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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 17 mars 1988, n° 86-005928

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Trans DTRT (SARL), Toullec, Reggiori

Défendeur :

Transports Petit (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bonnefont

Conseillers :

Mme Beteille, M. Gouge

Avoués :

Me Baufume, SCP Dauthy-Naboudet

Avocats :

Mes Albou, Brami.

T. com. Paris, du 15 janv. 1986

15 janvier 1986

Faits et procédure de première instance :

Exerçant diverses activités touchant au transport, la société Transports Petit embauchait le 1er mars 1980 Toullec et Reggiori. Ceux-ci démissionnaient le 22 février 1982, leur employeur déclinant leur offre d'exécuter leur préavis.

Par exploit du 2 juillet 1982, les Transports Petit assignaient en concurrence déloyale, outre Toullec et Reggiori, la société Trans DTRT. L'acte introductif d'instance énonçait que Toullec et Reggiori avaient créé cette société concurrente avec deux autres salariés des Transports Petit, Trouve et Contat, qu'ils avaient détourné la clientèle de leur ex-employeur au profit de Trans DTRT. Une expertise était sollicitée au vue de l'évaluation du préjudice.

Les défendeurs s'étant opposés à la demande, le Tribunal de commerce de Paris rendait le 13 avril 1983 un jugement qui d'une part retenait comme fautive la constitution de la société Trans DTRT alors que Toullec et Reggiori étaient encore au service de Transports Petit et leur reprochait en outre d'avoir à leur départ emporté des documents appartenant à leur ancien employeur, mais qui d'autre part désignait un expert à l'effet de réunir tous éléments de fait de nature à permettre l'évaluation du préjudice non sans toutefois inclure dans sa mission une recharge du démarchage que les défendeurs auraient pu effectuer auprès de la clientèle des Transports Petit.

L'expert Foures ayant le 21 juin 1984 déposé un rapport les Transports Petit priaient le Tribunal de leur allouer 755 000 F de dommages-intérêts, la publication du jugement à intervenir et une somme au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Les défendeurs ne concluaient pas.

Le jugement critiqué :

Par son jugement du 15 janvier 1986, le Tribunal a notamment

- Dit Toullec , Reggiori et Trans DTRT convaincus de concurrence déloyale.

- Donné acte aux Transports Petit de leur désistement à l'égard de la société Trans DTRT en liquidation de biens,

- Condamné in solidum Toullec et Reggiori à payer 500 000 F de dommages-intérêts aux Transports Petit et 300 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- Ordonné la publication du jugement dans cinq journaux ou revues professionnels au choix des Transports Petit.

L'appel :

Des appels ont été déclarés le 21 mars 1986 par Toullec, Reggiori et la société Trans DTRT et le 25 mars 1986 par Toullec et Reggiori qui seuls ont conclu. Ils prient la Cour, en infirmant le jugement déféré, de débouter les Transports Petit de toutes leurs demandes et de les condamner au paiement d'une indemnité de 40 000 F pour rupture abusive de leurs engagements et procédure abusive.

Intimée, la société Transports Petit conclut à l'irrecevabilité des écritures d'appel déposées par Toullec et Reggiori le 3 décembre 1987, soit le jour prévu pour le prononcé de l'ordonnance de clôture, subsidiairement au fond à la confirmation de la décision attaquée. Elle prie la Cour d'ajouter la somme de 10 000 F à celle de 30 000 F (trente mille) allouée par le jugement au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Sur ce, LA COUR,

Qui pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties se réfère au jugement critiqué et aux écritures d'appel.

Sur la recevabilité des conclusions des appelants :

Considérant que l'ordonnance de clôture porte la date du 7 janvier 1988 ;

Que les conclusions de Toullec et Reggiori ayant été déposées le 3 décembre 1987 sont donc recevables, le principe de contradiction ayant été respecté.

Au fond :

Considérant qu'en vertu du principe de la liberté du commerce, des salariés non liés par une clause de non-concurrence peuvent licitement créer une entreprise concurrente de celle de leur employeur à condition de ne rien faire d'incompatible avec la loyauté qu'ils lui doivent dans l'exécution des obligations nées du contrat de travail et en particulier de ne pas utiliser leur présence dans son entreprise contre les intérêts de celle-ci et/ou pour favoriser l'essor des activités qu'ils prévoient de conduire en dehors d'elle;

Qu'ainsi, et contrairement à l'opinion exprimée par les premiers juges, le comportement fautifde Toullec et Reggiori ne saurait être caractérisé par le seul fait de la création de la société Trans DTRT alors qu'ils étaient encore au service des Transports Petit;

