des 2 autres, et en particulier de la Société Diagramme ;
Mais que cette circonstance ne suffit pas à démontrer un détournement de clientèle, contrairement à ce qu'a admis le premier juge ;
Que la Société Médial Graphique ne prouve aucun fait de dénigrement, offre de prix réduit ou pression quelconque imputable à Monsieur Borowski ou à des tiers agissant pour lui, alors que les attestations produites par les appelants excluent même l'existence d'un démarchage de la part de ceux-ci à l'endroit de leurs auteurs;
Qu'enfin, la fixation du siège des sociétés Diagramme et Teltronic dans un arrondissement de Paris proche de celui du siège de la Société Médial Graphique est sans intérêt au regard d'une clientèle qui n'est pas de voisinage ou de passage;
Attendu qu'ainsi la preuve d'une concurrence déloyale n'étant pas rapportée, la Société Médial Graphique doit être déboutée de sa demande ;
Attendu que celle-ci a contraint ses adversaires à exposer des frais qui ne seront pas compris dans les dépens et qu'il serait inéquitable de laisser à leur charge ;
Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a mis la Société Agespar hors de cause ; L'infirme pour le surplus ; Déboute la Société Médial Graphique de sa demande ; La condamne aux dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Le Roy et Congos pour ceux exposés devant la Cour de céans ; La condamne à verser aux appelants 5 000 F d'indemnité pour frais hors dépens.