Considérant que les Transports Petit reprochent à Toullec et Reggiori d'avoir à leur départ :

- emporté des documents ;

- emmené avec eux des salariés,

- détourné des clients au profit de Trans DTRT,

Considérant que les Transports Petit versent aux débats des pièces établissant qu'ils ont rencontré des difficultés avec deux de leurs clients sans toutefois démontrer de façon précise en quoi elles seraient imputables au fait que Toullec et Reggiori auraient, à leur départ, conservé par devers eux certains documents ; qu'il n'y a d'ailleurs aucune preuve qu'une plainte ait été portée contre les appelants sous une quelconque qualification pénale ni même qu'ils aient été sommés par huissier de restituer des registres, factures et autres papiers commerciaux clairement spécifiés ;

Considérant que les Transports Petit n'opposent rient à l'affirmation des appelants selon laquelle, si Trouve et Contat ont signé les statuts de la société Trans DTRT ils se sont ensuite désistés et n'ont exercé aucune activité dans cette entreprise ; qu'au demeurant il n'est pas démontré que les démissions de Toullec et de son épouse, de Reggiori, Trouve et Contat aient été de nature à désorganiser les activités des transports Petit qui ne fournissent pas d'indications chiffrées sur l'importance de leur personnel ;

Considérant, il est vrai, que ces derniers ont perdu une importante partie de leur clientèle " affrètement " qui s'est reportée sur la société Trans DTRT ;

Qu'il convient toutefois d'observer que les pièces mises aux débats ne sont pas propres à établir que ce transfert de clientèle découle d'agissements déloyaux de Toullec et Reggiori ;

Que du reste, le Tribunal avait donné mission à l'expert de rechercher si ceux-ci avaient démarché la clientèle des Transports Petit ;

Que l'expert, dans un rapport qualifié par lui-même de pré-rapport et où il indique qu'il se tient à la disposition du Tribunal pour le compléter, admet n'avoir pas constaté un tel démarchage à quelque date que ce soit ;

Que de surcroît il résulte de ses investigations que les clients perdus par les Transports Petit après la démission de Toullec et Reggiori et récupérés par Trans DTRT n'étaient devenus les clients des Transports Petit qu'après le 1er mars 1980 donc avec l'arrivée de Toullec et Reggiori qui, spécialistes de l'affrètement, avaient notablement augmenté une clientèle jusque là " embryonnaire " ;

Qu'en définitive aucune argumentation sérieuse n'est opposée aux allégations des appelants qui se prévalent d'avoir apporté aux Transports Petit la clientèle avec laquelle ils travaillaient chez leur précédent employeur, la société Carry ;

Que si Toullec et Reggiori ne produisent aucune pièce propre à établir que cet apport de clientèle devait avoir pour contrepartie leur entrée dans la société Petit ou qu'il y a eu entre eux et cette dernière une société de fait du moins est-il clair que de nombreux clients ayant noué avec eux une relation " intuitu personae " quand ils étaient les salariés de Carry, les ont suivis chez Petit puis à Trans DTRT sans qu'on puisse mettre en évidence :

- que cette clientèle ait été connue d'eux grâce à leurs fonctions à la société Petit,

- qu'ils l'aient démarchée en faveur de Trans DTRT alors qu'ils étaient encore les salariés de la société Petit,

- qu'ils l'aient démarchée après leur démission notamment en représentant à cette clientèle que les conditions faites par la société Petit étaient moins avantageuses que celles offertes par la Trans DTRT ;

Que la clientèle a donc exercé sa préférence sans y avoir été amenée par des agissements caractérisant la concurrence déloyale ;

Considérant qu'en conclusion aucun des griefs articulés à l'encontre de Toullec et Reggiori ne peut être retenu ;

Que par infirmation de la décision attaquée, ils seront déchargés de toutes les condamnations mises à leur charge ;

Considérant que le caractère abusif de la procédure et la rupture abusive de leurs engagements par les Transport Petit ne sont pas établis ; que la demande de dommages-intérêts formée par Toullec et Reggiori n'est donc pas fondée ;

Par ces motifs : Disant l'appel bien fondé ; Infirme le jugement déféré en ce qu'il a retenu des actes de concurrence déloyale à l'encontre de Toullec, de Reggiori et de la société Trans DTRT ; Décharge Toullec et Reggiori des condamnations prononcées contre eux ; Condamne la société Transports Petit en tous les dépens de première instance et d'appel ; Admet, Me Baufume, avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.